Je publie trois textes qui viennent de paraître sur la situation en Palestine.

Le premier de Ziad Medoukh, universitaire et écrivain palestinien de Gaza ;

le second d’Ogarit Younan, sociologue, fondatrice de l’Université académique de la non-violence et des droits humains à Beyrouth (AUNHOR) ;

le troisième de Sami Awad, militant palestinien non-violent et co-directeur de Non-Violence International.

Il nous parlent de notre humanité en péril, mais aussi de la possibilité de la non-violence dans un monde malade de la violence et de la guerre.

7 octobre 2023- 7 octobre 2024 : un an déjà, une année dramatique et tragique pour  la population de Gaza

Par Ziad Medoukh

365 jours terribles.

Une année d’horreur qui ne s’arrête pas.

Douze mois horribles pour une population civile horrifiée et terrifiée

Pas de vie à Gaza dans ce calvaire La population survit avec inquiétude et angoisse.

Un an depuis le début de cette agression très longue contre les civils de la bande de Gaza.

365 jours de souffrance, de peur, de l’impuissance et de la destruction massive de toute une région agressée en permanence. Et ça continue ! Avec des opérations militaires et des attaques sanglantes en Cisjordanie occupée et dans la région.

La brutalité de l’occupant.

Bilan provisoire de ce génocide répété avec des bombardements intensifs et une situation humanitaire catastrophique pour tous les citoyens de Gaza qui souffrent au quotidien de ce désastre impensable et d’une vraie famine notamment dans le nord de la bande de Gaza où 98% des habitants souffrent de l’insécurité alimentaire.

Source : Ministère palestinien de la santé et plusieurs organisations Internationales présentes sur place.

 

86.000 tonnes d’explosifs largués par l’occupation sur Gaza depuis le 7 octobre 2023.

42019 morts palestiniens dont 16456 enfants, 11997 femmes et 6594 personnes âgées Parmi les enfants assassinés, 195 nouveau-nés et 768 qui avaient moins d’un an. 97463 blessés dont 14900 dans un état grave qui ont besoin des soins urgents à l’étranger.

15700 disparus sous les décombres dont 79% des femmes et des enfants.

Familles entières massacrées.

Quartiers entiers effacés de la carte.

70 personnes-enfants et personnes âgées -sont mortes de la faim, la malnutrition et du manque de nourriture au nord de la bande de Gaza.

La faillite du système de la santé dans la bande de Gaza 14 hôpitaux et 76 cliniques et centres médicaux sont devenus hors service après leur destruction par les bombardements.

548 médecins, infirmiers et secouristes assassinés 174 établissements médicaux détruites 466 pharmacies détruites 157 laboratoires d’analyses médicales détruits.

L’année scolaire et universitaire est perdue pour des dizaines de milliers d’élèves et d’étudiants pour la deuxième année consécutive.

187 journalistes assassinés

42 agences de presse visées

13 marchés publics détruits

58 cimetières visés

63 camions citernes d’eau potable détruits

3 stations de traitement de déchets endommagées 19790 enfants sont devenus orphelins.

394 bureaux, sièges et cliniques de l’UNRWA visés et détruits.

185 centres d’accueil visés.

223 écoles publiques et privées détruites totalement 379 jardins d’enfants détruits Deux orphelinats visés 854 professeurs et instituteurs des écoles assassinés 11 grandes universités détruites totalement 27 universités et facultés endommagées 6896 élèves et étudiants assassinés.

16 stades visés et 36 salles sportives détruites totalement 276 mosquées détruites 3 églises détruites totalement

543 cafés et restaurants détruits 32 parcs d’attractions visés 24 municipalités détruites 26 bibliothèques municipales détruites

15 banques détruites totalement 247 usines détruites

Plus de 1,9 millions personnes déplacées dans les centres d’accueil, les hôpitaux, les écoles et les tentes dans des conditions humanitaires catastrophiques sans eau, ni nourriture, ni médicaments, et ni aides humanitaires, ces déplacés qui ont quitté leurs habitations provisoires plusieurs fois cette année, sont en train de mourir de faim et de manque de soins.

