Dans le cadre de la journée internationale de la Solidarité Humaine, Pressenza Montréal a rencontré Anne Farrell, qui vient de publier l’ouvrage Un sens de la vie qui défie la fatalité de l’extinction massive (Un sens de la vie qui défie la peur de l’extinction massive) publié aux éditions Henri Oscar Communication. Dans cet article nous présentons une interview réalisée le 19 décembre 2024.

Pressenza: Dans ton ouvrageUn sens de la vie qui défie la fatalité de l’extinction massive’, tu décris comment tes expériences avec le non-sens de la vie t’ont mené à entreprendre une quête d’un sens profond de la vie. Peux-tu nous expliquer ta démarche?

Certainement, durant mon enfance et adolescence j’ai été confrontée à l’expérience du non-sens de la vie à plusieurs reprises. Six membres de la famille de ma mère se sont suicidés à différents moments au cours de cette période. 

Plus tard devenu adulte, j’ai compris que ces expériences continuaient d’agir sur mes perceptions et sur le regard que je portais vers le futur. À 19 ans, j’ai eu la chance de rencontrer Colette et Marie-Claire, des femmes extraordinaires engagées dans le mouvement du nouvel humanisme à Montréal. Elles m’ont invité à participer à une expérience méditative guidée appelée l’expérience de la Force. Cette expérience m’a totalement renversée.  Le contact avec la Force m’a révélé la possibilité de transformer le non-sens en sens de la vie sans l’intervention de Dieu ou d’une autre entité. Mais, il m’a fallu plus de 25 ans pour résolument entreprendre une démarche qui mène à la révélation d’un sens profond. En fait, suite aux attentats de New York du 11 septembre 2001, j’ai ressenti l’urgence d’entreprendre une quête d’un sens profond de la vie. Cet événement m’a profondément ébranlée et j’ai compris que le monde sombrait de plus en plus dans la violence et la peur du futur. J’ai pris la ferme décision d’apprendre à dépasser cet état de non-sens en moi en diffusant les pratiques de la non-violence Active à travers le monde. 

Malgré mes bonnes intentions et mes actions pour diffuser la non violence, cet état de conscience me collait constamment à la peau. En 2004, j’ai commencé des études sur les états de conscience dans le cadre d’une maîtrise de recherche à l’université. J’ai étudié comment sont formalisées par la conscience les sensations de présence, d’immersion et de coprésence que les gamers expérimentent alors qu’ils interagissent dans les mondes virtuels. Ce sujet de recherche n’a apparemment rien à voir avec le sens de la vie, mais grâce à mon étude j’ai développé une connaissance plus élargie des mécanismes de la conscience et des phénomènes d’immersion de la structure psychophysique et du psychisme humain dans des états de conscience. 

La question de recherche de ma thèse était justement de savoir si les gamers étaient immergés dans un état de conscience qui leur permettrait d’élaborer des actions relativement complexes à partir d’une stimulation provenant d’une surface plate (écran tactile, ou écran d’un ordinateur). Mes hypothèses pour solutionner cette problématique m’ont amené à explorer la théorie de la psychologie de l’image proposée par Silo et l’esquisse des émotions de Sartre. Finalement, suite à une série d’observations et d’études de plusieurs groupes de jeunes gamers, je suis arrivée à la conclusion que les mécanismes de la conscience permettent le déploiement d’activités rapides et complexes grâce à la spatialité de l’image interne (image mentale). En fait, les gamers sont immergés dans un état de conscience appelé l’état de conscience de présence et de coprésence.  Ainsi en reprenant les concepts de Silo qui supposent que les sensations et les perceptions sont structurées à partir de l’appareil de sens, l’appareil de la mémoire et l’appareil de la conscience puis transformés en impulsions. J’ai pu expliqué comment ces impulsions sont par la suite projetées sous la forme d’images sur un écran mental appelé l’espace de représentation permettant ainsi aux gamers de mobiliser des actions à partir d’une surface plate afin activer les fonctionnalités des mondes virtuels et interagir avec d’autres gamers. 

