Canadien d’origine Argentine, Fernando Rivera partage ses réflexions, sa révolte et son incompréhension face aux conditions de travail dans les mines canadiennes au Congo.
« Depuis quelques années je m’intéresse à l’Afrique. Cet intérêt est né lorsque j’ai vu pour la première fois le film ‘Blood Diamond’. »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Blood_Diamond
Mais après avoir rencontré des ressortissants congolais ici, au Canada et avoir écouté leurs histoires, j’ai pris la peine d’observer ce qui se passait en République Démocratique du Congo. Malgré le fait d’être le pays le plus riche d’Afrique, la plus grande partie de sa population vit sous le seuil de pauvreté et les droits de l’homme sont violés au quotidien.
En même temps, de nombreuses sociétés minières ayant leur siège au Canada exploitent les richesses inépuisables du sol congolais tout en suscitant la controverse…
Je voudrais ici relever certains événements qui se sont récemment déroulés en République Démocratique du Congo, pays où le Canada est impliqué par son appui à plusieurs programmes.
Le Canada souligne que « grâce à son appui à la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), le pays contribue aux efforts nationaux et internationaux visant à assurer la stabilisation et la consolidation d’une paix durable, ainsi que la protection des populations civiles, en particulier des enfants, contre les violences et les violations des droits de la personne. »
(https://monusco.unmissions.org)
Voyons le cas de la Katanga Mining, (dont le siège est à Whitehorse au Canada)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Katanga_Mining_Limited
« Une enquête conjointement menée par la BBC et la RTS a conclu que l’entreprise Glencore, active dans le bassin du Congo via deux coentreprises ; Kamoto Copper Company (KCC) et DRC Copper and Cobalt Project (DCP) aurait acheté (75,15 % des parts en 2013, 3 300 employés) de la Katanga Mining Limited via sa filiale, la compagnie minière Kamoto Copper Company. Or dans cette région du Katanga, du minerai de cuivre est encore extrait par des adolescents et des enfants, notamment dans les mines artisanales de Tilwezembe. Cette même enquête mentionne qu’à proximité de Kolwezi, une usine hydro-industrielle exploitée par Kamoto Copper Company rejetterait de l’acide sulfurique dans la rivière Luilu et la contaminerait, provoquant l’empoisonnement de la population locale, voir :
https://www.radiookapi.net/2016/09/11/actualite/environnement/kolwezi-la-riviere-luilu-polluee-par-une-entreprise-miniere »
Je me demande, en tant que citoyen de ce pays, pourquoi le Canada garde le silence sur cette question ? Pourquoi, lorsque notre ambassadeur en RDCongo parle, il omet systématiquement de commenter ces faits ?
En République Démocratique du Congo, les violations des droits humains sont quotidiennes, contraires à un travail digne : « Tout travailleur doit se voir respecter ses droits fondamentaux au travail issus des normes internationales qui définissent des principes universels tels que l’interdiction du travail forcé, la non-exploitation des enfants, la liberté syndicale ou le respect d’une durée maximale du travail ». (Déclaration universelle des Droits de l’Homme – 1948).
Les médias relatent régulièrement les conditions de travail inacceptables dans les mines de cobalt (essentiel pour nos téléphones mobiles) et de cuivre. Des travailleurs gagnent « des salaires extrêmement bas, souvent bien inférieurs au salaire de subsistance de 402 USD par mois, soit la rémunération minimale pour garantir un niveau de vie décent » sans accès à une couverture de santé ou d’accidents de travail alors que c’est le cas au Québec.
Une étude publiée en novembre 2021 par RAID :
https://www.raid-uk.org/sites/default/files/raid_et_cajj_-_la_route_de_la_ruine_francais.pdf révélait que les entreprises minières en Afrique y compris les compagnies canadiennes, ont recours à la sous-traitance pour subvenir à leurs besoins en ressources humaines, afin d’éviter de se plier aux lois congolaises en matière de protection du travailleur ; en fait, plus de la moitié (57%) de la main-d’œuvre est fournie par des sous-traitants. La loi « exige que les employeurs couvrent les frais liés aux soins de santé des travailleurs embauchés en contrats à durée indéterminée et à durée déterminée, et ceux des familles à charge ». Or la Kamoto Copper Company (*) recrute 44% de sa main d’œuvre de cette manière « les sociétés utilisent ce modèle comme une stratégie délibérée pour réduire leurs coûts, limiter leur responsabilité en matière de sécurité des travailleurs et éviter que ces derniers adhèrent à des syndicats ». La couverture santé devient extrêmement importante dans un environnement de travail qui n’est pas exempt d’accidents et où « des médecins et des directeurs d’hôpitaux observent régulièrement des problèmes de santé chroniques et des invalidités causées par l’exposition aux produits toxiques et aux mauvaises conditions de travail ».