52500 patients de Gaza sont morts suite à des maladies chroniques et par manque de soins.

269 fonctionnaires et employés palestiniens et étrangers qui travaillent avec des organisations internationales humanitaires et sanitaires assassinés.

139 scientifiques, savants et universitaires d’élite assassinés

131 ambulanciers assassinés 274 ambulances détruites

60500 femmes enceintes à risque en raison du manque de soins de santé.

207 agents municipaux assassinés

279.000 unités d’habitations détruites totalement partout dans la bande de Gaza 4170 Palestiniens de Gaza arrêtés par les forces d’occupation et détenus jusqu’à présent dans les prisons de l’occupation.

65 pêcheurs assassinés

123 bateaux de pêche détruits

109 sportifs et athlètes assassinés

25 acteurs et réalisateurs assassinés

336 ministères et lieux publics bombardés et détruits.

456 paysans assassinés 175 coopératives agricoles visées 75 % des terrains agricoles de la bande de Gaza détruits.

289 sites touristiques, historiques et archéologiques visés et endommagés 2976 puits d’eau visés et endommagés

Les pertes économiques de cette agression sont estimées à 43 milliards d’euros.

Les Palestiniens de Gaza malgré leur souffrance sous les bombes sont solidaires du peuple libanais qui est en train de subir des bombardements et des attaques sanglantes. Ces Palestiniens agressés au quotidien apprécient beaucoup les manifestations de solidarité avec le peuple palestinien partout dans le monde qui exigent un cessez-le-feu immédiat et la fin de la souffrance des habitants de la bande de Gaza, et pour la justice.

Gaza la rebelle résiste à ce carnage en toute dignité !

Gaza la dévastée tient bon pour le moment. Elle espère une fin rapide de cet enfer génocidaire.

 

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« Gaza maintenant ! » – Les 7 points d’Ogarit Youan

Nous sommes dans la « non-solution » !

Entre les appels urgents à trouver des solutions immédiates, partielles et fragmentées, face à l’horreur de ce qui se passe, et le besoin de solutions radicales à la violence qui prévaut depuis des décennies, aucune solution ne se profile à l’horizon.

Cette tragédie a atteint des niveaux de cruauté inimaginables. La demande d’un « cessez-le-feu » est devenue vide de sens.

Cette guerre prendra fin d’une manière ou d’une autre, l’injustice perdurera, la haine persistera et s’intensifiera, suscitant la vengeance chez les générations à venir, engloutissant davantage encore le monde entier dans la violence. Nous devons saisir l’instant (seize the moment) pour que d’un péril imminent naisse un sursaut d’humanisme.

Selon les mots de Bertrand Russell : « Souvenez vous de votre humanité et oubliez le reste ». Notre humanité est notre éthique. La politique est à la fois éthique et efficacité. Plus l’efficacité s’éloigne de l’éthique, plus elle bascule dans la violence et commence à la justifier.

Le contenu de ce texte est au cœur de la réflexion stratégique sur l’action non-violente, car il est nécessaire de créer un (ou des) champ(s) de lutte hors des champs conventionnels de la violence ou de la diplomatie, mais également hors des actions fragmentaires de la société civile. L’heure est à l’innovation ; j’en appelle à un « soulèvement non-violent ».

Les 7 points cruciaux dans le conflit et la solution

Sans une réponse fondamentale à ces 7 points, aucune solution n’est possible.

