Une des causes des menaces démagogiques est l’assassinat de la politique par la politiquette. Par définition, celle-ci se fonde sur la démagogie et le champ émotionnel.
La politiquette joue des passions alors que la politique nécessite de s’appuyer sur la raison. On sait comment le romantisme a tué les espoirs nés des Lumières : émotions, exaltations nationalistes, romans nationaux, fausses identités historiques et toutes les tartufferies tragiques qui en ont découlé.
La pensée libre en politique est le socle d’une démocratie aboutie, car elle produit des citoyens responsables : un peu rebelles et résistants certes, mais responsables.
À l’inverse, la pensée politique embrigadée ouvre les portes à tous les mensonges et à toutes les manipulations.
Pour se prémunir de ce risque, nous avons adopté une petite stratégie que nous abrégeons en cinq lettres : P.H.A.S.E. Elles nous rappellent de nous protéger des cinq pièges tendus par la politiquette :
- L’Enthousiame et son expression la plus fréquente, les Applaudissements.
- La Haine et son expression la plus policée, les Sifflets.
- La Passion en général.
Ni Enthousiasme, ni Applaudissements
Lorsque l’on y réfléchit bien, ce sont souvent les événements que l’on a fêtés au champagne qui nous procurent plus tard les pires désillusions et les plus grandes peines. Cela est vrai dans de nombreuses circonstances de notre vie et tout autant en politique.
Ici, le responsable est le discours de séduction qui est devenu l’élément central de la vie démocratique. Et cela pour une raison évidente, puisque la démocratie représentative consiste à recueillir un maximum de suffrages. De ce fait, l’objectif du discours politique devient en priorité de séduire et d’enthousiasmer les citoyens que nous sommes. Un des principes de la séduction est de dire à l’autre ce qu’il a envie d’entendre pour emporter ses sentiments. La démarche rejoint le marketing (discipline que nous appelons pour notre part l’escrotique) : déterminer une cible et l’enchanter.
C’est de cette manière que sont cousus des discours alléchants qui ont pour but d’enivrer les foules. On y trouve pêle-mêle des pseudos valeurs partagées et diverses sortes de recettes miracles. L’enthousiasme en politique est comme l’amour : il rend aveugle et sourd. C’est grâce à cet égarement émotionnel que l’on recrute et exalte les fans de son camp politique. Ces fans deviendront les prosélytes et les avocats du camp, quitte à devoir tordre la réalité et nier toutes les évidences : ils sont pour !
Cette stratégie aboutit à faire oublier que la politique est la gestion de la cité au quotidien et non pas les simagrées affriolantes que nous impose la politiquette. Car cette dernière est exclusivement formatée pour créer des clubs de fans et tirer le ticket gagnant le jour venu.
Le prolongement absurde de tout cela est que l’on finit par applaudir les discours des politiques. L’Applaudissement du discours politique est le degré zéro de la politique. Il témoigne du début d’un endoctrinement, qui est lui-même le germe de tous les fanatismes. Un discours politique doit amener à réfléchir et certainement pas à applaudir. Le discours qui s’applaudit est, au mieux, un slogan, mais plus souvent une démagogie, un vulgaire racolage, de la retape de bazar, un petit entre-soi animé par un gourou de pacotille.
Rêvons d’un meeting politique où personne n’applaudirait… La politiquette commencerait à être en danger.
Le citoyen libre ne s’enthousiasme pas et n’applaudit pas. Il regarde, il écoute, il échange pour s’enrichir de la différence, il réfléchit, il analyse les faits. Le moment venu, il décidera dans l’isoloir.
N’oublions pas que l’élection ne dure qu’un jour, alors que le pouvoir sera exercé pendant des années. Et c’est malheureusement pour ce seul jour que la politiquette bafoue la politique et s’agite durant des années pour embrigader un maximum de serfs dont elle se fiche par ailleurs. L’enthousiasme et les applaudissements ne valent que pour ce jour de gloire. Le citoyen enjôlé aura largement le temps de voir s’il n’est pas devenu un citoyen berné.
