Non, l’explication de cette crise n’est pas un problème de politiquette(1). Réduire l’analyse de la crise actuelle aux infections quotidiennes de la politiquette française – Macronites, Mélenchonites ou autres Lepenites – aboutit à minimiser la gravité de la situation. Les crises politiques qui traversent la France, l’Allemagne, la Suède, les USA et bien d’autres démocraties à l’occidentale doivent nous alerter sur la pérennité même du modèle.

La démocratie convoquée en procès d’impuissance

Que signifie le tableau que nous avons réalisé et proposé en illustration de cet article ? Nous avons regardé le résultat du premier tour des élections présidentielles en France depuis 1981. Ce premier tour est considéré comme celui dans lequel les électeurs se rapprochent le plus de leurs attentes. Nous avons isolé dans ces résultats les candidats qui se présentaient comme particulièrement volontaristes, louant, en filigrane ou pas, les vertus d’un pouvoir autoritaire efficace. Nous ne nous sommes pas intéressés au contenu, mais à la parole qui prétendait sortir de la mollesse et de l’impuissance supposée des acteurs au pouvoir au moment du vote. Pour simplifier, nous avons regroupé ces différentes offres politiques qui vantent les mérites d’un autoritarisme proclamé. C’est le seul critère que nous ayons retenu, peu importe le réalisme, le simplisme ou le contenu idéologique de ces offres.

Le tableau ci-dessus représente l’évolution du pourcentage d’électeurs ayant opté pour ce type d’offre depuis 40 ans.
Le résultat est éloquent et représente plus de 50 % de l’électorat en 2022. La parenthèse de 2007 est d’ailleurs riche d’enseignement et valide notre angle de lecture. En effet, le discours très « volontariste » et semi-autoritaire de monsieur Nicolas Sarkozy avait manifestement réussi à capter une partie de l’électorat à la recherche de cette tendance. Cinq ans plus tard, ce « charme » était rompu.
Cette recherche d’autoritarisme dans l’offre politique est spectaculairement croissante, mais instable. En effet, une partie de cet électorat peut migrer d’une offre à une autre en s’attachant plus à son allégation autoritaire qu’à son contenu politique. Cette migration devient alors elle-même préoccupante. En effet, n’importe quelle offre de ce type, même équivoque à l’égard de la démocratie, pourrait un jour bénéficier de ce nomadisme.

Aussi inquiétant. Sur la même période et jusqu’en 2008, la séduction à l’égard de cette offre autoritariste ne touchait pas le premier tour des élections législatives, en tout cas pas dans les mêmes proportions. On semblait rechercher l’autorité d’un chef, mais une assemblée plus traditionnelle. Il en va tout autrement depuis 2017, où la courbe des législatives prend la même direction que celle des présidentielles au bénéfice des projets politiques à programmes autoritaristes affichés.

Que faire face à ce comportement électoral répété qui jongle maladroitement entre l’attente d’un modèle autoritaire de gouvernement et une aspiration à préserver le modèle démocratique ? (Cette remarque ne vaut d’ailleurs que pour ceux qui vont voter, pour les autres…)
Faut-il continuer à insulter les électeurs comme on le fait depuis plus de vingt ans, avec le succès que l’on connaît ?
Instaurer une consultation référendaire régulière.

Quelle image, vraie ou fausse, renvoie aujourd’hui la politique dans nos démocraties ?

Celle d’acteurs issus d’une coterie de nantis, nous allons y revenir.

Celle d’acteurs qui paraissent avoir toujours une bonne raison de ne pas pouvoir agir comme le souhaiterait le vulgaire.

Celles d’un cirque ambulant. Cette image est quotidiennement renforcée par les médias et tous les polito-machins qui ne parlent jamais de politique, mais des petits à-côtés des jeux malsains de la politiquette.

Pour lutter contre ces représentations, il nous semble que la façon la plus pertinente serait de réengager le citoyen dans des débats politiques. En effet, le choix ponctuel entre des candidats ou des programmes, plus ou moins sincères, n’entraîne pratiquement plus de débat politique.
Le citoyen parle politique lorsqu’il a des sujets politiques à débattre, mais rarement lorsqu’il doit s’enticher de tel ou tel acrobate de la politique ou se prononcer sur tel ou tel programme qui n’engage à rien, ou si peu.

Nous avons la conviction qu’une consultation référendaire annuelle serait capable de réengager le citoyen dans la chose politique. Il porterait le même jour, sur cinq niveaux de questions (nous ne développons pas ici les modalités pratiques qui seraient assez simples si on voulait le faire) :

Trois questions de niveau national

Tout ce qui a trait à la vie des gens et aux choix sociétaux peut être référendaire. Par exemple, une question d’actualité comme la fin de vie aurait toute sa place ici.

Une à trois questions de compétence régionale (une au minimum).

Une à trois questions de compétence départementale (une au minimum).