1. « Existence »
2. L’occupation
3. La Palestine un État
4. Les droits
5. Une médiation rétroactive
6. La responsabilisation
7. La non-violence

« Existence »

Le peuple palestinien est menacé dans son existence. Aujourd’hui Gaza, mais également la Cisjordanie, Al-Quds (Jérusalem) sont en danger. Les déplacements de populations se poursuivent, accompagnés d’atrocités racistes et d’une colonisation forcenée… Les juifs – pas tous les juifs bien sûr –, en Israël et dans le monde entier, considèrent que parler de la libération de la Palestine est une menace pour leur propre existence.

Même le slogan « Palestine libre » les angoisse ! Il évoque les persécutions qui leur ont été infligées en Europe et ailleurs, et le fait que leur problème est essentiellement une question d’Existence. L’existence du peuple de Palestine est une chose, et le problème de l’existence d’un pays pour les juifs en est une autre.

Cependant, le mot « EXISTENCE » est devenu un dilemme « contigu », mais dans deux directions opposées. Pire encore, un État, ou une entité créée, ne peut pas continuer à prouver son existence et la maintenir par la violence ; cela ne pourrait que refléter un problème qui fut à la source de sa création.

Également, un peuple opprimé sous l’occupation ne peut pas continuer à revendiquer son existence libre et son indépendance par la violence ; cela ne mènera jamais à une solution juste. Deux ‘existences’ qui continuent à avoir recours à la violence, chacune de sa part, -sans aucune intention de mettre les deux à égal- resteront toujours dans la négation mutuelle, sans se rencontrer dans la paix. Il ne peut y avoir de solution sans une réponse radicale sur ce point.

L’occupation

Nous ne sommes pas devant un conflit limité ou circonstanciel. Ce n’est ni le 7 octobre, ni le 8 octobre, ni les nombreux jours qui ont suivi. Le peuple palestinien lutte contre l’occupation de son pays et c’est son principal problème. Les juifs – pas tous, bien sûr – ne considèrent pas qu’il s’agisse d’une occupation, mais plutôt d’un droit, ou pour certains, de la ‘restauration d’un droit historique’.

Israël a été reconnu comme un État, ce qui n’a pas été le cas de la Palestine, sa reconnaissance ayant été reportée. De plus, depuis la proclamation de l’État d’Israël, le pays n’a pas de frontières fixes, mais cherche au contraire à s’étendre constamment, intensifiant les colonies jusqu’à légitimer les agressions des colons à l’encontre des Palestiniens.

Donner aux Palestiniens, et non leur prendre davantage, est la boussole qui devrait guider le départ de toute solution, l’injustice s’étant déjà abattue en premier sur eux. Il ne peut y avoir de solution sans une réponse radicale sur ce point.

La Palestine un État

Que de nombreuses personnes et entités continuent à demander la reconnaissance de l’État de Palestine, c’est une farce. Ce qui est nécessaire, c’est de rectifier les erreurs et les transgressions historiques. Le monde doit admettre que la Palestine a été occupée et, en tant que telle, qu’elle doit être traitée comme un État occupé en conflit avec l’occupant.

Ce qui fut établi fut l’inverse, c’est-à-dire reconnaître l’occupant, lui accorder le statut d’État, tout en retirant ce statut au pays qui a été occupé. De plus, le monde ne peut plus persister à tout confondre et à refuser obstinément, depuis des décennies, de rétablir la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État !

Non seulement pour faire l’équilibre sous le slogan des « Deux États », mais pour rendre à la Palestine le droit de son existence en tant qu’État. C’est un point de principe, d’éthique et de justice, même sans implications rétroactives politiques ou autres.

Il ne peut y avoir de solution sans une réponse radicale sur ce point.

Les droits

Depuis 1948 (et avant cela depuis le début du conflit, dès les premières années du XXe siècle), les vies de générations entières ont été volées, violées, détruites moralement et matériellement, sur le plan du développement économique, social, politique, éducatif, culturel, légal et professionnel.

Même les rêves ont été brisés, les espoirs des familles de vivre ensemble, heureux, en bonne santé, en sécurité, d’avoir une existence normale sans le statut de réfugié ou d’apatride, tout cela a été anéanti… C’est un droit pour le peuple palestinien et un devoir pour ceux qui ont violé ce droit, à commencer par l’occupant et les pays qui l’ont soutenu.

