Deux événements majeurs d’importance mondiale ont coïncidé ces derniers jours. Le 19 novembre, les États membres du G20, réunis à Rio sous la présidence du Brésil, ont ratifié le projet de lancement d’une « Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté ». Ils ont exprimé leur engagement commun à coopérer pour que le financement du programme de l’Alliance soit effectivement assuré par une taxe internationale sur les super-riches. Ce n’est pas nouveau, mais il semble que l’engagement soit sérieux. Le 21 novembre, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant, ainsi qu’à l’encontre de dirigeants du Hamas, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Une sentence historique.

Commençons donc par la décision de la CPI. Elle revêt une importance historique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle rompt clairement avec les tendances de ces dernières années à démanteler et à nier le Droit, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau du Droit international. La loi du plus fort et des intérêts hégémoniques et exclusifs des oligarchies des États dominants s’est imposée avec violence. La Cour pénale internationale, dont la légitimité et les fonctions ont été approuvées par une écrasante majorité des Etats membres des Nations Unies (Conférence de Rome, 1996), à l’exception, sans surprise, des Etats-Unis, d’Israël, de la Russie et de la Chine, réaffirme la suprématie du Droit et le principe selon lequel personne au monde n’est au-dessus du Droit. En effet, la condamnation de la CPI est juridiquement contraignante pour tous, même pour les Etats-Unis qui continuent depuis 30 ans à rejeter l’autorité de la CPI avec leur propre loi.

Deuxièmement, en condamnant les principaux dirigeants politiques de l’État d’Israël pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, comme elle l’avait déjà fait avec le mandat d’arrêt contre Poutine pour la guerre en Ukraine, la CPI condamne indirectement comme criminels également les dirigeants politiques des États qui ont ouvertement soutenu, par des interventions massives d’armes et d’argent, les crimes commis par Israël, au premier rang desquels les États-Unis et les États européens. Personne n’a oublié les chaleureuses accolades entre Netanyahou et la présidente de la Commission européenne après l’annonce de la décision du gouvernement israélien de procéder militairement à l’éradication des Palestiniens de la bande de Gaza et de la Cisjordanie.

Il est également très important de noter que la CPI a légalement rejeté l’argument de la « légitime défense » invoqué par Israël et ses protecteurs/complices comme excuse pour justifier le génocide en cours. La CPI déclare catégoriquement qu’il n’y a pas d’impunité possible. Même les plus forts, les dominants, ne sont pas impunissables. Il s’agit d’un message d’actualité et d’une certitude si l’on considère l’affaire présidentielle américaine.

Enfin, avec sa décision, la CPI sensibilise et éduque les gens à la paix et à la justice en soulignant à l’opinion publique mondiale les limites et les ambiguïtés des concepts mêmes de « guerre juste » et de « guerre de défense ». La guerre, rappelle-elle, est un crime.

C’est aussi dans cette optique, me semble-t-il, que l’on peut et que l’on doit accorder une grande valeur au lancement de l’« Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté » en faveur de laquelle le président Lula, à l’origine de l’initiative, s’est battu pendant des mois avec ténacité et conviction. Je rappelle que l’une des premières décisions prises par Lula lors de sa première présidence a été de promouvoir une campagne nationale contre la faim et, dans ce cadre, la campagne pour un million de citernes (le droit à l’eau). La décision du G2O de s’engager à financer les programmes de l’Alliance par une taxation mondiale des super-riches apporte un éclairage encourageant. Bien entendu, il n’est pas exclu que de nombreux pays du G20 aient signé l’accord, estimant que l’objectif de l’Alliance restera lui aussi lettre morte, comme cela s’est produit avec les nombreuses promesses répétées du G20 au cours de ses vingt années d’existence. Cette hypothèse est plausible si l’on considère le vent mauvais qui souffle au sujet des questions financière à la COP29 sur le climat, obligée aux prolongations. Par ailleurs, il n’est pas évident que la solution d’une taxe mondiale de 1% sur les super-riches comme celle d’allouer 1% des dépenses militaires annuelles à la lutte contre la faim et la pauvreté soient des solutions efficaces pour éradiquer les facteurs structurels générant la faim et la pauvreté. Toutefois, le fait que de telles solutions soient formellement approuvées et effectivement mises en œuvre constituerait un grand pas politique et social qui ouvrirait la voie à des solutions plus solides et plus efficaces. L’histoire commencerait à changer.

Il y a aussi un nouvel aspect qu’il ne faut pas sous-estimer. Je ne sais pas dans quelle mesure la position ferme adoptée par le pape François a pesé dans cette affaire. Dans son message au G20, il a dénoncé comme un crime (verbatim) le fait que les puissants de ce monde dépensent des milliers de milliards de dollars pour s’armer et faire la guerre tout en acceptant de laisser mourir de faim et de soif des centaines de millions d’êtres humains appauvris. Dans son message, il est entendu que le pape François considère également les groupes dirigeants des pays du Nord comme des criminels pour cette raison. En outre, les populations des pays à faibles et moyens revenus de ce que l’on appelle le « Sud » n’acceptent plus les énormes inégalités qui font que les cinq premiers milliardaires de la planète possèdent aujourd’hui une richesse égale à celle de plus de quatre milliards de personnes, c’est-à-dire la moitié des plus pauvres de la planète. Ils n’acceptent plus que 4 milliards de personnes, dans leur propre pays, n’aient aucune protection sanitaire de base.

Tout cela explique pourquoi les pays du Sud manifestent une claire intention de coopérer entre eux pour mettre fin au scandale selon lequel 20 % de la population riche du monde est coupable de 80 % des désastres environnementaux et des catastrophes climatiques, tandis que les 80 % restants en subissent les conséquences les plus graves. Malgré cela, les oligarchies prédatrices du Nord continuent obstinément à refuser d’assumer la charge financière majeure que représente la reconstruction rapide d’un monde durable et juste.

Dans les deux événements, la présence significative de la dénonciation et de la condamnation de la criminalité des puissants vaut beaucoup. C’est un bon signe.