Des milliers de personnes (12 000 selon la police municipale et 100 000 selon les organisateurs) se sont rassemblées à Barcelone pour revendiquer le droit à un logement décent. Sous le slogan « Baissons les loyers, mettons fin à la spéculation immobilière », les syndicats de locataires et le Mouvement pour le logement ont encouragé des mobilisations simultanées dans plus de 40 villes d’Espagne. Leur objectif : mettre fin à la spéculation immobilière et exiger des mesures efficaces pour réduire le prix des loyers.

Des colonnes venues de différentes régions de Catalogne et de Barcelone ont convergé à 18 heures sur la Plaza de España. La journée s’est terminée sur l’Avenida María Cristina, devant une scène où ont eu lieu des discours et des projections audiovisuelles.

Selon les organisateurs, l’événement a rassemblé plus de 4 000 organisations de différents milieux, dont la communauté éducative, les pompiers, les groupes féministes, les professionnels de la santé, les militants écologistes, les plateformes anti-guerre et les syndicats, entre autres.

Les discours ont été prononcés par les grévistes de La Caixa, les habitants du bidonville de Vallcarca, les représentants du bloc La Moreneta, du bloc Dar Zwina et les porte-parole des organisations de la Taula Sindical per l’Habitatge : Sindicat de Llogateres, Confederació Sindical d’Habitatge de Catalunya, Plataforma d’Afectats per la Hipoteca et Sindicat d’Habitatge Socialista.

Nous soulignons les commentaires suivants tirés des discours :

La porte-parole du Sindicat de Llogateres, Carme Arcarazo, a reproché aux gouvernements de n’avoir « rien fait » dans le domaine du logement et leur a demandé de « s’opposer au pouvoir immobilier ».

Àgueda Amestoy, l’une des cent locataires de Banyoles, Sitges et Sentmenat qui ont entamé une grève des loyers ce mois-ci contre La Caixa pour empêcher la privatisation des logements subventionnés. Elle a annoncé « Faisons une grève des loyers pour défendre le logement public ».

Mariona Parra, enseignante pour le droit à un logement décent, représentante du personnel éducatif de la municipalité de Salt, a défendu le fait qu’une éducation de qualité n’est pas sans lien avec la situation sociale des étudiants, « on ne peut pas apprendre quand on est sur le point d’être expulsé et de perdre sa maison ».

Mario Aspano, du collectif des pompiers contre les expulsions, a pris position contre les expulsions : « Sauver des vies est notre travail, mais nous sommes obligés d’expulser des gens et de les condamner à la pauvreté ».

Enric Aragonès, représentant du Sindicat de Llogateres de Cataluña, a déclaré : « Les gouvernements n’ont rien fait, mais nous n’avons pas arrêté. Si les gouvernements n’arrêtent pas les locations saisonnières, nous le ferons. Nous nous dirigeons vers une grève des loyers comme acte de désobéissance ».

Anaïs Izcarro, de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca, a parlé au nom du bloc squatté de La Moreneta. Il s’agit d’un immeuble à Sant Celoni, appartenant à Sareb, qui reloge huit familles en situation de vulnérabilité. « L’histoire de la Sareb est l’histoire d’un vol massif. Sareb est à nous et ses maisons aussi ». Anaïs appelle à la résistance de tous les blocs en lutte et rappelle qu’ils ont remporté des victoires face aux grands fonds vautours.

Mouad Kassoubi, du bloc dar zwina à Premià de Mar, explique que «la classe ouvrière mondiale a un rôle important à jouer. Certains disent que nous, les immigrés, devrions être plus intégrés et invitent les gens à rejoindre ce mouvement».

Marta Espriu, de la Confederació Sindical de l’Habitatge de Catalunya, a déclaré que « les hypothèques et les loyers sont un moyen de s’enrichir avec nos maisons ».

Les loyers exorbitants et leurs conséquences sur la classe ouvrière

Le prix exorbitant des appartements loués rend l’accès au logement difficile pour une grande partie de la population, ce qui précarise la classe ouvrière et affecte particulièrement les jeunes, qui sont empêchés de construire un projet de vie stable. Cette crise affecte les principales villes du pays depuis des décennies. Si, lors de la bulle immobilière de 2007, le principal problème pour de nombreuses familles était le paiement de l’hypothèque, ce qui a entraîné une vague d’expulsions, depuis 2014, la situation a changé : les prix des loyers ont augmenté de manière exorbitante, rendant l’accès à un logement décent encore plus difficile.