Les droits des Palestiniens ne doivent pas être considérés comme des aides ou comme une faveur « humanitaire », mais ce sont des droits inaliénables et bien fondés qui doivent recouvrir le passé et le présent… Il ne peut y avoir de solution sans une réponse radicale sur ce point.

La responsabilité à la source du conflit

Je n’aborderai pas ici la responsabilité des Palestiniens dans l’issue de la situation, non pas pour les décharger, eux et leurs alliés, des conséquences de leurs actions au fil des ans ou de la responsabilité des actes de violence commis par divers individus et organisations palestiniens, mais plutôt parce que ce texte s’attache à la responsabilité principale à la source du conflit.

Un problème ne peut être résolu qu’en examinant ses causes profondes et en s’adressant à ceux dont les décisions, les actions et les complicités sont à l’origine de ces causes. Le problème et sa cause profonde remontent à l’’Occident’ (terme utilisé au sens large) et aux juifs ; plus précisément et pour éviter toute généralisation, à une partie de l’Occident, et à une partie du peuple juif, et de leurs alliés.

En toute responsabilité et conscience, je crois que le point de départ d’une solution viendra surtout de ceux qui, en ‘Occident’ et au sein de la communauté juive, sont solidaires de la cause palestinienne, rejettent l’occupation et la violence, revendiquent les droits des juifs par les moyens pacifiques, assumant de porter eux-mêmes la responsabilité d’une erreur historique commise par les dirigeants politiques de tel ou tel de leurs pays, afin de rectifier l’histoire.

Le point de départ de la solution que porte ce texte doit nécessairement être entamé par l’extérieur. À cela s’ajoutera, bien sûr, le rôle fondamental pour ceux qui se trouvent à l’intérieur de la Palestine et d’Israël, et dans d’autres pays notamment dans le monde arabe. Cela ne veut pas dire que les Palestiniens ont besoin que quiconque lutte en leur nom ou à leur place, mais j’en appelle ici à ce que la lutte soit entamée par ceux qui vont assumer la responsabilité du fondement du conflit. Il ne peut y avoir de solution sans une réponse radicale sur ce point.

Une médiation rétroactive

Même si nous acceptons d’accorder à un groupe, une communauté, un peuple, le droit d’établir une entité indépendante ou un État autonome, nous n’accepterons pas que cela se fasse par la violence et la coercition. Le projet sioniste portait en soi une volonté machiavélique de violence.

Supposons que ce droit soit une nécessité, il aurait dû être accompli dans le cadre d’approches pacifiques par la médiation avec le peuple du pays, le peuple de Palestine, et les négociations de paix auraient dû avoir lieu avant l’occupation et non après ou plus exactement sans occupation. La morale l’exige, tout comme le pragmatisme politique. Maintenant, il est inévitable de revenir en arrière et de faire ce qui aurait dû être réalisé à l’origine. Cela aurait dû toujours être le devoir des partisans de l’entité israélienne et relever du droit des Palestiniens.

Des experts chevronnés en médiation et en négociation doivent maintenant se manifester et travailler dur pour proposer des mécanismes et des plans réalistes, rétroactifs, en revenant à la source et au fond du problème. Cela aidera à notre avis à découvrir des alternatives valables, afin de sortir de l’impasse et de la non-solution qui bloquent notre présent et notre futur.Il ne peut y avoir de solution sans une réponse radicale sur ce point.

La NON-VIOLENCE. La LUTTE

Le premier siècle de ce conflit fut par la violence.

Le deuxième ne devrait être que par la non-violence.

