Un journaliste hors du commun vient de nous quitter après une vie héroïque de combat pour un monde meilleur. Il collaborait à l’Agglorieuse depuis ses débuts dans l’esprit du Canard Enchainé : dans son ‘bébé’ comme il l’appelait, il pourfendait sans concession les affairistes corrompus, les politiciens incompétents et avides. Ce justicier de la plume y défendait sans relâche et avec humour l’intérêt général, ainsi qu’une écologie politique de bon sens et sans arrière-pensée intéressée.
Par Pierre Jouventin et Christian Puech (*)
Nous qui l’avons rencontré presque chaque semaine depuis plus de vingt ans, nous nous devons d’en faire l’éloge car sa modestie l’a empêché de se mettre en valeur alors que ses prises de position étaient hardies. Certains le considéraient comme fou, se demandant pourquoi il a exercé le métier de journaliste tout sa vie sans être salarié et sans rechercher le moindre avantage personnel. Il défendait la liberté de pensée et la laïcité républicaine.
Il avait commencé le combat étudiant comme membre de l’UNEF, proche des jeunes socialistes. Puis secrétaire et intime de Pierre Maurois, ses convictions l’avaient fait remarquer et il lui avait été proposé de faire carrière dans la politique. Pour comprendre pourquoi doué aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, il n’avait pas donné suite, il faut dire un mot de ses origines. Né en France dans un camp de réfugiés républicains espagnols (son père était devenu mineur de Decazeville), Donato Pelayo était trop intègre pour profiter de la politique et trop fier pour solliciter les électeurs.
Normalien, il avait plus de diplômes qu’il n’est demandé par l’Éducation Nationale pour enseigner dans le secondaire. Parlant couramment l’espagnol et connaissant parfaitement la littérature de son pays d’origine, il avait de plus passé pour le plaisir plusieurs certificats universitaires d’économie et commencé une thèse sur Camus avant que ce dernier revienne à la mode. Sa connaissance de l’histoire de notre pays et de son monde politique était impressionnante mais il préféra instruire la jeunesse à Alès puis à Montpellier. Outre ses ‘loisirs’ de journaliste dans plusieurs journaux, la rédaction de centaines d’articles et d’un pamphlet d’économie politique, il a poursuivi pour vivre une carrière de professeur de français. Grand ami d’écrivains, d’intellectuels et d’artistes, c’est lui qui a fait redécouvrir Joseph Delteil, écrivain surréaliste majeur dont ‘La tuilerie’, à l’entrée de Grabels, tombe aujourd’hui en ruine et va être remplacée par une salle de spectacle…
Ses origines espagnoles, la colonisation, la guerre d’Espagne, et les ouvrages des grands écrivains progressistes Latino-Américains, comme Gabriel Garcia Marquez, Carlos Fuentes ou Mario Vargas Llosa, l’incitèrent à se rendre au Guatemala par exemple, où son empathie pour le destin tragique des natifs le rapprocha des « américanistes ».
Déçu par les clientélistes ‘saucialistes’ (selon son mot) et par le monde politique, revenu de la franc-maçonnerie trop souvent affairiste, refusant de rester soumis ou défaitiste, cet érudit, féru d’histoire et imprégné de culture humaniste, a choisi d’exister en tant qu’hétérodoxe engagé dans les grandes causes et les combats du ‘mundillo’ montpellierain. Bref une « race » d’hommes en voie de disparition, honnie des politiques d’aujourd’hui. Fin observateur de la vie de la cité et souhaitant s’exprimer, il fut avec le Directeur Tristan Cuche l’un des deux fondateurs de l’Agglorieuse où sa plume élégante, humoristique mais sans concession, fit merveille et scandalisa bien des détenteurs du pouvoir local.
Il regrettait que la ville de Montpellier n’ait pas eu depuis un demi-siècle un maire d’une ouverture d’esprit à la hauteur de la cité universitaire qu’elle est depuis huit cents ans.
Sa rubrique savoureuse en vieux français, rabelaisienne d’esprit, ravissait les lecteurs lettrés, mais il avait dû y renoncer, trop occupé par ses enquêtes d’investigation. Connaissant la difficulté que les personnalités originales ont dû affronter pour s’exprimer et être reconnues, Donato Pelayo leur rendait justice chaque semaine jusqu’à récemment par une biographie express. Sa savante rubrique ‘Ils ont vécu ici ‘ lui demandait de longues recherches bibliographiques mais le remplissait d’admiration pour nos prédécesseurs remarquables.
Donato exerçait sa profession de journaliste comme un sacerdoce, prenant sur ses fragiles épaules toute la misère du monde, sans prendre soin de sa santé et sans attendre la moindre reconnaissance. Il laisse ses amis dans une grande tristesse. Lucide sur la fragilité de la vie comme sur la nature humaine mais très courageux jusqu’à la fin, il débattait encore de son état de santé avec détachement il y a quelques jours. Son sens de la famille était aigu et il suivait avec passion les études de ses quatre petits-enfants. Son épouse Denise, sa sœur Pepa, ses enfants Laure et Gilles peuvent être fiers d’avoir eu pour ascendant un tel ‘honnête homme’ qui, dans ce monde malade, redonne de l’espoir en l’avenir.
(*) Les Auteurs
Pierre Jouventin a été pendant quarante ans Directeur de recherche au CNRS et pendant treize ans Directeur de laboratoire CNRS d’écologie des animaux sauvages.
Christian Puech est un explorateur, défenseur de la forêt amazonienne et des peuples premiers, photographe, chercheur en anthropologie, militant écologiste engagé, président de l’Association : « Témoins au bout du monde ».