Dans les villes à forte affluence touristique, la situation est encore plus grave : la prolifération des locations saisonnières et la pression du tourisme ont déplacé les habitants de leur propre quartier, tandis que les conditions de travail dans le secteur sont devenues de plus en plus précaires.

Face à cette situation, le syndicat de locataires (Sindicato de Inquilinas) a lancé un grand appel qui a réussi à rassembler 40 villes dans une manifestation historique pour le droit au logement.

La situation du logement en Catalogne

La situation du logement en Catalogne reste critique. Selon les données de l’Institut Català del Sòl, le prix moyen des loyers à Barcelone en 2025 est de 1 117 euros par mois. Bien que le plafonnement des loyers imposé par le gouvernement ait permis de réduire ce prix de 6,4 % (de 1 193 à 1 117 euros), il reste inabordable pour une grande partie de la population. Dans les municipalités déclarées zones tendues, le loyer moyen est de 878 euros, après une réduction de 911 euros par mois due au plafonnement du prix des loyers.

Si l’on compare ces chiffres au salaire moyen en Catalogne (24 255 euros par an, selon l’Institut statistique de Catalogne) ou au salaire minimum (1 184 euros par mois), la difficulté d’accès au logement apparaît clairement : de nombreux locataires consacrent plus de 50 % de leurs revenus au loyer, voire, dans certains cas, la totalité de leur salaire.

Les facteurs aggravants de la crise du logement

1. Pénurie de logements sociaux locatifs

Selon les données de l’Observatoire de la Vie et du Logement (Observatorio de Vivienda y suelo), l`Espagne a l’un des taux les plus bas de logements sociaux locatifs en Europe : seulement 3,3% du parc total de logements, c`est-à-dire 3,3 logements pour 100 ménages. En revanche, des pays comme les Pays-Bas (29 %), l’Autriche (24 %), le Danemark (20 %) et la France (17 %) ont développé un important parc de logements publics. En Espagne, la politique du logement a traditionnellement été axée sur la vente, sans véritable engagement en faveur de la location sociale.

2. Baisse de la construction de logements

La construction de logements en Espagne a atteint son apogée en 2007, avec 650 000 nouveaux logements. Cependant, après la crise immobilière, le secteur a connu un ralentissement et en 2016, à peine 40 000 logements ont été construits, soit le niveau le plus bas depuis des décennies (selon les données du ministère des travaux publics).

3. Réduction drastique du nombre de logements publics

Dans les années 1980, l’État construisait environ 100 000 logements subventionnés par an, selon les données du ministère du logement et de l’urbanisme. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 10 000 logements par an. La disparition en 2012 des prêts bonifiés pour la construction de logements subventionnés a été un facteur clé de cette chute.

4. Déqualification des logements sociaux

En Espagne, les logements subventionnés sont soumis à une période de restriction au terme de laquelle ils peuvent être vendus ou loués sur le marché libre. Ce système, qui facilitait autrefois l’accès au logement pour de nombreuses familles à revenus faibles ou moyens, a entraîné la perte de milliers de logements subventionnés chaque année, réduisant encore le parc de logements publics.

5. Reprise par des investisseurs et boom des locations touristiques

Depuis 2015, le marché de l’immobilier connaît un phénomène nouveau : une grande partie du parc de logements a été rachetée par des investisseurs ou destinée à la location touristique. Le manque d’offre a fait grimper les prix beaucoup plus vite que les salaires, aggravant la crise du logement.

Cette situation a attiré l’attention des médias internationaux. Le New York Times a récemment publié un article identifiant Barcelone comme le « ground zero » de la crise du logement en Europe, pointant du doigt la pénurie d’offre et les prix exorbitants comme les principaux problèmes.

6. Écart entre les salaires et les prix des logements

Le modèle néolibéral des dernières décennies a entraîné une perte croissante du pouvoir d’achat pour la majorité de la population, les prix d’achat ou de location des logements augmentant beaucoup plus vite que les salaires, obligeant de nombreuses familles à consacrer une part disproportionnée de leurs revenus au logement, les faisant basculer dans la pauvreté. En conséquence, l’accès au logement est devenu un obstacle à l’émancipation des jeunes, retardant leur indépendance et générant des effets sociaux et démographiques.