Notre tâche prioritaire est de rassembler les forces non-violentes, tant individuelles que collectives, en Palestine, en Israël et dans le monde entier, de mettre en valeur leur voix et d’accélérer cette démarche, afin que l’image qui est la plus répandue ne soit pas celle de la violence. Nous n’oublions pas qu’une majorité aspire à un dénouement autre que la destruction, y compris ceux et celles qui subissent actuellement un déluge de bombes.

Les opposants juifs à la politique d’occupation rejettent ce qui s’est passé historiquement et ce qui se passe aujourd’hui et y renoncent, payant souvent le prix élevé pour leur positionnement. Ceux-là porteront la responsabilité au nom du reste des Juifs qui ne veulent pas et/ou ne peuvent pas le faire. Or cette fois, la protestation ne suffira plus. Il est temps de s’engager dans l’action directe non-violente, comme sur le terrain de toute lutte, mais dans le cadre d’une stratégie bien pensée et précise, sans pour autant cesser cette lutte tant que l’histoire n’a pas été rectifiée.

Plus les Palestiniens y participeront de manière non-violente, et plus les voix de la non-violence se feront entendre parmi les Juifs, plus les possibilités de transformer radicalement le cours du conflit augmenteront, ce qui constituera la clé de la confiance mutuelle et de la réussite future.

Cette lutte non-violente serait avant tout une libération de soi-même, des Juifs et de leurs alliés, des stigmates de la violence et de l’occupation, ainsi qu’une restauration de l’humanité. Elle aide aussi l’autre partie, les Palestiniens et leurs alliés, à s’éloigner de l’approche de la violence, ou du moins elle désactive cette approche. C’est une opportunité de transformer le cours du conflit, de passer d’un dualisme conflictuel qui persiste dans la violence mutuelle et l’absurdité de solutions, à une sorte d’auto-libération et de résolution du conflit.

Et comme l’écrivait Albert Camus dans L’Homme révolté : « Je me révolte, donc nous sommes. La révolte, dans son principe, se borne à refuser l’humiliation, sans la demander pour l’autre. » La question centrale est donc de mettre fin à l’injustice. C’est un « NON » à l’injustice. Ce n’est pas le « non » qui dit que la violence mène à la violence et justifie donc le recours à la violence. C’est plutôt le « Non » qui affirme que la violence peut aussi inspirer et générer la non-violence, afin que la résistance ne tombe pas dans le piège de la violence.

Pour notre part, nous rejetons la violence de tous les partis, nous rejetons le terrorisme de tous les partis, les idéologies de violence au nom de la religion ou d’autres doctrines, et la manipulation perverse des peuples et de leurs causes justes par des pays hégémoniques de tous bords. Nous ne justifions absolument aucune violence, sans pour autant assimiler la violence de l’oppresseur à la violence des opprimés.

Le moment est désormais crucial. Walid SLAYBI affirmait dans son livre « Oui à la Résistance Non à la Violence » : « Nous ne sommes pas dans un monde où la violence a vaincu, nous sommes dans un mode où la non-violence n’a pas vaincu autant jusqu’à maintenant. »Il ne peut y avoir de solution sans une réponse radicale sur ce point.

 

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La résistance non-violente en Palestine est plus dangereuse que jamais, mais c’est la seule voie à suivre
Par Sami AWAD

Nous n’allons pas construire un avenir meilleur pour tous les habitants de ce pays en nous tuant ou en nous dominant les uns les autres. Nous avons besoin d’un mouvement non-violent proactif avec une vision et une stratégie.

Le 7 octobre 2023 est devenu l’un de ces jours – comme l’assassinat de Kennedy ou le 11 septembre – que beaucoup d’entre nous n’oublieront jamais. Nous savons où nous étions et ce que nous faisions lorsque nous avons appris la nouvelle.

