Cloty Rubio a accompagné la visite de Victor Piccinini à Athènes début septembre 2024. Comme elle l’explique dans cet entretien qu’elle a accordé à notre agence, elle anime depuis six ans des ateliers basés sur le livre « L’Art d’accompagner». Elle vit à Barcelone et à cette occasion nous avons parlé des soins palliatifs, de la législation espagnole sur les opioïdes thérapeutiques et de l’euthanasie.
Quand et pourquoi avez-vous commencé à travailler avec les ateliers « L’art d’accompagner » à Barcelone ?
J’ai commencé en 2018 à organiser les ateliers que Victor Piccinini avait développés avec le livre “L’art d’accompagner”, après la publication et la présentation du livre à laquelle j’ai assisté, dans le parc de la Belle Idée à Paris.
J’avais accompagné mon père dans son processus de fin de vie quelques mois plus tôt, et l’expérience que j’ai faite en l’accompagnant et en assistant à son départ a été très profonde et significative pour moi.
J’ai trouvé dans les ateliers et dans le livre susmentionné une façon de transmettre la doctrine de Silo, que je suis depuis ma jeunesse, sur un thème particulier que je considère comme central, à savoir la fin de la vie physique, et du point de vue selon lequel la mort n’est qu’une transformation et non la fin de la vie des êtres chers. Par conséquent, l’accompagnement à ce moment-là est un travail sublime et très significatif tant pour celui qui « part » que pour ceux qui accompagnent.
Les ateliers proposent des moyens et des expériences basés sur la psychologie du Nouvel Humanisme et le Message de Silo, et sont très accessibles dans leur forme à toute personne intéressée par l’accompagnement de fin de vie.
Je suis également motivée par le travail bénévole et désintéressé au service des autres, et je veux apporter ma contribution à cette question qui humanise la santé.
Comment se présente le contexte de travail : Qui sont les invités, où se déroulent les réunions et à quel rythme ? Existe-t-il des conditions préalables à la participation aux ateliers ?
Le contexte de travail est un atelier de deux heures où ont lieu la pratique, les réflexions, et les échanges autour d’un thème. Parfois, nous avons organisé des ateliers plus longs, d’une journée entière, par exemple lorsque nous avons été invités à nous rendre dans d’autres villes éloignées, ou lorsqu’un grand groupe de participants l’a demandé.
Les nouveaux participants découvrent les ateliers par le biais de la page web ‘Arte de acompañar’ sur les réseaux sociaux : https://www.facebook.com/artedeacompanar, et https://www.instagram.com/artedeacompanar, où nous annonçons les ateliers à chaque fois qu’ils ont lieu. Ils sont également annoncés par d’autres organisations avec lesquelles nous collaborons, comme le réseau La fin de la vie (Al final de la vida). https://www.alfinaldelavida.org/
Les participants réguliers avons un groupe whatsapp et beaucoup d’entre nous invitent d’autres personnes.
Les participants viennent aussi bien du secteur de la santé que des bénévoles ou des personnes en situation d’ accompagner des familles ou des amis.
Le seul requis pour participer est d’être présent à l’heure et à la date fixées. Les ateliers sont ouverts et gratuits et ne nécessitent pas d’inscription préalable. Ils ont généralement lieu tous les mois, le premier vendredi du mois, à l’exception des jours fériés.
Une bibliothèque municipale et publique met à notre disposition un espace polyvalent situé en face de la bibliothèque, où des événements littéraires sont organisés. Les seuls ateliers non institutionnels qui y fonctionnent sont les nôtres, car considérés comme « un service public », ils ont fait exception.
https://bibliotecavirtual.diba.cat/sant-cugat-del-valles-biblioteca-mira-sol-marta-pessarrodona
Quelles sont les questions sur lesquelles vous travaillez ?
Nous disposons déjà d’un bon ensemble d’ateliers que nous avons développés au cours des cinq dernières années et sur lesquels nous travaillons. Aux quatre ateliers initiaux se sont ajoutés quelques autres et nous avons maintenant le projet de les éditer et de les imprimer sous la forme d’un livret.