Plus tard j’ai constaté que le non-sens que je ressentais face au futur, n’était pas un phénomène isolé à moi seule, mais qu’il s’agissait d’un état de conscience collectif dans lequel nous sommes tous immergés. Cet état de conscience s’appelle la conscience en danger. J’ai constaté que cet état de conscience limite les possibilités d’amplifier la liberté opérative de la conscience humaine et conséquemment limites nos capacités à gérer des situations existentielles de plus en plus complexes.

Puis j’ai voulu comprendre comment les données sensorielles de la présence d’un grand danger et d’une grande menace agissent sur la structure psychologique et le psychisme de l’espèce humaine. Comme je l’ai fait au cours de mes recherches universitaires, je me suis tournée vers les conceptions de Sartre et Silo pour mieux comprendre la peur et le danger. 

Sartre souligne que l’émotion n’est pas une simple conscience des manifestations physiologiques mais sa spécificité réside dans l’état de conscience qu’elle génère et dans le lien structuré qu’elle possède avec le monde.  

La conception de l’émotion de Sartre se démarque de la psychologie classique et de la psychanalyse. Alors que la psychologie introduit l’influence du psychisme sur l’apparition des émotions sans y chercher l’essence, l’approche psychanalytique analyse l’origine du processus émotionnel en situant celui-ci en dehors de la conscience, dans l’inconscient.

Pour Sartre dans la peur, il est évident que l’homme qui a peur a peur de quelque chose. Selon lui, la peur et le danger renvoie à une forme organisée de l’existence humaine et à la cohérence d’un ensemble de perceptions et de sensations de la réalité humaine et à des rapports avec le monde.

Cette transformation du monde peut avoir lieu au moment où l’être humain appréhende le monde, c’est-à-dire dans le moment présent ou, de façon rétrospective, par l’interprétation des expériences vécues. Sartre souligne que, la conscience émotionnelle est d’abord la conscience du monde. Face au danger, dit-il, c’est le corps qui, dirigé par la conscience, change ses rapports au monde.

Puis j’ai cherché à comprendre comment la structure historique du moment présent assigne le sens de la vie à l’être humain. J’ai découvert que depuis presque cent ans les événements en occident ont donné lieu à une existence humaine qui est essentiellement dominée par les sens provisoires et obscurcit l’accès à un sens profond de la vie.

En fait, j’ai observé que la menace d’extinction massive qui a manqué plusieurs générations au cours de la deuxième guerre mondiale à travers les génocides, les famines, l’holocauste, la destruction massive d’être humain avec la bombe nucléaire continuait d’agir sur la structure psychophysique et le psychisme de l’être humain. Actuellement, il y a plus de 2,000 bombes nucléaires prêtes à être larguées sur les grandes capitales mondiales et pourraient détruire des centaines de millions de personnes d’un seul coup. C’est tout de même ahurissant!

Ainsi, j’ai découvert que lorsque nous sommes immergés dans l’état de conscience en danger nous n’avons pas de registres (sensations et mémoire) de l’activité de l’instinct de conservation. Mais le psychisme reçoit tout de même des signaux indiquant que la structure psychophysique est en danger. Conséquemment, ces signaux agissent sur le corps, c’est le centre végétatif et les parties involontaires des autres centres qui mettent en marche des points de tensions distribués à travers l’intra-corps qu’on appelle le système de tensions vitales. Ainsi, une partie de l’énergie vitale de l’être humain, est en quelque sorte, sapée dans le maintien de l’état de conscience en danger et limite considérablement la liberté opérative de la conscience. 

Mais, j’ai aussi constaté que les choses ne sont pas aussi sombres qu’elles ne le semblent. Durant ma démarche j’ai expérimenté la présence d’une nouvelle sensibilité qui prend place de plus en plus dans le cœur de l’être humain. Dans ses ouvrages, Silo aborde à plusieurs reprises la naissance de cette nouvelle sensibilité. J’ai observé que cette sensibilité est guidée par la Règle d’Or et le principe de solidarité: lorsque tu traites les autres comme tu voudrais qu’il te traite, tu te libères.  En fait, j’ai découvert dans le perfectionnement de l’action valable que je me suis libérée de ma peur de l’autre.