(*) Kamoto Copper Company, filiale de la Katanga Mining (On June 4, 2020, KatangaMining Limited (TSX:KAT) became a 100% Glencore group owned company and ceased to belisted on the Toronto Stock Exchang) https://www.katangamining.com/
Le 19 octobre 2021, des bulldozers ont procédé, sans information ni préavis, à la démolition de plusieurs maisons installées dans la cité minière de Durba, exploitée par la Kibali Gold Mining, dont la Barrick Gold (*) est actionnaire à 45%, parce que ces maisons étaient situées sur des terres exploitées par l’entreprise minière. Un enfant est décédé sous les décombres parce qu’il dormait. Or « Le code minier demande à ce que les communautés soient consultées à l’avance et donnent leur accord pour être délocalisées ou indemnisées si l’entreprise estime que ses activités pourraient avoir un impact de manière négative sur la vie des populations qui vivent aux alentours ». Les populations ont manifesté contre cette démolition surprise, mais ont été réprimées par les forces de l’ordre faisant plusieurs morts.
https://observers.france24.com/fr/afrique/20211026-rd-congo maisons- d%C3%A9truites-gisement-or-durba-kibali-gold-mining
(*) La compagnie Barrick Gold (la plus grande société minière aurifère au monde) ayant son siège social à Toronto, « est au septième rang des sociétés minières les plus controversées de la planète ».
Droits des femmes
Le 15 février dernier un article très intéressant a été publié par Actualité CD informant sur l’initiative prise par l’ambassadeur canadien en RDC, qui a réuni un groupe d’ambassadeurs pro-droits des femmes pour discuter avec le premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde divers aspects relatifs à la situation des femmes en RDC :
https://actualite.cd/index.php/2022/02/16/rdc-sama-lukonde-discute-du-genre-et-de-lautonomisation-de-la-femme-avec-la-delegation
Voici un aperçu des thématiques abordées : la question d’égalité des sexes, la place des femmes dans la politique en RDC, l’autonomisation de la femme, les violences basées sur le genre, ainsi que la perspective de l’intégration de ces aspects dans la loi électorale.
On ne peut que saluer une telle initiative. Cependant, je ne peux éviter de remarquer que la terrible situation des femmes victimes de l’exploitation minière en République Démocratique du Congo est passée sous silence. On a beau parler de prévention de la violence basée sur le genre, des victimes de la guerre avec l’Ouganda, de la place des femmes dans la politique, on reste muet sur la condition des femmes qui doivent travailler dans les régions minières où des sociétés canadiennes se sont implantées pour exploiter les ressources du pays (incluant les ressources humaines) sans aucune protection ni garantie d’aucune sorte, victimes d’abus de tout genre, exposées à la contamination, aux travaux physiques pénibles mais nécessaires à la survie, etc.
Pour illustrer mes propos voici quelques extraits de l’article publié par The Conversation sur ce sujet : (https://theconversation.com/dans-les-mines-du-congo-des-femmes-enceintes-et-des-enfants-vivent-dangereusement-164273)
« En 2018, la RDC a profondément modifié son code et son règlement minier pour, entre autres, bonifier l’encadrement des exploitants artisanaux, améliorer les droits de la personne et assurer de meilleures conditions de travail dans les sites miniers.
Alignée sur les normes internationales pour assurer la traçabilité et la certification des minerais, la nouvelle législation minière interdit le travail des femmes enceintes et des enfants dans les mines.
L’obligation des exploitants miniers de restaurer le milieu après extraction, la diminution de la période de stabilisation fiscale de dix à cinq ans et l’annulation des anciennes conventions minières sont également prévues, si bien que toutes les entreprises minières sont désormais soumises au code minier ».
40 kg sur les dos des femmes enceintes !
Mais dans la réalité, sur le terrain, les conditions de travail dans les sites miniers demeurent préoccupantes. La présence de nombreuses femmes, souvent enceintes, ainsi que d’enfants à la recherche des minerais est remarquable dans les sites miniers du Sud-Kivu, notamment. Cette main-d’œuvre est appréciée par les exploitants miniers parce qu’elle est peu coûteuse. Mais ces femmes et ces enfants mettent leur vie et leur santé en péril.
Les femmes préparent la nourriture pour les creuseurs, transportent les bagages, puisent l’eau, pilent les pierres (quartz), lavent le sable.
Elles reçoivent un dollar américain pour un sac de 40 kg transporté sur leur dos, sur une distance de près de quatre kilomètres. La même somme est payée pour une bassine d’environ 10 Kilos de quartz pilé.»
Des sociétés telles que la Banro Corporation, dont le siège social se trouve à Toronto, font de très bonnes affaires en RDC dans la région mentionnée par l’article et ce n’est qu’une parmi d’autres compagnies siégeant au Canada qui y exploitent les ressources minières (et humaines) de la RDC.
Or l’initiative canadienne de discuter sur les droits des femmes à la veille du 8 mars est très louable, mais… elle a évité avec soin, de parler de la condition des femmes en RDC.
Je me demande comment il se fait que le Canada, un pays engagé à promouvoir les droits de la personne, à éradiquer le travail des enfants dans le monde, à promouvoir l’égalité des sexes… n’élève pas la voix par l’entremise de ses représentants à l’étranger, contre ces violences et face à des événements qui nous interpellent dans ce qu’il y a de plus précieux, de sacré dans nos valeurs ?
Les représentants du Canada en République Démocratique du Congo, ne devraient-ils pas dénoncer et condamner les violations faites aux droits des travailleurs, aux droits des femmes, le travail des enfants, lorsque les droits les plus élémentaires sont ainsi bafoués ?
Il est déjà extrêmement choquant que des entreprises minières canadiennes soient impliquées dans les faits aussi lamentables que ceux mentionnés mais il est tout aussi révoltant que nos représentants à l’extérieur ferment les yeux sur une telle situation.
Pour plus d’informations, voici un document très utile :
« Paradis sous terre », rédigé par Alain Deneault et William Sacher :
https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2413022?docref=HImpZQIa4BX 3rUzdjQIkeQ