Raul Magni-Berton, Université Grenoble Alpes pour The Conversation
L’un des principaux points de revendication lors du mouvement des « gilets jaunes » a été le Référendum d’initiative citoyenne – le RIC. Une revendication qui a été largement relayée par la presse nationale entre décembre 2018 et mars 2019 mais qui, depuis, fait de moins en moins la une dans le débat public.
Avec l’essoufflement du mouvement des « gilets jaunes » et la mobilisation importante des derniers mois sur la réforme des retraites, l’appel à la démocratisation par le RIC a perdu sa force. En fait, le refus catégorique de cette mesure de la part de la majorité en place semble avoir découragé ses soutiens.
Pourtant, le RIC local, et plus généralement la démocratisation de la vie locale, sera l’un des enjeux des prochaines élections municipales.
Cette revendication n’est certes plus dans la rue ni dans les médias, mais elle continue à faire son chemin dans des cercles plus restreints. Plusieurs associations visent à consulter les citoyens sur la forme que peut prendre un RIC, à l’image d’Objectif RIC ou de Culture RIC.
Plusieurs référendums locaux organisés par les habitants ont été lancés, à Grenoble entre le 14 et le 20 octobre 2019 ou à Saint-Affrique dans l’Aveyron le 11 novembre.
Enfin, depuis un an nous voyons émerger des think tanks, groupes de pression, mobilisations locales visant à instaurer le RIC au niveau national et local. Des instituts se spécialisent également sur ce processus et sa mise en place concrète en France, comme l’Institut de recherche territoire démocratique dont je suis membre.
Des initiatives à concrétiser lors des municipales
Les élections municipales constitueront la première étape qui permet d’évaluer l’activité de ces groupes. Plusieurs personnes impliquées dans le mouvement des « gilets jaunes » ont choisi, au niveau municipal, soit de lancer une association pour faire pression sur les candidats, soit de créer des listes citoyennes indépendantes de tout parti politique, soit encore d’entrer dans des listes soutenues par des partis politiques à la condition d’exiger le RIC.
C’est le cas par exemple, de la France Insoumise, d’Europe Écologie les Verts ou du Rassemblement national.
Promouvoir le RIC au niveau local n’est pas un combat évident. La France est un pays très centralisé et bien peu de compétences sont déléguées, qu’il s’agisse du niveau local, et encore plus municipal. Cependant, promouvoir le RIC au niveau local est une stratégie qui vise avant tout à refaire vivre cette revendication, à la faire connaître aux citoyens et à l’exercer concrètement.
Illégalité de la mesure
Le principal problème lié à cette revendication au niveau municipal est que le RIC est, en tant que tel, illégal.
Plus généralement, les communes n’ont pas la prérogative qui consiste à décider comment elles vont prendre des décisions, puisque celle-ci revient à l’État et apparaît dans le Code général des collectivités territoriales. D’après celui-ci, les deux instruments clefs du RIC – la pétition et le référendum – sont prévus, mais d’une façon qui n’est pas compatible avec le fonctionnement du RIC. Ce dernier prévoit qu’une pétition puisse déclencher automatiquement un référendum dont le résultat est contraignant pour les pouvoirs publics. Par conséquent, il s’agit d’une procédure où, à aucun moment, les représentants ont leur mot à dire.
Or, quatre dispositifs prévoient l’utilisation de la pétition ou du référendum.
D’autres mesures déjà prévues
Tout d’abord, il existe dans la Constitution la possibilité de lancer une pétition pour demander l’inscription d’une question à l’ordre du jour d’une assemblée locale.
Il n’y a pas encore de texte d’application de ce dispositif, mais les communes peuvent y faire appel dans la mesure où il s’agit d’un droit constitutionnellement protégé. Cependant, ce droit ne permet pas de déclencher un référendum.
Il existe également la consultation d’initiative populaire, selon laquelle 20 % des inscrits peuvent déclencher un référendum à travers une pétition, mais ce référendum n’est pas contraignant pour les pouvoirs publics.
D’où son label « consultation », qui signifie qu’il est consultatif. Il faut également noter que le déclenchement du référendum n’est pas contraignant non plus, si bien qu’à chaque étape le conseil municipal peut arrêter le processus.
Par ailleurs si les consultations à l’initiative de la collectivité territoriale existent, elles ne prévoient ni d’initiative citoyenne, ni de référendum contraignant.
Enfin, si le référendum local lui est bien contraignant, il faut que la participation atteigne 50 %. Et, l’initiative de ce référendum revient au conseil municipal.
Un guide pour le RIC
Au-delà de ces dispositifs, aucune autre procédure ne peut être mise en place, sous peine d’être dénoncée par le préfet et annulée par le juge administratif. Le dernier cas en date remonte à 2018, quand la municipalité de Grenoble a vu son RIC – appelé Interpellation et votation citoyenne – annulé de cette façon. Dès lors, il est préférable se contenter des dispositifs existants. La méthode la plus intuitive est de pousser les candidats à utiliser la consultation d’initiative populaire, comme le fait efficacement le Comité de liaison pour l’initiative citoyenne. Ce comité est devenu un véritable lobby pour promouvoir le RIC, en rassemblant les personnes morales qui défendent cette institution et en faisant pression sur les élus.