Pressenza: Tu parles d’un état de conscience collective en danger formalisé par l’appareil de sens, l’appareil de mémoire et de registres face au danger, mais pourquoi pratiquement personne ne parle de l’existence de cet état de conscience?

Je crois que c’est important de spécifier que nous vivons dans une société qui nous renvoie l’idée que les événements dans le monde se déroulent en dehors de nous et semblent n’avoir aucun lien avec le corps et la conscience. En fait, j’observe tous les jours comment les médias et les institutions sociales nous renvoient des représentations qui renforce la croyance que le monde est vécu comme extérieur au corps et au mental. 

Mais, lorsque je m’observe du point de vue existentiel, je comprends que ma structure psychophysique est aussi perçue comme une partie du monde puisqu’elle agit sur le monde et reçoit l’action du monde et des autres. 

J’ai réalisé que les tensions géopolitiques extrêmement dangereuses entre les États qui possèdent l’arme nucléaire ne sont pas seulement présentes dans le paysage humain mais agissent actuellement à l’intérieur de mon corps et sur mon mental. 

Ainsi nous pouvons supposer que les producteurs de l’arme nucléaire (c’est-à-dire les États-Unis, la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël et sûrement d’autres) entretiennent la terreur planétaire d’une possible extinction massive et détournent depuis plusieurs décennies le sens de la vie des êtres humains vers des sens provisoires.

Mais, si personne ne parle de l’état de conscience en danger c’est surtout parce que nous partageons tous la même croyance: l’existence de l’ennemi. Tout le monde a appris à travers les représentations des institutions sociales, culturelles et religieuses à reconnaître l’existence de l’ennemi.  Tous nous avons appris qu’il est parfaitement normal que les guerres existent et que des milliers de bombes nucléaires soient actuellement braquées sur nous puisque l’ennemi est parmi nous et que nous devons le détruire avant qu’il ne le fasse. 

Ainsi, le destin collectif de l’espèce humaine est coincé dans une séquence d’actions et réactions dominé par l’activité instinctive de conservation de l’espèce humaine et cette perspective sur la réalité limite les possibilités d’évolution de l’être humain et s’ouvre vers l’anéantissement de la vie.

Cette séquence se présente comme suit dans le psychisme humain: la sensation qu’un danger avance, la peur de l’autre, la création de l’ennemi, la destruction de l’ennemi, la détente illusoire, puis le retour au début de la séquence avec le danger qui avance.  Dans ce retour de la séquence, nous sommes coincés dans une boucle d’exécutions qui mènent à la renaissance du sentiment de ressentiment et-ou de vengeance. Il peut s’agir, entre autres, de la réaction de vengeance de la génération qui suit celle qui a été touchée lors d’un conflit. 

Luz Jahnen explique dans son ouvrage Vengeance, violence et réconciliation, que la racine de la vengeance se retrouve dans notre appareil de conscience et fait appel à ce vieux mécanisme de défense et de survie pour défendre la structure psychologique contre un très grand danger. 

Il semble que depuis très longtemps la vengeance est le mode de solution du préjudice que l’autre nous a causé et a été institutionnalisé et accepté par les sociétés et les religions à travers l’histoire. 

C’est durant le règne d’Hammurabi, qui est l’un des plus longs de l’antiquité du Proche Orient, qu’a été institutionnalisée la vengeance. Pensons par exemple, tu me coupes l’oreille, alors l’État à travers ce code institutionnalisé te coupe l’oreille. Aujourd’hui nous avons encore un système de justice similaire mais il est plutôt soft.

Luz Jahen souligne que cette façon de faire pour régulariser les conflits interpersonnels a introduit une forme de compensation dans le traitement de l’autre. Mais malheureusement, cette forme de traitement et de compensation des uns et des autres n’a pas apporté de progrès au niveau des relations entre les peuples et entre les êtres humains. 

Dans cette forme de justice, nous ne pouvons jamais avoir l’accès à l’expérience de la paix intérieure et encore moins à la paix sociale qui mène à la réconciliation individuelle et sociale.

