Par John Scales Avery*
Dans l’écriture chinoise, le mot « crise » est représenté par deux caractères. L’un d’eux, pris seul, signifie « danger ». L’autre, considéré seul, signifie « opportunité ». Une crise conduit presque toujours à de grands changements. Il y a un danger que ce changement soit pour le pire. Mais il y a aussi la possibilité de changer la société pour la rendre meilleure – de la réformer et de l’améliorer. Ces deux voies sont présentes dans une crise comme celle que nous traversons actuellement. Nous devons nous employer de toutes nos forces à faire en sorte que la société prenne le bon chemin.
Notre crise actuelle
En pleine pandémie COVID-19, qui est en soi une crise, de nombreuses villes américaines ont déclenché des protestations massives contre le meurtre insensé par la police, encore une fois, d’un homme noir – George Floyd. Le pays est profondément divisé. Dans le monde entier, des manifestations antiracistes ont eu lieu, d’une part par sympathie avec les manifestants américains, d’autre part parce que le racisme existe dans de nombreux pays.
Donald Trump, qui a été élu sur une plateforme ouvertement raciste, et qui a été raciste en paroles et en actes durant son mandat, a réagi en menaçant d’utiliser l’armée américaine contre les citoyens de son propre pays, en traitant les manifestants de « vauriens et lâches », et en disant aux gouverneurs : « Si vous ne les maîtrisez pas, vous perdez votre temps ».
Après s’être caché dans un bunker de la Maison Blanche, Donald Trump a ordonné aux officiers de lui dégager un passage afin qu’il puisse être photographié tenant une Bible devant l’église épiscopale St John. Les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes et des grenades éclair contre les manifestants pacifiques sur Lafayette Square.
Les menaces de Trump d’utiliser les troupes fédérales étaient trop graves pour le secrétaire à la défense, Mark Esper, qui a insisté pour que le personnel militaire « soit utilisé en dernier recours, et seulement dans les situations les plus urgentes et les plus extrêmes ».
Un autre reproche est venu de l’ancien secrétaire à la défense de Trump, James Mattis, qui a déclaré : « Donald Trump est le premier président de mon vivant qui n’essaie pas d’unir le peuple américain. Nous savons que nous méritons mieux que l’abus de pouvoir dont nous avons été témoins à Lafayette Square. Nous devons rejeter et tenir responsables ceux qui, au pouvoir, se moqueraient de notre constitution ».
Que se passera-t-il si Trump perd les élections de 2020 mais refuse d’abandonner la Maison Blanche, prétendant que les votes ont été mal comptés ? Les militaires le soutiendront-ils ? Ce danger doit être pris en compte. Nous devons nous souvenir du témoignage devant le Congrès de l’ancien associé de Trump, Michael Cohen, qui a déclaré : « Je crains que s’il perd les élections en 2020, il n’y aura pas de transition sereine du pouvoir ».
La Grande Dépression a amené Hitler au pouvoir
La pandémie actuelle de COVID-19 a eu un impact économique énorme. Les économistes craignent qu’elle ne produise une dépression comparable à la Grande Dépression des années 1930. Il est intéressant de comparer ce qui s’est passé à l’époque avec ce qui pourrait se produire aujourd’hui.
La Grande Dépression a amené Hitler au pouvoir. Avant que la dépression économique ne frappe, les nazis étaient un parti très minoritaire, ne remportant que 3 % des voix au Reichstag lors des élections de 1924. Mais aux élections de 1932, les nazis ont remporté 33 % des voix, plus que tout autre parti. En 1933, Hitler a été nommé chancelier et chef du gouvernement allemand.
Au Danemark, la Grande Dépression a conduit à une réforme sociale
En net contraste avec ce qui s’est passé en Allemagne, la crise de la Grande Dépression a conduit le Danemark aux réformes sociales qui ont rendu le pays aussi prospère et heureux qu’il l’est aujourd’hui.
Le 30 janvier 1933, des représentants des travailleurs et des employeurs se sont réunis dans l’appartement du premier ministre danois, Thorvald Stauning. Pendant toute la journée et jusque tard dans la nuit, ils ont discuté des solutions possibles à la crise économique, mais ils n’ont pas pu se mettre d’accord. Finalement, après minuit, Stauning a offert un whisky à ses invités épuisés, afin qu’ils puissent se détendre un peu. Comme par magie, le whisky a semblé dissoudre les différences qui séparaient les délégués, et un accord historique a été conclu. Il s’est révélé être le modèle de l’État-providence danois.
Le Danemark a des impôts très élevés, mais en contrepartie, ses citoyens bénéficient de nombreux services sociaux, tels que des soins de santé gratuits. Les impôts sont fortement progressifs, de sorte que les riches paient beaucoup, et les moins riches très peu. Ainsi, le contraste entre les riches et les pauvres est très réduit au Danemark. C’est une forme de socialisme, mais en même temps, le Danemark a une économie de marché.
S’il les étudiants remplissent les conditions requises pour suivre un enseignement universitaire, la scolarité est gratuite et ils reçoivent une allocation pour leurs frais de subsistance. Les mères, ou les pères, peuvent prendre un congé payé jusqu’à 52 semaines après la naissance d’un enfant. Après cette période, une crèche est toujours disponible, afin que les mères puissent reprendre leur travail. Lorsque l’enfant devient trop grand pour la crèche, des garderies sont toujours disponibles.
Pour les enfants en âge d’aller à l’école, il existe des centres périscolaires où les enfants peuvent pratiquer des activités artistiques et manuelles ou d’autres activités encadrées jusqu’à ce que leurs parents rentrent à la maison après le travail.
En 2017, le Danemark s’est classé deuxième au monde (après la Norvège) dans le rapport mondial sur le bonheur. Certaines années, le Danemark s’est classé 1er. Pour établir le rapport, les chercheurs demandent aux habitants du pays s’ils sont heureux et enregistrent le nombre de personnes qui répondent « oui ». Il est intéressant de noter qu’au Danemark, les femmes sont les plus heureuses de toutes.
Le Danemark a également été l’un des leaders dans la lutte contre l’urgence climatique, en démontrant que la stratégie du Green New Deal, largement débattue, peut réellement être mise en pratique.
Quel chemin allons-nous prendre ?
La crise actuelle mènera sans aucun doute à de grands changements, mais s’agira-t-il de prises de contrôle par des dirigeants néo-fascistes tels que Trump ? Ou s’agira-t-il de réformes sociales, comme celles initiées au Danemark par Stauning ? Le Green New Deal fera-t-il partie de notre reconstruction après la crise économique actuelle ? Nous nous trouvons à un moment critique de l’histoire. Chacun d’entre nous a la responsabilité d’agir de toutes ses forces pour amener nos sociétés à faire le bon choix.
* John Scales Avery (né en 1933 au Liban de parents américains) est un chimiste théoricien réputé pour ses recherches en chimie quantique, thermodynamique, évolution et histoire des sciences. Depuis le début des années 1990, Avery est un militant actif pour la paix dans le monde. Durant ces années, il a fait partie d’un groupe associé aux Conférences Pugwash sur la science et les questions relatives aux problèmes mondiaux. [IDN-InDepthNews – 11 juin 2020]
Traduit de l’anglais par la rédaction francophone