ESO/WFI (Optical); MPIfR/ESO/APEX/A.Weiss et al. (Submillimetre); NASA/CXC/CfA/R.Kraft et al. (X-ray), CC BY

Françoise Combes, Sorbonne Université et Benjamin L’Huillier, Sejong University

Dans notre étude parue le 14 novembre 2024, dans la revue Nature Astronomy nous démontrons qu’il existe une connexion entre la région proche d’un trou noir et sa galaxie hôte car les jets émis par le trou noir sont alignés avec le reste de la galaxie.


Une nouvelle analyse des données des radiotélescopes relie les formes des galaxies aux trous noirs qu’elles abritent. Les trous noirs ne sont pas divers. Ils sont toujours d’une seule couleur (noir) et d’une seule forme (sphérique). La seule qualité qui peut varier d’un trou noir à l’autre est la masse.

En général, les trous noirs que nous avons détectés sont soit des trous noirs de masse stellaire, soit des trous noirs supermassifs. Les trous noirs de masse stellaire sont proches de la masse de notre Soleil (1030 kg) et de la taille d’une ville. Les trous noirs supermassifs sont beaucoup plus massifs (un million de fois la masse du Soleil) et ont à peu près la taille du système solaire. Cependant, aussi massifs que soient ces trous noirs, ils ont toujours une masse assez faible, souvent bien inférieure à 1 % de la masse stellaire totale de sa galaxie. Ils sont également beaucoup plus petits que leurs galaxies hôtes, de l’ordre d’un million de fois leur rayon.

Un alignement à des échelles très différentes

Dans de nouveaux résultats que nous publions aujourd’hui 14 novembre dans Nature Astronomy, nous avons découvert qu’il existe une connexion entre la région proche du trou noir et la galaxie hôte, car les jets émis par le trou noir sont alignés avec le reste de la galaxie, malgré les échelles très différentes.

Les trous noirs supermassifs sont assez rares. Notre galaxie, la Voie lactée, en possède un (nommé Sagittaire A* pour la constellation dans laquelle il se trouve) en son centre. Toutes les galaxies semblent également abriter un (ou parfois deux) trou noir supermassif en leur cœur. Les centres, ou noyaux, de ces galaxies lointaines peuvent devenir actifs, car la poussière et le gaz sont attirés vers le noyau sous l’attraction gravitationnelle du trou noir.

Ils ne tombent pas tout de suite, car ils sont animés d’une grande rotation, et forment un disque chaud de matière, appelé disque d’accrétion. Ce disque d’accrétion, à cause de son champ magnétique intense, génère à son tour un jet surchauffé de particules chargées qui sont éjectées du noyau à des vitesses très élevées, proches de la vitesse de la lumière. Lorsque cela se produit, on parle de quasar (source de rayonnement quasi-stellaire).

Un télescope de la taille de la Terre

Une façon courante d’étudier les jets de quasars est d’utiliser l’interférométrie à très longue base (VLBI). Le VLBI permet à différents radiotélescopes de fonctionner en tandem, les transformant ainsi en un seul télescope de la taille de la Terre. La résolution spatiale est alors bien supérieure à celle obtenue avec des télescopes optiques ou infrarouges.

Découverte inattendue d’un lien entre l’alignement des trous noirs et de leurs galaxies hôtes. Vidéo réalisée par Gabriel Robert.

Cet « œil massif » est bien plus efficace pour résoudre les détails fins que n’importe quel télescope individuel, ce qui permet aux astronomes de voir des objets et des structures bien plus petits que ceux visibles à l’œil nu, ou même avec un télescope optique. C’est la technique qui a été utilisée pour réaliser l’« Image du trou noir » pour le halo de lumière généré par le trou noir supermassif hébergé par la galaxie M87.

Ainsi, grâce à cette approche à haute résolution, le VLBI permet aux astronomes d’étudier ces jets jusqu’à quelques années-lumière ou moins de leur origine : le trou noir. La direction du jet à des échelles aussi petites nous informe sur l’orientation du disque d’accrétion, et donc potentiellement sur les propriétés du trou noir lui-même. Et c’est la seule façon d’obtenir de telles données à l’heure actuelle.

Qu’en est-il des galaxies hôtes elles-mêmes ? Une galaxie est un objet tridimensionnel, formé de centaines de milliards d’étoiles. Mais elle nous apparaît (observée en optique ou en infrarouge) en projection, soit comme une ellipse en 2D, soit comme une spirale.

Nous pouvons mesurer la forme de ces galaxies, en traçant le profil de la lumière des étoiles, et mesurer le grand axe et le petit axe de la forme bidimensionnelle.

Dans notre article, récemment publié dans Nature Astronomy, nous avons comparé la direction des jets de quasars avec la direction du petit axe de l’ellipse de la galaxie, et avons découvert qu’ils sont connectés. C’est surprenant, car le trou noir est si petit (le jet que nous mesurons n’a que quelques années-lumière de long), comparé à la galaxie hôte (qui peut mesurer des centaines de milliers d’années-lumière de large). Il est surprenant qu’un objet aussi petit (en comparaison) puisse affecter, ou être affecté, par l’environnement à des échelles aussi grandes. On pourrait s’attendre à voir une corrélation entre le jet et l’environnement local, mais pas avec l’ensemble de la galaxie.

Est-ce que cela a quelque chose à dire sur la façon dont les galaxies se forment ? Les galaxies spirales entrent parfois en collision avec d’autres galaxies spirales et forment des galaxies elliptiques, qui apparaissent dans le ciel comme des ellipses. Au cours du processus de fusion, le phénomène des quasars est déclenché d’une manière que nous ne comprenons pas entièrement. C’est pour cette raison que presque tous les jets qui peuvent être détectés à l’aide du VLBI sont hébergés dans des galaxies elliptiques.

L’interprétation exacte du résultat reste mystérieuse, mais elle est importante dans le contexte de la récente découverte par le télescope spatial James Webb de quasars très massifs (avec des trous noirs supermassifs), qui se sont formés beaucoup plus tôt dans l’univers que prévu. Il est clair que notre compréhension de la formation des galaxies et de l’influence des trous noirs sur ce phénomène doit être mise à jour.

Françoise Combes, Astrophysicienne à l’Observatoire de Paris – PSL, Sorbonne Université et Benjamin L’Huillier, Professeur Assistant en Physique et Astronomie, Sejong University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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