Ce samedi matin, je me rendais au marché bio hebdomadaire local de Bethléem quand j’ai appris que le Hamas avait franchi la barrière autour de Gaza et était entré en Israël. Je suis rapidement rentré chez moi, j’ai allumé Al Jazeera et j’ai commencé à entendre les détails de ce qui se passait. J’ai appelé mon cousin à Gaza, où vivait toute la famille de ma mère, et je l’ai supplié de trouver un moyen de sortir. Je savais que ce serait un désastre, mais à ce moment-là, il était trop tard. La famille était coincée.

Ce jour-là et dans les jours qui ont suivi, au lieu de réfléchir, d’analyser et de s’interroger profondément sur les raisons de tout cela, le gouvernement israélien – déjà qualifié de fasciste par beaucoup de ses propres citoyens – a immédiatement renforcé ce qui n’avait pas fonctionné depuis des décennies : plus de domination, plus de puissance militaire, plus de destruction envers les Palestiniens et plus de peur au sein de sa population.

Sans avoir le temps de pleurer les Israéliens qui ont été tués ou de tenter de négocier la libération des otages, les dirigeants d’Israël se sont intensifiés, diabolisant l’ensemble de la population palestinienne de Gaza, les qualifiant d’« animaux humains » et comparant même les attaques à l’Holocauste. Ils ont invoqué l’Amalek, une référence de la Bible à l’histoire du roi Saül ayant reçu l’ordre d’anéantir tous les humains et animaux de la tribu Amalek.

Les attaques contre Gaza ont été alimentées par la vengeance – une vengeance motivée par le sentiment d’humiliation d’Israël. L’idéologie fondamentale d’Israël, qui était d’être une patrie sûre pour le peuple juif qui avait fait face à des siècles de persécution, s’est effondrée en quelques heures.

La croyance d’Israël selon laquelle la construction de l’armée la plus forte et la plus avancée technologiquement de la région et le contrôle de « l’autre » comme moyen de garantir la sécurité s’est avérée être une façade.Oui, me direz-vous – qu’en est-il du passé ? N’y a-t-il pas eu un processus de paix qui a également échoué et il n’y avait pas le choix ?

Lorsque nous regardons en arrière le processus de paix qui a commencé dans les années 1990 et qui a continué à échouer, nous voyons qu’Israël ne négociait pas vraiment pour la paix, mais négociait à nouveau pour la sécurité et la domination, à partir d’un lieu de domination. Tout ce qui a été « donné » aux Palestiniens dans ces négociations – même la création de l’Autorité palestinienne – était destiné à maintenir la supériorité d’Israël au nom de la satisfaction ostensible de ses besoins en matière de sécurité.

La confiscation de terres palestiniennes pour la construction de colonies illégales s’est poursuivie et les restrictions à la circulation des Palestiniens sont devenues plus sévères, sans oublier le mur de séparation qu’ils prétendaient avoir construit pour des raisons de sécurité, mais il est devenu une structure permanente de division et de contrôle. Les questions de libération, de liberté, d’égalité des droits, de justice et de confiance mutuelle ont été réduites à des gestes symboliques. La paix véritable n’a jamais été l’objectif.

Je ne parle pas d’un jugement, mais d’un désir de comprendre ce qui s’est passé afin que nous puissions aller de l’avant. Je parle en tant qu’activiste qui a consacré sa vie à la recherche de la justice et de la paix pour tous les habitants de ce pays. Je parle à partir d’un lieu de douleur, en voyant comment nous avons tous échoué à atteindre ces objectifs, en permettant à des événements comme le 7 octobre de se produire, et en étant témoin de la mort et de la destruction continues à Gaza et en Cisjordanie.

Je parle en tant que personne qui a visité les camps de la mort d’Auschwitz et de Birkenau, qui a profondément appris et reconnu le génocide qui a eu lieu en Europe et comment il a créé une conscience collective de peur et de traumatisme parmi les Juifs, construite sur les siècles précédents de marginalisation et de discrimination.

