Par Hervé Andrés
En France, la question du droit de vote des étrangers est en débat depuis de nombreuses années. Cette proposition a été promise plusieurs fois par le Parti socialiste. En 2012, elle figurait au programme de François Hollande, qui a gagné l’élection présidentielle. Elle figurait aussi au programme de la majorité présidentielle qui a gagné les élections législatives en 2012 et elle comptait également sur une majorité favorable au Sénat à partir de 2011. Pourtant, cette promesse n’a pas été tenue depuis le printemps 2012 et les élections municipales ont eu lieu au printemps 2014 sans que tous les résidents (y compris étrangers) puissent voter.
Depuis le traité de Maastricht (1992), les citoyens européens peuvent voter aux élections municipales et européennes dans tous les pays de l’Union européenne. Une majorité des pays européens ont accordé le droit de vote (au moins aux élections municipales) à tous les résidents, y compris les non-Européens. Mais la France reste très restrictive et pour les élections municipales et européennes, seuls les Français et les Européens peuvent voter. Les 2/3 des résidents étrangers, qui sont originaires de pays hors de l’Union européenne, sont donc tenus à l’écart des urnes.
Cela pourrait sembler un problème peu important au regard du peu d’intérêt des citoyens en général pour les élections (l’abstention grandit constamment depuis de nombreuses années). Mais qui peut affirmer qu’avoir ou pas le droit de vote est sans importance ? Qui peut affirmer que le fait d’être privé du droit de vote est sans conséquences pour le vécu personnel et collectif des étrangers et leurs rapports aux citoyens nationaux ?
Aujourd’hui, le droit de vote est devenu le principal outil, à la fois instrumental et symbolique, de la citoyenneté, c’est-à-dire de la participation politique à la vie de la cité. Instrumental ? Le droit de vote est l’instrument par lequel les citoyens prennent part directement aux décisions politiques qui les concernent (qu’il s’agisse de démocratie directe ou représentative). Les décisions qui sont prises à l’issue d’un scrutin nous apparaissent légitimes mais si nous ne sommes pas d’accord avec elles car elles bénéficient du soutien d’une majorité de voix. Symbolique ? Le droit de vote a une valeur plus symbolique qu’instrumentale, car le plus souvent, les scrutins ne se jouent pas une voix près. Par contre, le droit de vote matérialise auprès pour chaque citoyen l’appartenance à la communauté politique. L’exclusion du droit de vote marque l’exclusion de la communauté politique.
On a beaucoup menti aux citoyens en leur faisant croire que les Etats nations étaient l’expression politique des peuples. Dans cette fable, le suffrage soi-disant universel a été utilisé pour justifier la légitimité des gouvernements. Le peuple est soi-disant souverain car il vote. Mais si une partie du peuple (par exemple, les étrangers qui vivent sur un même territoire, partagent la vie économique, sociale, culturelle des nationaux) est préalablement exclue du droit de vote, alors il convient de se demander qui a décidé de cette exclusion. C’est l’Etat qui a décidé préalablement de définir qui sont ses citoyens (ses nationaux) et qui sont les étrangers (les autres). Du coup, le mensonge de l’Etat éclate au grand jour, car c’est bien lui qui passe d’abord pour définir qui a le droit de vote et qui ne l’a pas. Au fond, l’exclusion des étrangers du suffrage universel prouve que l’Etat n’est pas issu de la décision du peuple, mais que c’est lui qui décide d’abord de définir les frontières du peuple. Cette exclusion prouve que la démocratie ne peut pas être réelle si elle n’entre pas en contradiction avec la logique oligarchique de l’Etat nation.
Ainsi, lutter pour le vote des étrangers, ce n’est pas apporter naïvement des suffrages supplémentaires aux gouvernements, c’est affirmer la logique subversive de la démocratie universelle contre l’oligarchie.