La série « Des féministes qui humanisent » est une séquence d’entretiens dans laquelle des personnes impliquées dans différents aspects de la construction d’une santé intégrale racontent comment le féminisme a changé leur vision, leur manière d’agir et leur conception des pratiques de santé. Cette série vise à susciter des réflexions sur le genre, le féminisme et la santé, en plus d’être un espace de réflexion et d’autonomisation.

On peut lire les articles précédents de la série ici :

Des féminismes qui humanisent. 01- Nidia Kreig

Des féminismes qui humanisent. 02- Diana Bañuelos González

Des féminismes qui humanisent. 03- Alejandra Romo Lopez

 

Par Laura Hernández García

María Belén Echavarría, âgée de 27 ans, mère d’une petite fille de 9 ans, vit à Villa Gobernador Gálvez, une ville de la province de Santa Fe, en Argentine. Elle est étudiante en droit à l’université nationale de Rosario, et travaille dans une organisation non officielle axée sur la santé appelée Multisectorial de la Salud y la Vida VGG (Villa Gobernador Gálvez), une petite bourgade de Santa Fe, en Argentine. Elle est militante et référente d’une organisation féministe non officielle appelée Movimiento de Mujeres en Lucha VGG et également militante *justicialiste (organisation politique de l’Argentine), (NdT. Le Parti justicialiste a été fondé en 1946 par le général Perón]

REHUNO : Qu’est-ce que le féminisme pour vous ? Qu’est-ce que vous considérez comme étant de nature féministe ?

María Belén Echavarría : Je m’identifie au féminisme, car j’en suis venue à lutter, à rompre, avec tout ce que les femmes ont dû subir pour adapter leur vie culturelle, juridique et sociale, pendant des siècles, aux us et coutumes du patriarcat. Où nous avons toujours été des êtres diminués. Toujours sur le côté et en dessous du « sexe fort ».

Aujourd’hui, le féminisme traverse la vie des femmes, car je crois absolument que toutes les femmes nous avons été opprimées et rendues vulnérables, à un certain moment de la vie, peut-être certaines à un degré plus ou moins important, mais toujours du simple fait d’être femme.

REHUNO : A partir de quel événement êtes-vous devenue féministe ?

María Belén Echavarría : Je suis devenue féministe à cause de situations qui ont été révélées il y a quelques années dans ma famille. À cette époque, ma vie est tombée en déchéance, je ne comprenais pas pourquoi tout cela était arrivé.

Quand j’étais triste à cause de tout ce qui se passait, j’ai commencé à comprendre et à saisir ce que signifiait la lutte féministe. Et je pense, avec tout ce que nous avons souffert, comment ne pas l’être ? Comment ne pas lutter contre le machisme qui chosifie le corps des femmes, des femmes trans, des filles et des garçons, y compris en sachant qu’ils sont de leur propre sang, et sans se soucier de leur consanguinité, c’est l’autre dont ils abusent et qu’ils dénigrent ? Comment puis-je détourner le regard d’une telle aberration ? Il y a malheureusement de nombreux cas dans la société, plus que nous ne pouvons l’imaginer.

À ce moment, j’ai senti que la meilleure chose que je pouvais faire c’était de militer pour le féminisme.

REHUNO : Les événements que vous relatez ont-ils fait l’objet de poursuites judiciaires, l’État est-il intervenu ?

María Belén Echavarría : Oui, l’Etat est intervenu.

REHUNO : Comment le fait de connaître le féminisme ou d’être féministe a-t-il transformé votre vie ?

María Belén Echavarría : Ma vie a pris un virage à 180 degrés. Et j’ai ressenti l’essence du féminisme avec la sororité.

Le patriarcat était déterminé à nous transformer en ennemies. Les unes montées contre les autres, semant la haine et l’insécurité entre nous, le mâle veut que nous soyons jolies et minces, sinon une autre arrive plus jolie et plus mince que nous et « nous le vole « .

C’est comme si, pour donner un exemple, j’avais changé de paradigme, changé ma façon de me comporter avec les autres femmes, à savoir que nous ne sommes pas des ennemies, que nous ne sommes pas en compétition les unes avec les autres, que l’insécurité n’était pas personnelle mais installée par la culture machiste.

Aujourd’hui, je veux que la femme soit libre, libre de penser, de s’habiller, d’aimer, d’étudier et de travailler, libre d’être mère ou non. Je crois que le féminisme, à travers la sororité, brise ce qui a été installé entre nous, cela nous rassemble, parce qu’aujourd’hui si quelque chose arrive à l’une d’entre nous, elle n’est plus seule, il y en a elle a beaucoup derrière elle qui se lèveront pour elle, même si elles ne se connaissent pas, et ça c’est quelque chose de très beau. Cela a changé ma vie de savoir qu’aucune n’est seule.