En tant que militant non-violent, j’ai compris depuis longtemps que dans un système de domination absolue, la réponse à toute résistance – en particulier la non-violence – est la répression. C’est ce que nous avons vécu au cours des nombreuses années de notre engagement dans des actions non-violentes. Nous avons tous été témoins de la Marche du retour de 2018 à Gaza, où des centaines de Palestiniens ont été tués et des milliers blessés dans une action non-violente exigeant le droit des réfugiés à rentrer chez eux, comme le prévoient les Nations Unies.

La non-violence expose les systèmes d’oppression et est donc dangereuse pour ces systèmes. Je ne peux pas compter le nombre de fois où des Israéliens ou des internationaux sont venus me voir pour me demander pourquoi les Palestiniens n’utilisent pas la non-violence ? Je leur demandais toujours de définir ce qu’ils entendaient par non-violence avant de leur donner ma réponse. Et oui, la différence était frappante.

Alors que la situation à Gaza est maintenant celle de la survie au milieu des bombardements et des attaques en cours, la situation de la résistance non-violente en Cisjordanie en particulier est devenue plus dangereuse et meurtrière que jamais auparavant. Poussée par la vengeance, les représailles, la déshumanisation et la domination, l’armée israélienne a redoublé d’efforts pour réprimer la résistance non violente.

De nombreux militants palestiniens non-violents en Cisjordanie ont été arrêtés tôt en octobre et novembre 2023, notamment Ahed Tamimi et son père Basem, un dirigeant du mouvement non-violent en Palestine, qui a été libéré en juin 2024 après avoir été torturé. Toute action non-violente se heurte à une violence sans précédent de la part de l’armée israélienne ou des colons, qui ont reçu plus d’armes et une plus grande liberté pour s’engager dans la violence contre les Palestiniens.

Les militants de la solidarité internationale ont également été pris pour cible, comme l’activiste turco-américain Aysenur Ezgi Eygi abattu d’une balle dans la tête par un tireur embusqué israélien le mois dernier.Au cours de l’année écoulée, je me suis souvent senti désespéré, me demandant à plusieurs reprises : « Que pouvons nous faire ? » Cette question me traverse la tête et traverse des conversations avec d’autres militants palestiniens et israéliens.

Même à l’échelle internationale, malgré les protestations, les sit-in et les manifestations réclamant (au moins) un cessez-le-feu pour mettre fin au meurtre de Palestiniens innocents, les dirigeants mondiaux, en particulier en Occident, n’ont répondu qu’en déclarant qu’« Israël a le droit de se défendre ». Ils veulent dire par là qu’Israël est justifié d’utiliser toujours la violence, et ils le soutiennent et ne changeront donc pas de politique.

De nombreuses manifestations non-violentes mondiales ont été rejetées comme anti-israéliennes ou antisémites, et ont même été confrontées à la violence de leurs propres forces de police.

Se sentir désespéré est quelque chose, mais abandonner n’est pas une option. Notre engagement en faveur de la non-violence doit être plus fort que jamais. Nous n’allons pas construire un avenir meilleur en nous tuant ou en nous dominant les uns les autres et la résistance non-violente est la voie à suivre. Cela est devenu plus clair pour moi récemment lorsqu’on m’a demandé de donner une formation en résistance non-violente à un groupe de 25 jeunes leaders palestiniens, hommes et femmes d’une vingtaine d’années.

Voir leur ouverture au potentiel de la non-violence a rajeuni en moi un sentiment d’espoir que je n’avais pas ressenti depuis un moment.

La non-violence ne peut plus être une réponse en réaction à l’agression, comme elle l’a souvent été dans le passé – protester contre une confiscation de terres, la construction d’une section du mur de séparation ou la démolition d’une maison. Il doit devenir un mouvement clair et proactif, doté d’une vision et d’une stratégie globale qui s’attaquent aux obstacles présents et futurs à la réalisation de la liberté, de la justice, de la paix et de l’égalité dans ce pays. Elle doit s’attaquer aux systèmes de domination et de pouvoir, et pas seulement à leurs actions.