Une à trois questions de compétence territoriale locale (une au minimum).

Trois questions de niveau européen (une au minimum). Il s’agirait ici de questions de subsidiarité. Choisir entre concéder telle ou telle compétence à l’Europe, la garder ou la récupérer. Oui, il y a les traités et tout et tout… Eh bien, il faudra cesser d’imposer au citoyen la dichotomie que l’on peut résumer ainsi : toute l’Europe ou pas d’Europe. Si l’on s’obstine à poursuivre la Communauté européenne sans les peuples, les partis autoritaires et nationalistes deviendront l’instrument de la revanche au niveau des États.

Charge aux politiques de faire appliquer les décisions souveraines du peuple

Seuls les référendums permettent aux citoyens de reparler de choses politiques. L’acculturation, l’implication et l’exigence politique suivront.
Les démocraties n’aiment pas le référendum, car elles ont peur des choix de la populace. Mais n’est-ce pourtant pas le principe de la démocratie ? On se demande parfois si certains n’aimeraient pas revenir à une forme de démocratie censitaire où seule une élite aurait le droit de choisir pour les autres.
Enfin, un référendum annuel permettrait de sortir la classe politique du délire où elle a enfermé celui-ci pour l’exclure de la démocratie : valider ou non la politique du pouvoir en place. C’est un dévoiement stupide de ce fabuleux outil de démocratie et de débat populaire.

Admettre de constater l’oligarchie qui gangrène nos démocraties et créer une offre politique pour l’ensemble du peuple

La démocratie française est monarchique pour les questions militaires (2) et oligarchique pour tout le reste.
Il y a quelques mois, un talk-show de France 5. Sur le plateau : présentatrice, journalistes, y compris politiques, artiste et un ministre. Après un sujet sur l’Iphone 1X, quelqu’un faisait remarquer que tout le monde avait ce téléphone autour de la table. Cela a fait rire l’assemblée, mais cela n’a manifestement posé un problème à personne.
Tout est dit, non ?

À partir d’un certain niveau de pouvoir exécutif, les acteurs politiques sont des aisés qui, soit vivent au cœur des grands centres urbains, soit y exercent le plus clair de leur temps. Pour des raisons pratiques, sur le plan national, beaucoup résident à Paris.

Oui, les rênes des pouvoirs sont tenues par des urbains aisés, sur le plan politique, mais également administratif, médiatique, économique… même social. Et même lorsque ces acteurs nationaux reviennent en province, ils y côtoient d’autres acteurs du pouvoir vivants dans les mêmes conditions économiques et fréquentant les mêmes groupes sociologiques.

Nous ne contestons pas qu’il existe quelques représentants du peuple issus d’autres milieux, mais nous parlons ici de ceux qui détiennent la majorité des rênes du pouvoir.

Cela n’a rien de nouveau. Mais il fut un temps où une offre politique s’adressait aux moins aisés et s’inquiétait un peu du sort de ceux qui ne vivent pas au cœur des grands centres urbains ou de leur riche banlieue : périphérie à revenus moyens ou faibles, petites cités rurales et campagnes.

Une offre politique démocratique ouverte ?  On peut affirmer aujourd’hui qu’il n’existe pas d’offre particulièrement attentive à ces populations. Même ceux qui s’en revendiquent encore sont sous le joug incessant des petits lobbies urbains aisés qui font de leurs bobos le centre autour duquel le monde doit tourner. Bobos réels, sans doute, mais dont l’importance échappe, par exemple, à ceux qui vivent des problèmes de fin de mois, tous les mois. Mais ce n’est probablement pas un problème assez sérieux pour tous ceux-là, comme bien d’autres problèmes de la plèbe, d’ailleurs.

La question n’est pas qu’ils soient « hors-sol » comme on dit, mais qu’ils dirigent à partir d’une représentation mentale pervertie. Une réalité fantasmée dans laquelle les puissants parlent aux puissants et agissent dans l’intérêt des puissants et donc, par on ne sait quelle translation magique, dans l’intérêt du monde et du bas-peuple.

Alors, il ne faut pas s’étonner que certains soient aujourd’hui prêts à accepter toutes les offres, y compris les plus farfelues, qui daigneraient faire seulement semblant de se pencher sur leur sort…

Malheureusement, pour ce sujet, nous ne voyons pas de solution institutionnelle. Il faudrait restaurer une offre politique démocratique ouverte qui s’intéresse réellement aux problèmes négligés par les logiciels des grands centres urbains. Un gros travail qu’aucun parti politique actuel n’est manifestement prêt à accomplir.

(1) Politiquette : la version dévoyée de la politique où tous les sujets périphériques à la politique sont devenus centraux et tous les problèmes politiques centraux sont devenus secondaires.
(2) Peut-il exister des pouvoirs pacifistes ? Frédérique Damai

Frédérique Damai
Auteur de « NO WAR »
Editions L’Harmattan