REHUNO :  Comment le féminisme a-t-il transformé votre vision d’étudiante et celle de votre environnement de travail, en apportant une aide aux autres femmes et à la société ?

María Belén Echavarría : Quand j’ai commencé à étudier, je ne comprenais pas grand-chose aux questions de genre et certains professeurs non plus. J’ai appris le droit sans tenir compte de l’égalité des sexes. Mais aujourd’hui, je regarde tout d’un œil féministe. Par exemple, nous, les femmes, avons souffert de la chosification dès que nous avions un nom de famille à la naissance, et ensuite, lorsque nous nous sommes mariées nous sommes passées à celui de ce mari, notre nom de famille au moment du mariage était toujours suivi « de (et le nom de famille du mari) ».

Cela a changé avec la Réforme du code civil en 2015.

Ou la femme qui a été privée de sa liberté pour avoir avorté. Ou lorsqu’on a demandé à la femme, après qu’elle ait été violée, ce qu’elle portait.

La différence est que le féminisme nous a appris le point de vue du sexe qui est si nécessaire dans le domaine de la justice et du droit. De ce fait aujourd’hui, j’ai un point de vue sexospécifique lorsqu’il s’agit d’étudier et d’aider d’autres personnes opprimées ou des sociétés vulnérables. J’ai l’intention d’appliquer tout ce que j’ai appris et même davantage, de présenter des projets de lois qui favorisent l’égalité et qui nous protègent.

REHUNO : En outre, vous faites partie d’une société de soins de santé multisectorielle. Comment ses membres vous considèrent-ils en tant que féministe ?

María Belén Echavarría : Ils le prennent très bien, mes collègues sont des personnes qui accompagnent la lutte féministe, ils comprennent la nécessité des changements structurels pour lesquels le féminisme lutte. Par exemple, il se bat pour la réouverture de la maternité dans notre hôpital public.  Nous nous battons depuis l’année dernière, et depuis le 29 juillet le projet est à la Chambre des députés de Santa Fe, ça a été une grande réussite.

La maternité a été fermée en 2007 et certains conseillers avaient demandé sa réouverture, mais rien n’a été fait. Imaginez à quel point nous sommes heureux que cette organisation sociale soit parvenue à l’Assemblée et qu’aujourd’hui, il est très probable qu’elle y revienne. C’est grâce à cet espace qui se bat aussi pour les droits des femmes de Villagalvences.

REHUNO : Quels pourraient être, selon vous, les moyens de diffuser le point de vue féministe ?

María Belén Echavarría : La diffusion des féministes doit être massive, car cette diffusion sauve des vies. Pour sauver des vies, il ne peut y avoir aucune limite à leur diffusion, comme par exemple les journaux et les magazines, la radio, les réseaux sociaux, les chaînes de télévision, tous les prestataires publics et les médias qui existent doivent être présents.

Les lois et règlements, qui visent à ordonner le comportement des gens, il est intéressant de pouvoir prendre cela comme un autre moyen de diffusion ; par exemple dans la loi sur le harcèlement de rue, qui interdit et sanctionne le fait de draguer des laiderons ou pas, c’est ça la chosification de la femme.

De nombreuses lois et réglementations qui protègent les plus vulnérables ont été promues ou dictées par des gouvernements à tendance justicialiste.

REHUNO : Pensez-vous que le féminisme soit une affaire de femme ? Est-ce que cela exclut les autres sexes ?

María Belén Echavarría : Le féminisme, les femmes peuvent militer pour cela; je ne peux pas imaginer des hommes avec tous leurs privilèges dans une marche. Mais je pense que c’est l’affaire de tous.

REHUNO : Pensez-vous des médias qu’ils promeuvent ou non les valeurs du féminisme ?

María Belén Echavarría : Actuellement je pense qu’ils ne les promeuvent pas, je constate la chosification, je vois comment ils essaient de réduire notre lutte à celle de femmes rancunières brisant un édifice. Je pense que pour certains cela fait partie de la révolution. La révolution ne s’est jamais faite en demandant un « s’il vous plaît » et un « merci ». J’ai le sentiment que les valeurs féministes ne s’appliquent pas dans la plupart des médias.

REHUNO : Il y a un terme, qui a été entendu en Argentine, « Machirulo », quelle interprétation lui donnez-vous ? [NdT. Machirulo : terme intraduisible en français, mélange entre machiste (machi) et proxénète (chulo).]

María Belén Echavarría : C’est un terme que j’ai entendu pour la première fois de la part de l’actuelle vice-présidente de la nation, le Dr Cristina Fernández de Kirchner : Il s’agirait d’un homme de pouvoir qui ne respecte pas le droit, ou qui porte atteinte à une femme, ou qui se comporte de manière machiste.

 

Traduction de l’espagnol, Ginette Baudelet

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