À certains moments peut-être que la croyance de l’existence de l’ennemi a été importante pour l’être humain. Mais aujourd’hui, nous ne pourrons pas continuer d’exister en tant que civilisation si nous sommes guidés par de telles croyances et séquences d’actions et réactions qui appartiennent au passé. Nous vivons dans un monde global et la destruction nucléaire massive de l’ennemi ne s’arrêtera pas à l’ennemi mais va sûrement anéantir l’ensemble de l’espèce humaine. Donc toute cette histoire de création de l’ennemi perd son sens dans un monde global. Dans le monde d’aujourd’hui, tous les êtres humains sont reliés les uns aux autres et partagent un même monde et une même planète. En fait, le système de croyances de existence de la menace et de la création de l’ennemi ne permettent pas le déploiement d’une civilisation plus complexe, plus avancée et plus humaine.

Pressenza: Mais peut-on dépasser l’état de conscience en danger ?

J’ai découvert à travers mes expériences et la pratique de l’expérience de la Force, le perfectionnement de l’action valable et les pratiques de transferts d’images qu’il est possible de modifier cet enchaînement entre les sens-mémoire-conscience qui génère l’état de conscience en danger. Il est possible de déplacer les charges énergétiques de certaines représentations dans l’espace de représentation. Ici je parle des représentations liées à l’intra-corps et au système de tensions vitales.

Mais le plus important, il me semble est le traitement des uns et des autres. Je crois que le perfectionnement de l’action valable permet de sortir de cet état de conscience. Je crois que l’un des aspects les plus importants de l’action valable réside dans le fait que ce que nous réalisons dans le monde n’est pas indifférent. En fait, l’action est toujours tentée d’une direction. Et si nous souhaitons changer les choses dans ce monde nous devons questionner cette direction. Certaines actions procurent un registre d’unité intérieure car elles nous permettent de mettre dans le monde des contenus intérieurs, alors que d’autres nous ramènent à cet enfermement et ouvre l’abîme à l’intérieur de nous et dans les autres. 

Pressenza: Comment peut-on faire en sorte modifier la croyance de la création de l’ennemi qui est ancrée depuis des millénaires dans le psychisme de l’être humain ? 

Je crois que de plus en plus les personnes vont comprendre que l’état de conscience en danger qui mène à la création de l’ennemi enferme de plus en plus l’être humain dans la méfiance et la peur. Mais surtout que la création de l’ennemi génère de la souffrance et de la douleur à travers des manifestations de plus en plus violentes et destructives. 

Par ailleurs, c’est tout un changement de perspective! 

Mais lorsque nous nous constituons comme un être humain dont la conscience est ouverte sur le monde, l’autre n’est plus perçu comme une menace à ma propre survie, mais plutôt comme étant immergé dans des constructions de situations existentielles générées par l’intentionnalité de la conscience. Cette façon de présenter les choses n’efface pas la présence d’injustices mais plutôt propose d’analyser des situations problématiques et la complexité du moment actuel en prenant en compte de l’ensemble de la structure de la sujet-conscience-monde dans lequel les individus sont immergés.  L’autre n’est plus la source de la menace qui se dessine dans le futur!

Rappelons que durant le moyen âge, le futur était dominé par le jugement terrible de Dieu, précédé par des images épouvantables de l’Apocalypse, la terre était immobile et le centre de l’univers selon la théorie de Ptolémée, puis un mec a commencé faire des observations avec un télescope et découvert que la théorie de Ptolémée était fausse. Grâce aux découvertes de Galilée plusieurs croyances sont tombées. Cette découverte à transformer l’emplacements de différents objets dans l’espace de représentation des européens et éventuellement de plusieurs peuples! 

Je crois que nous allons découvrir très bientôt que le futur n’est pas ce qu’on veut nous faire croire!  Plusieurs personnes vont faire des découvertes qui vont totalement transformer leur regard d’eux-mêmes, des autres et leur regard sur le futur. 

L’ouvrage, Un sens de la vie qui défie la fatalité de l’extinction massive est disponible en ligne sur les différentes plateformes d’achat de livres numériques. 

Un sens de la vie qui défie la fatalité de l’extinction massive, Édition Henri Oscar Communication, Montréal, décembre 2024, 436 p. ISBN-978-2-924100-19-6,