Ni Haine, ni Sifflets
L’enthousiasme a bien évidemment son pendant et la politiquette ne saurait s’en priver. Il ne suffit pas de « raser gratis », il faut encore faire fructifier toutes les frustrations de la vie quotidienne. Après avoir construit son camp, il reste à désigner ses ennemis pour rallier ceux qui pourraient reconnaître les mêmes ennemis. C’est en partant des frustrations et des peurs que l’on élabore alors le triste mur des Haines. Autrement dit, après la mobilisation par enthousiasme de ses amis, la politiquette va élargir son cercle de fans à la haine partagée. L’échec des autres est un plat savouré. Il est d’autant plus simple à préparer que le camp d’en face avait tout promis, y compris ce qu’il savait irréalisable. Mais, peu importe l’objet du ressentiment, puisqu’il peut aussi être fabriqué de toute pièce. C’est le deuxième étage de la peste et il est brandi comme un trophée aux sifflets des fans de son camp. Degré zéro bis.
On comprend bien que certains aimeraient que l’on considère les sifflets comme une dégradation supérieure aux applaudissements, mais ce serait déjà avoir une pensée politique formatée. Ce n’est ni pire, ni mieux : les deux sont détestables. Ils sont le même tombeau de la pensée politique libre et du citoyen libre.
Le citoyen libre ne hait pas et ne siffle pas. Il regarde, il écoute, il échange, il réfléchit, il analyse les faits et décide en conscience.
Refuser la Passion pour revenir à la politique et résister à la politiquette
Si la démocratie veut sauver sa peau, il faudra qu’elle extraie le champ politique de la passion. Ce ne sont pas les champions de la politiquette qui le feront, mais les citoyens libres qui les y obligeront.
Le choix politique au moment d’un vote est grave puisqu’il est celui d’un pouvoir que l’on va confier. Et c’est uniquement dans l’exercice de ce pouvoir que l’on pourra juger de la pertinence de son choix.
Il est obscène (si, si !) de fêter les victoires électorales. Si l’on veut fêter quelque chose, c’est à la fin du mandat que l’on pourra le faire si le contenu a été à la hauteur des promesses et des attentes. Il n’est pas sûr que les centaines de milliers de personnes en liesse le soir des votes se retrouvent encore à faire la fête avec le même enthousiasme quelques années plus tard.
Tout cela est le cirque de la politiquette et le citoyen libre doit batailler en permanence contre ce mauvais cinéma en refusant d’y participer. On refusera par principe d’être un fan borné qui cesse de réfléchir, qui applaudit à toutes les salves de son camp et siffle tout ce qui émane d’un autre camp.
On parle de façon un peu blasée du taux d’abstention. Parmi ceux qui ne votent pas, on stigmatise ceux qui prétendent « s’en foutre ». Ce n’est pas parce que les partis politiques ont perdu beaucoup de leurs fans que la politiquette a reculé. Bien au contraire, la multiplication des acteurs médiatiques et la prise de parole publique d’un nombre de plus en plus important d’acteurs ne fait qu’amplifier les passions. La politiquette est devenue plus multiforme, mais elle active strictement les mêmes ressorts et les fanatismes se multiplient. Sa forme actuelle la plus insidieuse provient de groupes de pression et de leaders autoproclamés qui érigent leur moindre frustration en paranoïas communautaires. La politiquette patentée n’a plus qu’à récupérer l’objet de ce délit intellectuel et le tour est joué.
Ceux qui « s’en foutent » ne sont-ils pas, pour certains, des révoltés contre toutes ces mascarades. Car ceux qui ne croient plus en la politique ne l’ont en réalité jamais connue, ou si peu. Ce qu’ils ont connu, c’est cette politiquette qui abrutit le citoyen. Qui peut leur reprocher de refuser de continuer à jouer à ce jeu de rôle stupide et insignifiant.
Et la politiquette vivra tant que les citoyens libres ne seront pas plus nombreux et tant que nous pensons que nos passions ont quelque chose à faire en politique. Gardons plutôt ces belles passions pour d’autres choses tellement essentielles…
Dépassionner ne veut pas dire ne pas s’engager, bien au contraire. Cela veut dire s’engager de façon critique et c’est cela qui fera grandir la politique.
Rester ou devenir un citoyen libre en politique n’est pas si difficile. La recette est simple : sortir de la passion, ne plus s’enthousiasmer, ne plus applaudir, ne plus haïr et ne plus siffler. Il suffit de regarder, écouter, échanger, réfléchir, analyser et décider… en toute liberté.
Espérons que cet article reste une réflexion qui n’entraîne pas de passion.
Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d’espoir », Éditions L’Harmattan