Comment les grandes démocraties de ce monde ont-elles pu réussir à préserver un mode de décision monarchique, voire tyrannique, lorsqu’il s’agit des choses de la guerre ?

Afin d’y voir plus clair, nous allons utiliser ici un classement (*) simplifié des régimes politiques, assez proche de celui d’Aristote ; ancien, mais opérationnel. Nous parlerons :

  • D’anarchie, comme manque d’autorité centralisée établie et/ou reconnue.
  • De monarchie, comme le pouvoir exercé par un seul, et de son pendant dégradé, la tyrannie, où le tyran utilise le pouvoir prioritairement dans son intérêt.
  • D’oligarchie, la version dégradée d’un pouvoir exercé par un groupe, là encore dans son intérêt.
  • De démocratie, pour laquelle nous ne distinguerons que les formes que l’on peut considérer comme stables et celles que l’on peut considérer comme instables (trop récentes, alternances pas encore éprouvées, centrées sur les intérêts du pouvoir en place, perturbées par la corruption, en flirt avec une forme d’oligarchie…).

(*)Précision de l’auteur : ce classement ne porte aucun jugement sur ce que produisent ces régimes (certaines démocraties produisent des monstruosités), mais se contente de synthétiser le fonctionnement global des institutions.

La situation

Sous l’angle des régimes politiques, l’observation des conflits armés des 25 dernières années est riche en enseignements.

Si l’on regarde tout d’abord les pays et territoires où se sont concentrés les conflits armés (internes ou externes) pendant cette période, on trouve :

  • Des pays pratiquement en situation d’anarchie : Somalie, Soudan du Sud, Yémen, Libye, Territoires Palestiniens.
  • Des pays où l’on peut parler de tyrannie : République Démocratique du Congo, Azerbaïdjan, Afghanistan, Syrie, Myanmar (Birmanie), Soudan, Mali. Ces trois derniers étant des régimes militaires établis ou en transition démocratique espérée.
  • Une démocratie stable : Israël.
  • Des démocraties soit instables, soit fragiles : Ukraine, Pakistan, Arménie, Irak, Éthiopie, Nigeria.

Si l’on répertorie ensuite les principaux pays qui ont engagé leur armée dans des conflits armés en dehors de leur sol (pour une raison ou pour une autre), on trouve :

  • Des démocraties stables (même si le Royaume-Uni est une monarchie symbolique) :
    • États-Unis (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie…),
    • Royaume-Uni (Irak, Afghanistan, Libye, Syrie…),
    • France (Côte-d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Niger, Tchad, Mali, République Centrafricaine, Irak, Syrie…),
    • Israël (Syrie, Liban, Gaza, Cisjordanie, Iran…),
  • Une oligarchie de fait : Turquie (Syrie, Irak…),
  • Une tyrannie de fait : Arabie Saoudite (Yémen, Syrie, Bahreïn, Liban, Qatar, Soudan, Libye…)
  • Et des régimes pouvant être assimilés à des oligarchies/tyrannies :
    • Russie (Géorgie, Ukraine, Syrie, Afghanistan…),
    • Iran (Irak, Syrie, Yémen…),

Cette liste n’est pas exhaustive et, en augmentant le nombre de critères, on pourrait ajouter de nombreux pays. Par exemple, la Chine pour ses soutiens indirects et ses intimidations en Mer de Chine, l’Inde, les Émirats Arabes Unis et beaucoup d’autres. Mais cela n’apporterait rien de plus pertinent à notre réflexion.

Enfin, certains pays n’ont participé à aucun conflit armé. On y trouve, entre autres :

  • Trois monarchies constitutionnelles : Bhoutan, Monaco, Liechtenstein.
  • Des démocraties stables : Suisse, Costa Rica, Islande, Panama. La Suisse pouvant même être assimilée à une forme de démocratie directe.

Ce sont des pays neutres ou sans armée, comme le Costa Rica, l’Islande ou le Panama. On pourrait ajouter à cette liste de nombreux « petits pays ».

Au bilan

L’Anarchie : base et conséquence des chaos.

Selon le cas, elle peut être la base, la conséquence, voire le but de guerre des conflits armés. Parfois même, elle peut être les trois à la fois. Ce n’est ni une découverte, ni dans ce registre que l’on recherche les germes de solutions pacifistes.