Cependant, il existe une alternative juridique pour mettre en place un RIC au niveau local bien plus efficace que la consultation. Les détails sont donnés dans le « Guide pour mettre en place le Référendum d’initiative citoyenne dans une commune dès aujourd’hui » en accès libre sur le site de l’Institut de recherche Territoire démocratique et auquel j’ai moi-même participé.
La préconisation de ce guide, écrit à l’origine pour la mise en place du RIC à Grenoble, a été reprise par plusieurs listes candidates aux élections municipales, dont deux des trois citées plus haut.
Il s’agit d’enchaîner trois dispositifs parfaitement légaux : le vœu, la pétition et le référendum local.
Trois dispositifs cruciaux
Tout d’abord, il faut que le conseil municipal formalise son intention politique d’octroyer ce nouveau droit aux citoyens à travers un acte écrit, mais non contraignant. Ceci peut se faire par le vœu.
Cela signifie que le conseil municipal demande au maire d’être saisi sur toute question faisant l’objet d’une pétition écrite par les citoyens et remise au conseil municipal ; c’est une subtilité légale qui permet d’engager le conseil municipal et le maire, tout en n’ayant pas de valeur légale. Il ne confère donc pas un « droit » mais un engagement à faire comme si ce droit existait.
Ainsi, le tribunal administratif de Paris a considéré en 2011 qu’un vœu du conseil de Paris tendant à ce que le maire le saisisse de certaines pétitions n’était pas contraire au droit. Cette étape consiste à rendre crédible le dispositif aux yeux des citoyens.
La deuxième étape consiste à utiliser le droit de pétition pour demander l’inscription d’une question à l’ordre du jour d’une assemblée locale inscrit dans la constitution. Il s’agit ici de mettre concrètement en œuvre le dispositif.
Puisque ce dispositif pétitionnaire n’est pas réglementé par la loi, chaque commune est libre de réglementer comme il le souhaite. Ainsi, elle peut s’engager à rendre compte de toute pétition qui atteint un seuil entre 1 % et 5 % (selon la taille de la commune), ou elle peut également accepter les signatures des résidents non nationaux. Il s’agit d’une procédure assez courante qui, si elle ne débouche pas habituellement sur un référendum, fait souvent l’objet de débats au sein des conseils municipaux, comme, par exemple, c’est le cas à Strasbourg.
Finalement, l’engagement du conseil municipal consiste à mettre en place un référendum local sur tout objet de pétition qui atteint le seuil requis.
Le référendum local n’est contraignant que si le seuil de 50 % de participation est atteint. Si ce seuil n’est pas atteint, le conseil municipal est libre de suivre ou non le résultat majoritaire. Ce seuil est très exigent : il est non seulement très rarement atteint pour les référendums, mais aussi pour les élections locales. Il est donc important que le conseil municipal s’engage auprès des citoyens à suivre systématiquement l’avis majoritaire même si le seuil de participation n’est pas atteint.
Est-ce que cela fonctionne ?
Cette formulation a deux avantages et un inconvénient. Premièrement, elle combine trois dispositifs légaux, et est donc légale face au juge administratif (même s’il y a encore un risque dans l’interprétation du vœu). Deuxièmement, il permet de construire un RIC basé sur des seuils de signatures abordables et sur des institutions contraignantes.
Il a été démontré que des seuils trop hauts conduisent à des dispositifs inopérants, et des dispositifs non contraignants découragent l’utilisation du RIC comme instrument de contestation, en lui enlevant ainsi sa première qualité.
L’inconvénient majeur de ce dispositif – comme tous les autres qui peuvent être mis en place au niveau local à l’heure actuelle – est qu’il repose sur la bonne volonté des élus. Un inconvénient de taille, mais qui ne pourra pas être évité. Comme noté plus haut, le RIC local aura plus une valeur pédagogique et expérimentale qu’une valeur proprement institutionnelle.
Actuellement, des dispositifs démocratiques sont proposés par les différentes listes, même s’ils sont plus ou moins opérants. Une autre initiative de chercheurs – le Participomètre – vise à étudier et donner les moyens à tous d’évaluer l’aspect démocratique des programmes des candidats aux municipales.
Pour la première fois, les programmes peuvent être comparés dans chaque commune par les internautes comme les chercheurs. « Les résultats des évaluations sont publiés et mis en parallèle de ceux résultant de l’évaluation réalisée par les chercheurs » indique le site du Participomètre. Parmi les dispositifs évalués, le référendum d’initiative citoyenne aura une place de choix.
Raul Magni-Berton, Professeur de sciences politiques, Sciences Po Grenoble, UMR Pacte, Université Grenoble Alpes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.