Alors qu’elle tue sciemment des innocents et sème la terreur dans les populations, pourquoi la guerre reste-t-elle glorifiée au point que l’on puisse encore en faire l’apologie ?
Le terrorisme
Il existe un cas de figure où la dénomination « terrorisme » pourrait presque faire l’unanimité, sauf chez les terroristes, bien sûr.
En effet, est incontestablement terroriste tout attentat ou crime qui vise à semer la terreur auprès d’un groupe ou d’une population. Cet attentat ou crime étant commis à l’encontre de personnes totalement étrangères aux motifs qui ont présidé à leurs morts ou à leurs blessures.
En toute logique, on qualifie d’innocentes les victimes de ces actes puisqu’elles se sont retrouvées ciblées soit complètement par hasard, soit au seul titre de ce qu’elles sont ou représentent, et non pas pour ce qu’elles font ou auraient fait.
Dans cette signification, on classera comme terroristes les acteurs et les pouvoirs qui prônent et mettent en œuvre ce type d’action. Enfin, on s’accordera également à qualifier d’apologie du terrorisme tout discours qui prône ou valorise ces mêmes actions.
C’est dans cet esprit que la loi française du 13 novembre 2014 a introduit des dispositions spécifiques contre l’apologie du terrorisme.
Mais l’unanimité s’arrêtera là et l’utilisation des termes « terrorisme » ou « terroriste » dans toutes les autres acceptions pose problème.
Depuis un siècle, il n’existe pas un conflit armé sans qu’un des belligérants ne traite l’autre de terroriste ou certains de ses actes de terrorisme. Face aux armées régulières ou d’occupation – bien armées et bien formées – les opposants sont les plus souvent qualifiés de terroristes en raison de leurs méthodes de combats parfois peu conventionnelles. Terroristes ils sont, terroristes ils restent, même lorsqu’ils s’en prennent à ces armées régulières et non pas à des innocents.
Ce débat sur ce qui est ou non « terroriste » est houleux et tous ceux qui s’y aventurent s’y embourbent.
Et l’opération est encore plus complexe lorsque le droit s’en mêle et qu’il se trouve convoqué à définir le terrorisme et son pendant: l’apologie du terrorisme. C’est de cette manière que la loi de 2014 est devenue une arme politique, chargée de définir les bons et les mauvais motifs de guerre et les bonnes et les mauvaises méthodes pour la faire.
Même l’ex-juge antiterroriste, M. Marc Trévidic (1) s’émeut de cette dérive et dénonce aujourd’hui « un abus » et « un usage totalement dévoyé de la loi ».
Faut-il alors poursuivre dans le sens qu’il préconise : « Il faudrait oser faire marche arrière » ? Ou faut-il aller plus loin ?
Guerre et terrorisme, quelle différence ?
Car ce qui est en cause, comme à chaque fois dans ces débats, est la légitimité morale de la guerre.
Parce que si l’on cherche des exemples d’épisodes de terreur auprès des populations civiles dans le déroulement de toutes les guerres, on les trouvera par centaines. Et ceci, quels que soient les belligérants, les motifs ou les méthodes de ces guerres.
Et si l’on cherche des morts totalement étrangers aux motifs de la guerre et dont la seule faute est d’être là : on en trouve encore des centaines et des milliers, voire des milliers de milliers. Il s’agit bien de crimes contre des personnes uniquement pour ce qu’elles sont ou représentent et non pas pour ce qu’elles font ou ont fait.
Où est donc la différence entre cela et le terrorisme défini plus haut ?
Inutile de crier, j’entends la réponse supposée tout absoudre : dans un cas, le crime est volontaire, dans l’autre, il est involontaire, accidentel, par erreur, et de ce fait, aucun rapport.
Un tel argument supposerait que la présence d’un seul civil sur un site exclurait toute action de guerre conventionnelle non terroriste ? Chacun sait au fond de lui-même que cet argument est totalement faux et qu’aucune armée au monde ne prendra en compte ce genre de considération.
Le calcul est beaucoup plus cynique que cela et a donné naissance à un monstre : les dégâts collatéraux.
Ceux-là relèvent à la fois :
- D’une forme de calcul de risque sur le nombre de civils que l’on va probablement tuer ? Donc, on tue sciemment des innocents.
- D’une forme de calcul du risque de « bad buzz ». Jusqu’où peut-on aller sans trop émouvoir l’opinion publique, la presse et les instances internationales. Oui, faire du terrorisme à bas-bruit est un art !
- De la propagande et de la manipulation, puisqu’il suffit d’avoir touché une cible pour se disculper d’en avoir sacrifié tant d’autres. Imaginons demain un groupe terroriste qui justifierait ses crimes en prétendant avoir touché une des cibles qu’il visait ? Cela les dé-terroriseraient-ils ? Évidemment, non !
- De l’argument ultime de la raison supérieure. Les terroristes ont le même et le fait de faire du mal à quelqu’un pour son bien n’est-il pas le dernier argument indécent du pervers.
- En parlant de perversion, le summum est sûrement atteint avec ce chantage qui consiste à exiger des innocents qu’ils quittent leurs lieux de vie. A défaut, ils assument le risque d’être tué. Donc, la charge de la responsabilité du crime de l’innocent revient ainsi à l’innocent lui-même : il n’y a pas de mots pour qualifier cela. Imaginons un groupe terroriste qui demande aux parisiens de quitter Paris parce qu’ils va commettre un attentat…
Pénaliser l’apologie de la guerre.
Que l’on comprenne bien pour tous ceux qui ne veulent jamais entendre que ce qu’ils projettent.
La question n’est pas ici de disculper le terrorisme dans son acception classique qui est et reste une horreur absolue, mais de défendre l’idée qu’il n’existe aucune forme de guerre qui ne soit porteuse des marqueurs du terrorisme : terreur des populations et crimes d’innocents.
À ce titre, la guerre ne peut être l’objet d’aucune apologie, ne doit être l’objet d’aucune apologie. Il faut pénaliser l’apologie de la guerre comme celle du terrorisme parce qu’elle est porteuse des mêmes abominations. Il est nécessaire que l’on ne puisse plus vanter les mérites de ces cruautés humaines au travers d’une sorte d’hémiplégie cérébrale dans laquelle la moitié du cerveau qui profite de la vente d’armes amnistie par omission et crédulité l’autre moitié qui distille la terreur sur la planète entière.
Bien sûr, cela choquera ceux qui sont du bon côté du fusil, ceux qui sont du côté du business de la guerre, ceux qui sont du côté des pouvoirs bellicistes mystificateurs ou qui flirtent avec eux par intérêt ou par lâcheté.
Mais pour tous les peuples que l’on assassine, que l’on martyrise, que l’on terrorise au quotidien de toutes les guerres, s’ils avaient le droit à la parole, cela aurait du sens.
(1) Journal Libération, 9/10/2024
Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d’espoir », Éditions L’Harmattan
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