La Tyrannie et l’Oligarchie : même combat.

Si l’on confie toutes les rênes de l’État à un pouvoir animé du seul but de servir son propre intérêt, on se doute que le recours au conflit armé sera un des moyens favoris utilisés par le tyran ou les oligarques au pouvoir. Il est même inhérent à ces régimes. Le recours au conflit armé est utilisé en interne pour maintenir le pouvoir en place ou dans des délires expansionnistes dont la finalité est indirectement la même. L’histoire contemporaine nous en apporte des preuves répétées et le pacifisme ne cherche aucune lumière venant de cette source.

La Démocratie : des pratiques monarchiques, voire tyranniques, lorsqu’il s’agit des choses de la guerre.

Pourquoi les démocraties s’engagent-elles aussi fréquemment et facilement dans des actions armées ?

On pourrait supposer que les constitutions des démocraties imposent des procédures démocratiques pour faire intervenir leur armée en dehors de leur territoire, ce qui limiterait leur fréquence. Il n’en est rien et le peuple n’a pas voix au chapitre. Même avec sa constitution qui exige un référendum pour l’intervention de son armée hors de son sol, l’Irlande a participé à des missions de l’ONU en 1982 (Liban) et 1992 (Bosnie) avec le seul aval de la Chambre du Parlement.

Nous n’avons pas trouvé de « grandes démocraties » qui exigent constitutionnellement un référendum sur l’engagement de leur armée à l’étranger. La plupart du temps, l’approbation de cet engagement est confiée à une chambre parlementaire, mais uniquement a posteriori. La décision est donc prise par un seul dirigeant, chef des armées, et le parlement est consulté en aval. Cette consultation est une formalité puisque les parlements se comportent comme des vulgaires chambres d’enregistrement vouées à leur chef et que les parlementaires ont rarement le courage d’invoquer une clause de conscience leur permettant de voter librement.

On peut mépriser le modèle russe, où le Président décide seul et la Chambre Haute entérine, mais ce n’est pas très différent des démocraties les plus interventionnistes.

  • États-Unis : le Président décide seul. Consultation du Congrès a posteriori, qui dispose d’un petit pouvoir sur les budgets militaires. En théorie, le Congrès pourrait lui-même déclarer une guerre.
  • France : le Président décide seul. Le Parlement peut être consulté a posteriori. Il peut voter des motions de soutien ou de désapprobation, la belle affaire !
  • Royaume-Uni : le Monarque a le pouvoir de décider, mais celui-ci est plutôt exercé par le gouvernement en lien avec lui. Le Premier Ministre peut engager l’armée seul, le parlement pourra par la suite exercer un contrôle théorique et demander des comptes.Dans les faits, il n’y a plus le minimum de procédure démocratique dès qu’il s’agit d’engager l’armée et la vie de ses concitoyens : uniquement le pouvoir monarchique d’un seul acteur.

Si une démocratie voulait se donner une chance de devenir un pouvoir pacifiste, il lui faudrait au minimum inclure dans sa constitution l’approbation du parlement avant toute intervention de son armée sur des terrains d’opération extérieurs.

Mais il faut sans doute aller au-delà. Lorsque l’on connaît l’absence de représentativité des parlementaires dans ce domaine, la seule garantie réelle serait que toute intervention de l’armée de son pays en dehors de son territoire soit soumise à un référendum. Connaissant la véritable aversion des peuples pour la guerre, il ne fait nul doute qu’une vraie révolution pacifiste s’ouvrirait. Et l’on pourrait enfin discuter librement et en amont de ce sujet sans être passible de traîtrise et de lèse-majesté au regard des décisions du monarque.

Et les pouvoirs des pays déjà pacifistes ?

On y trouve des monarchies constitutionnelles et des démocraties, mais ce n’est sans doute pas du côté des formes de pouvoir qu’il faut rechercher l’origine de ces situations. En réalité, ils ont tous un point en commun : ils n’ont pas d’armée du tout ou pas d’armée calibrée pour intervenir militairement en dehors de la défense de leur territoire. C’est simple et efficace.

Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d’espoir », Éditions L’Harmattan

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