La non-violence ne doit pas être considérée comme le choix de ceux qui sont trop faibles pour utiliser la résistance armée, mais comme le choix de ceux qui sont forts, engagés et prêts à risquer ce qui est nécessaire pour la libération et la liberté.Même si les protestations et les manifestations sont impossibles à l’heure actuelle, les tactiques de la non-violence sont nombreuses. Les stratégies fondamentales de non-coopération et de non-respect doivent devenir un élément central de la résistance et de la résilience – non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour les Israéliens et la communauté internationale.

Plus précisément, un mouvement non-violent doit émerger du côté israélien qui défie directement les idéologies promouvant la peur, la victimisation, l’exclusivité, la supériorité et la déshumanisation de l’autre. Nous devons nous unir pour lutter contre la peur et le traumatisme en créant des espaces de confiance et de respect mutuels, et non de séparation, de domination et de militarisation.

Si nous ne nous attaquons pas au traumatisme collectif de l’oppresseur et des opprimés, nous n’atteindrons jamais la paix. Ceux qui négocient à partir de la peur (qu’elle soit réelle ou imaginaire) chercheront toujours à prendre le pouvoir sur l’autre. Lorsque le pouvoir absolu est combiné à la peur absolue, le résultat est un désastre absolu, là où nous en sommes aujourd’hui.

Cette catastrophe dans laquelle nous nous trouvons affecte non seulement la population palestinienne, qui souffre le plus, mais aussi la population israélienne, qui paiera un lourd tribut à long terme si ce système de pouvoir et de peur – également connu sous le nom de fascisme – continue de dominer. Sur le plan international, le mouvement de boycott et de désinvestissement doit se développer, et les campagnes de sanctions contre les systèmes fascistes doivent devenir des valeurs fondamentales.

Les candidats politiques qui dénoncent le fascisme doivent être soutenus. Il ne s’agit pas d’une question entre musulmans et judéo-chrétiens, entre Orient et Occident ou entre bruns et blancs – comme certains politiciens occidentaux le prétendent pour susciter la peur dans leurs populations. Il s’agit d’une question de droits de l’homme, de dignité et de justice.

Pour tout cela, nous avons besoin de dirigeants – en particulier parmi les Palestiniens – qui peuvent apporter unité et vision à une population divisée à la fois par le système de contrôle d’Israël et par les conflits internes. Bien que nous ayons besoin de la solidarité internationale et israélienne, il s’agit de la lutte palestinienne pour la libération, et nous devons prendre la tête. L’unité doit inclure tous les Palestiniens – ceux des territoires occupés, ceux d’Israël (Palestiniens de 1948) et ceux de la diaspora.

La structure politique palestinienne actuelle nous a laissé tomber, et elle doit démissionner. En observant l’enthousiasme de ces jeunes leaders pendant la formation, j’espérais que l’ancienne génération de dirigeants commencerait à les voir et à leur faire confiance, ce qui leur permettrait, ainsi qu’à d’autres comme eux, d’émerger comme les futurs dirigeants du peuple palestinien.

La non-violence exige un haut niveau d’engagement et de discipline et doit être engagée comme une stratégie à long terme, avec la compréhension que de nombreuses batailles seront gagnées et beaucoup perdues. Il ne doit pas seulement être utilisé pour dénoncer l’occupation, mais aussi pour construire des sociétés qui adhèrent aux valeurs de la vie non-violente.

Et il doit également inciter la communauté internationale à exercer la pression nécessaire sur toutes les parties pour permettre un nouveau processus de paix, un processus non motivé par la domination et la peur, mais qui vise la libération collective, la paix, la justice et la sécurité pour tous. En fin de compte, mon plus grand espoir est de croire ce que Martin Luther King Jr. a dit un jour : « L’arc de l’univers moral est long, mais il tend vers la justice. »

7 octobre 2024

L’article original est accessible ici