Mesures pour tenter d’atténuer la situation

Face à l’inquiétude croissante de la société face à la crise du logement, les gouvernements espagnols, régionaux et locaux ont mis en œuvre diverses mesures pour tenter d’atténuer la situation. La loi 12/2023 sur le droit au logement fixe des limites au prix des loyers en Espagne, bien qu’elle ne soit entrée en vigueur jusqu’à présent qu’en Catalogne. Cette même loi oblige les promoteurs à allouer un minimum de 30 % des nouveaux logements construits à des logements subventionnés, dont un pourcentage doit être alloué à la location sociale. En outre, certains conseils municipaux ont restreint l’octroi de nouvelles licences pour les appartements touristiques, et le gouvernement catalan a annoncé un plan de construction de 50 000 nouveaux logements locatifs sociaux.

Cependant, des organisations telles que le Syndicat des locataires considèrent que ces mesures sont insuffisantes et ont appelé à un rassemblement pour exiger des solutions plus ambitieuses. Leurs principales revendications sont les suivantes :

  1. Une baisse de 50 % des loyers. Les prix actuels sont insoutenables et asphyxient des millions de personnes.
  2. Des contrats de location à durée indéterminée. Tous les 5 à 7 ans, nous sommes expulsés de nos logements pour augmenter les loyers, ce qui provoque des milliers d’expulsions invisibles. Nous avons besoin de contrats à durée indéterminée pour pouvoir développer des projets de vie dans nos logements.
  3. Récupération des logements vides, touristiques et saisonniers. Alors que l’on parle de pénurie de logements, des centaines de milliers de logements sont utilisés à d’autres fins que le logement permanent. Il faut les récupérer pour qu’ils remplissent une fonction sociale.
  4. Mettre fin aux achats spéculatifs. Le logement ne peut être un investissement. L’achat de logements non destinés à l’habitation, qu’il s’agisse de fonds vautours ou de rentiers individuels, doit être interdit.
  5. Augmenter le parc de logements sociaux et dissoudre la SAREB. Il est nécessaire d’augmenter le parc de logements sociaux, mais pas par des constructions massives, mais par le retour des logements de la SAREB dans le parc de logements sociaux et par l’expropriation. Le modèle actuel de logement social cherche à assurer le profit des promoteurs privés avec l’argent public. Nous avons besoin d’un modèle qui élimine les exigences de revenu minimum, ajuste les prix en fonction du revenu des ménages et crée un système de logement locatif 100 % public à perpétuité.

Le logement abordable, une urgence pour l’avenir de l’Europe

Dans le contexte d’une grave crise du logement qui touche de nombreuses villes européennes, la décision de nombreux Etats de l’Union européenne, conformément aux exigences de l’OTAN, d’allouer une part importante de leur budget aux dépenses de défense, augmentant ainsi l’endettement de l’UE dans son ensemble, au lieu de promouvoir des politiques de logement ambitieuses et structurelles, est particulièrement frappante.

La difficulté d’accès au logement n’est pas un problème local ou ponctuel, mais une menace pour le modèle social européen avec des effets sur la santé mentale, les inégalités, la pauvreté, la natalité, etc. L’Europe doit revoir ses priorités et s’orienter vers un investissement décisif et soutenu dans le logement abordable, pilier fondamental de la cohésion sociale et du bien-être. L’Union européenne doit promouvoir un plan d’investissement majeur dans les politiques de logement, en s’inspirant de l’effort public consenti après la Seconde Guerre mondiale, lorsque plusieurs gouvernements ont promu des stratégies visant à garantir l’accès universel à un logement décent. Ces mesures comprenaient la construction massive de logements sociaux, la régulation des loyers, l’aide à l’achat et à la construction de logements, ainsi que la promotion des coopératives et des modèles de gestion collective.

De même, les droits fondamentaux tels que l’accès universel à une éducation et une santé de qualité sont menacés par une tendance croissante à la privatisation des services publics. Dans ce contexte, il est crucial d’unir les efforts et de renforcer les initiatives en faveur de la défense de ces droits, en garantissant l’égalité d’accès à l’ensemble de la société.