Nous ne croyons guère dans la volonté ni la capacité des puissants à cheminer vers la paix. Mais comme nous sommes toujours plus attirés par les solutions que par les commentaires, nous tentons tout de même cette petite suggestion.
Pour ce que nous ne sommes pas
Et si l’on cessait :
- d’avoir la plus belle avenue du monde et que l’on se réjouissait simplement d’avoir de superbes avenues dans nos belles villes
- d’avoir la meilleure cuisine du monde et que l’on se contentait de se régaler
- d’avoir les meilleurs vins et fromages du monde et que l’on se satisfaisait de les déguster
- d’être le pays le plus romantique du monde et que l’on s’aimait, tout simplement
- D’avoir les meilleurs couturiers du monde, les plus beaux monuments du monde, d’avoir organisé les plus beaux J.O. de tous les temps…
Et si l’on arrêtait de se mettre en compétition avec le monde entier et de se la péter en s’autoproclamant les champions de tout ou presque.
Forts de cette vantardise de tous les instants, on aurait aussi la meilleure constitution du monde, une démocratie incroyable que l’univers devrait nous envier, et tout le toutim.
Pourtant, être le meilleur n’est que l’autre branche de cet arbre pourri qui nourrit également la branche du plus fort que l’on brocarde tellement aujourd’hui.
Pour ce que nous ne sommes pas (bis)
Nous sommes depuis longtemps une des têtes de pont de la civilisation évoluée, en lutte contre toutes les barbaries. Et il n’est pas exclu que l’on en devienne l’ultime rempart si l’on en croit les mythos qui nous dirigent. Car nous sommes une grande nation et nous devons nous occuper des affaires du monde.
Vu l’état de celui-ci, il n’est pas interdit de se demander si l’on n’aurait pas mieux fait de ne pas s’en mêler du tout. D’autant que notre influence vire à la frénésie désespérée d’une puce sur un éléphant. Le monde fonctionne très bien ou très mal sans nous et si nous cessions de gober notre propagande, nous verrions que nous n’y sommes pas pour grand-chose. Nos politiques sur la scène internationale ressemblent de plus en plus à « cette danseuse ridicule » de la corrida de Cabrel.
Il paraît que nous sommes maintenant devenus la ceinture de chasteté de l’Europe. On ne sait pas très bien à quoi correspond ce concept d’Europe, si inclusif ou si exclusif selon les opportunités. Comme d’habitude, il formaté à la petite semaine par les faucons pour justifier leurs pulsions guerrières et vendre à qui veut l’entendre la nécessité d’une nouvelle ligne Maginot morale ou économique. C’est selon qu’ils sont hypocrites ou honnêtes.
Dormez en paix, peuples d’Europe (de l’Atlantique à l’Oural ?), la France veille sur vous. Remarquez, cela permet à des chroniqueurs en mal de sujet de se sentir de nouveau inspirés pour ne rien proposer d’autre que des insultes inutiles et nous annoncer la fin du monde si…
La France à la tête d’une Europe réarmée, voilà donc la parure de notre nouvelle fatuité.
On se demande bien pourquoi se réarmer ? D’une part, soit la dissuasion nucléaire est réellement efficace et on est cool, soit on nous a pris pour des courges ? Alors, on ne répond rien ? D’autre part, il suffirait de quelques fusils ou d’une bonne bombe à la Boris Vian pour tuer tous ces dirigeants sanguinaires et leurs galonnés. Il faut juste trouver des dirigeants courageux… Manifestement, ceux-là préfèrent créer des armes pour tuer des braves gens qui s’en fichent de nous comme on s’en fiche d’eux, mais qui seront, comme nous, manipulés par des poltrons qui ont peur de la paix.
Occupe-toi de ton pays, il ne va pas si bien
« Occupe-toi de ton couple, il ne va pas si bien » était un adage populaire que l’on servait à tous ceux qui s’occupaient des problèmes matrimoniaux des autres.
Précisons d’emblée deux choses. Nous n’avons nulle intention de faire du dénigrement à l’égard de la France, où beaucoup de choses vont très bien, mais où il demeure de graves problèmes à gérer. Secondement, s’occuper de ses affaires ne signifie absolument pas revenir à une forme de nationalisme égoïste, bien au contraire. Nous développerons ce sujet dans un futur article, mais ne mélangeons pas tout.
Il s’agit simplement d’adopter un choix qui relève de deux arguments simples.
- Concentrons nos moyens d’action et nos urgences politiques vers nos concitoyens. C’est d’ailleurs autour de ces priorités que sont élus les politiques, pour ne pas dire pour cette unique tâche.
