Les déclarations radicales du nouveau président américain ont galvanisé la société et le gouvernement canadiens. Elles ont uni les Canadiens et amélioré considérablement les chances du parti libéral au pouvoir de remporter les prochaines élections. Le président Trump a constamment menacé d’annexer le Canada, ce qui ferait plus que doubler le territoire des États-Unis. Il s’est adressé à plusieurs reprises au premier ministre canadien en le qualifiant de « gouverneur du 51e État ». Il a également appliqué de nouveaux droits de douane drastiques (tarifs dans le langage de Trump) sur les importations en provenance du Canada, une mesure qui aurait un impact négatif sur l’économie canadienne.

Ces bouleversements ont mis en relief la dépendance du Canada à l’égard des États-Unis. Ce n’est pas la première fois que les risques d’une telle dépendance deviennent évidents. Lors de la récente épidémie de COVID-19, des fournitures médicales étaient détournés par les Américains au détriment de la population canadienne.[1] À l’époque, j’avais plaidé pour que le Canada réduise sa dépendance vis-à-vis de son voisin du sud, diversifie ses chaînes d’approvisionnement et, plus généralement, restructure ses relations économiques et financières. Le leadership américain étant en déclin, j’appelais Ottawa à s’émanciper de Washington.[2]

Cependant, le gouvernement canadien n’a pas tenu compte de cet appel, aussi que de nombreux autres avançant le même argument. C’est d’autant plus ironique que le Canada a longtemps conseillé à l’Ukraine de prendre ses distances avec son puissant voisin, la Russie, depuis l’indépendance politique de l’Ukraine en 1991.[3]

On pourrait réduire la dépendance à l’égard des États-Unis en forgeant des liens plus étroits avec d’autres puissances. Pourtant, au lieu d’améliorer ses relations avec la Chine, l’Inde et la Russie – qui affichent toutes trois des taux de croissance économique impressionnants, respectivement de 5,2, 8,2 et 3,8 – le Canada les a plutôt détériorées. Le gouvernement canadien fait des tentatives apparemment ataviques de rapprochement avec l’Europe. Toutefois, le déclin de la santé économique de l’Europe rend au mieux incertaine la valeur d’une intégration économique avec elle. Les sanctions européennes contre la Russie – adoptées à la demande de Washington – et la destruction d’un important gazoduc en provenance de ce pays, très probablement aussi par les États-Unis, ont sérieusement ébranlé l’Allemagne (taux de croissance moins 0.3), considérée comme la locomotive industrielle de l’Europe. Les ouvertures du Canada à l’égard de l’Europe pourraient donc s’avérer insuffisantes pour compenser le dommage fait par son puissant voisin méridional.

Dans l’un de ses derniers discours en tant que Premier ministre,[4] M. Trudeau a réaffirmé la détermination de son gouvernement à résister aux actions punitives des États-Unis. Il a déploré que « les États-Unis aient lancé une guerre commerciale contre le Canada, leur plus proche partenaire et allié, leur plus proche ami. En même temps, ils parlent de travailler positivement avec la Russie, d’apaiser Vladimir Poutine…». Ce genre de reproche ne risque pas d’adoucir la position de M. Trump.

Étant donné que le Canada s’est engagé à augmenter son budget militaire, on pourrait supposer que cela vise à dissuader la menace la plus explicite – l’annexion par les États-Unis. Aucun autre pays ne cherche à mettre fin à l’existence même du Canada. Toutefois, l’accent mis sur le renforcement de ses forces armées est officiellement justifié par la menace perçue de la Chine et de la Russie, ainsi que par la nécessité d’aider l’Ukraine à soutenir son effort de guerre. Les forces canadiennes restent profondément intégrées à leurs homologues américaines et, en tout état de cause, il est impensable de recourir à la résistance armée pour sauvegarder l’indépendance du Canada. Il y aurait peu de bénévoles au Canada prêts à suivre l’erreur tragique de l’Ukraine de combattre son voisin bien plus peuplé et puissant. Les ressources promises aux militaires devraient plutôt être utilisées pour renforcer l’État-providence, surtout, pour aider les personnes démunies dont le nombre ne cesse d’augmenter, et à réorienter l’économie canadienne vers des régions en pleine expansion. La décision du nouveau premier ministre de demander un examen de l’entente conclue avec Lockheed Martin visant à acquérir 88 chasseurs F-35 – un contrat de 19 milliards – est un pas dans la bonne direction.

Alors que le Canada est confronté à une véritable menace existentielle de la part des États-Unis, son gouvernement a besoin de chercher de nouvelles alliances. On ne peut qu’espérer que le nouveau gouvernement libéral de Mark Carney trouvera la force de prendre des initiatives audacieuses. Les changements radicaux qui se produisent à Washington exigent une transformation tout aussi radicale des relations internationales d’Ottawa.

Source en anglais : Russia in Global Affairs

[1] https://thehill.com/policy/international/americas/490969-trudeau-worried-supplies-meant-for-canada-have-been-diverted-to/

[2]  https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-05-02/le-canada-dans-le-monde-post-pandemique

[3] https://www.pressenza.com/fr/2025/01/la-politique-du-canada-en-ukraine-fais-ce-que-je-dis-pas-ce-que-je-fais/

[4] https://globalnews.ca/news/11065019/justin-trudeau-transcript-donald-trump-tariffs/