- Acceptons que nous sommes un pays ordinaire dont le poids sur la destinée du monde est assez insignifiant. L’illusion de notre puissance internationale est due à trois éléments.
- Un reste d’influence malsaine en Afrique et un peu en Asie sur les bases de notre colonialisme d’antan.
- Une présence géostratégique en plusieurs points du monde, en grande partie liée à notre passé colonialiste.
- Enfin, un alignement quasi-permanent sur les États-Unis qui donne une illusion de puissance lorsque l’on joue le fier-à-bras à l’abri de leur bouclier et rangé sur leurs positions ; sinon, zéro ! Par exemple, à quoi ont servi dernièrement les offuscations ridicules de notre président au Moyen-Orient, même avec le président américain précédent ? À rien. Et dès que l’on n’est plus aligné sur les positions des USA ? Il ne reste que des gesticulations théâtrales célébrées par notre presse nationale. Qui prétendra sérieusement que face aux grandes puissances de ce monde, nous fassions autre chose qu’illusion et figuration ? Citez-nous, dans les 20 dernières années, des interventions politiques françaises, voire armées, qui ont favorablement changé le cours de l’histoire ? Même le très élégant et éclairé discours de monsieur de Villepin à l’ONU en 2003 n’a pas empêché la guerre en Irak.
Équation générale de notre influence réelle sur la marche du monde : contorsions ampoulées + beaucoup d’argent et de moyens = 0.
Quant à la sympathie de tous les va-t-en-guerre pour notre fabuleuse industrie de l’armement, ce n’est pas de l’influence, c’est du business.
Qu’on ne nous parle pas non plus du conseil permanent du « machin » où l’on fait de la représentation.
Restons donc à notre place et occupons-nous un peu de notre pays qui en a besoin. Les pays dans lesquels nous intervenons aujourd’hui sont toujours en guerre et nous n’avons pas souvenir que nous ayons empêché quelques massacres que ce soient, ni quelques génocides, même lorsque notre armée était à deux pas.
Pas si mal, finalement
Nous ne sommes pas le pire pays du monde et beaucoup de choses fonctionnent plutôt bien. En revanche, nous savons les grandes fractures. Il y a beaucoup à faire socialement. Beaucoup à faire contre la pauvreté et les précarités alimentaires et de logement. Il y a beaucoup à faire pour la sécurité physique et psychologique de ceux qui vivent dans des environnements de menace et de violences. Il y a beaucoup à faire contre la délinquance et ses conséquences économiques et sociales. Il y a beaucoup à faire pour un accès parfaitement équitable à la justice. Il y a encore à faire pour l’accès aux soins, à un environnement sain et durable, à l’éducation, etc.
Mais ne perdons pas de vue la qualité de ce qui est fait. La qualité de nos systèmes de protection sociale. La liberté d’accès et de participation à la vie politique, syndicale, associative… La qualité de nos équipements de santé, culturels, éducatifs. Même si on peut évidemment toujours faire mieux dans tous les domaines.
Peut-être que si l’on ne voulait pas sans cesse être les champions du monde de tout, serions-nous plus aptes à apprécier et aimer notre qualité de vie ? Sûrement que si nous cessions de faire semblant d’être les régulateurs du monde, nous aurions une politique plus proche des citoyens, de leurs problèmes et nous trouverions ensemble des solutions et une meilleure harmonie sociale.
Rapprocher le pouvoir des citoyens est considéré par beaucoup comme un moyen efficace de lutter contre les sirènes des politiques autoritaires : mais pourquoi ne le fait-on pas ?
Et sur l’aspect international ? Échangeons avec les autres, avec tous les autres, économiquement et politiquement, sans se prendre pour ce que l’on n’est pas. Collaborons et ne rentrons plus dans une compétition stérile. Arrêtons avec ces coquelets en rut qui n’ont d’autres buts que de chercher la castagne pour cacher leur impuissance.
Et si d’autres pays font de même, nous verrons poindre l’espoir d’un monde plus collaboratif où chacun tente de gérer ses problèmes avant de chercher à régler ceux des autres. Il serait plus juste de dire de chercher à imposer ses solutions aux autres, ce qui est la réalité insupportable des politiques internationales.
Et si un jour, nous réalisons la société parfaite que nous prétendons bêtement avoir déjà atteint, alors, nous attirerons peut-être les autres vers notre modèle. Nous n’aurons plus besoin d’imposer. Nous séduirons par notre modestie et notre pacifisme, y compris nos concitoyens.
Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d’espoir », Éditions L’Harmattan
Image : Craiyon.com