Les thèmes abordés dans les ateliers sont basés sur le sujet du livre, dans le but de mettre en pratique ce qui y est présenté.
Quelques exemples d’ateliers :
- L’attention à sa propre intériorité
- Introduction générale au livre
- Le processus du bien mourir
- Le registre de « l’humain et de l’essentiel » en soi et chez les autres
- La réconciliation profonde
- Réflexions sur la solitude
- La bonté et la compassion
- Surmonter les peurs
- La force interne
- Le remerciement et la demande
Quels changements avez-vous constatés au cours de ces travaux et qu’est-ce qui s’est passé pour vous ?
La permanence des ateliers pendant cinq ans a été très importante, et en ces temps instables, ce fait est important.
Un environnement humain très affectif et très confiant s’est créé entre les participants, dont la plupart sont restés et ont invité d’autres personnes à se joindre à eux.
Je pense que si les gens reviennent et invitent d’autres personnes, c’est parce que ces ateliers leur sont utiles et qu’ils s’y sentent bien quand ils viennent.
Nous mettons l’accent sur le bien-être des personnes présentes, sur le fait qu’elles se sentent à l’aise pour s’exprimer et que le respect de toutes les opinions n’entrave pas la transmission de ce que nous voulons exprimer.
J’ai appris à animer les ateliers avec de plus en plus d’aisance et de connexion avec moi-même et les autres, et j’ai également appris à travailler en équipe. Mais l’apprentissage est toujours ouvert et à chaque fois, avec une action constructive, on apprend davantage.
Atelier sur « l’art d’accompagner » à Barcelone
Victor Piccinini dit que pour qu’une personne proche de la mort physique puisse effectuer des opérations internes, elle doit avoir géré la douleur physique. Est-ce que des médicaments destinés à cette fin (comme par exemple le cannabis thérapeutique ou d’autres) sont disponibles en Espagne ?
Éviter la douleur physique est l’une des conditions nécessaires à un bon processus de mort, afin que la conscience et la psyché puissent procéder à la fermeture biographique nécessaire, à la réconciliation profonde, à l’acceptation et à la préparation d’une transformation évolutive vers de nouvelles régions de l’esprit ou transcendance.
En Espagne, des progrès ont été réalisés ces dernières années, sous l’impulsion de professionnels de la santé et de personnes sensibles à la question. Ainsi une législation a été adoptée et des soins palliatifs de contrôle de la douleur utilisant des opioïdes, tels que la morphine ou le fentanyl, sont désormais accessibles à l’hôpital ou à domicile.
Comment traiter le patient et les membres de la famille lorsque la douleur n’est pas contrôlable par des analgésiques, et qu’ils ne sont autorisés à prendre aucun médicament ?
Les progrès de la médecine palliative permettent de minimiser la douleur dans presque 100 % des cas, même les plus agressifs.
Par conséquent, la première chose à faire est de suggérer à la famille de demander à être reçue par un médecin ou une équipe de soins palliatifs.
Ils appliqueront, à un degré extrême, une sédation palliative et la personne ne ressentira aucune douleur.
Parallèlement, les accompagnateurs continueront à aider avec les instruments et les attitudes proposés dans « L’art d’accompagner » (lectures inspirantes, présence totale, expérience de bien-être, relaxation, expérience de paix et cérémonie d’assistance (si la personne approche de ses derniers instants).
Lorsqu’une personne proche de la mort physique a achevé le processus interne nécessaire et souhaite mettre fin à sa vie physique par l’euthanasie, pensez-vous qu’elle devrait être autorisée à le faire ? Que se passe-t-il en Espagne à ce sujet ?
Nous pensons que les soins palliatifs doivent être consolidés, car ils n’ont pas encore été intégrés dans toute la société et de nombreuses personnes ne les connaissent pas. Il est nécessaire de mener des campagnes de diffusion pour expliquer ce que sont les soins palliatifs, car de nombreuses personnes n’en ont pas une idée claire.
Les hôpitaux doivent être dotés des ressources financières nécessaires à leur mise en œuvre, et les médecins spécialisés dans les soins palliatifs doivent être formés dans les facultés.
Selon certaines études portant sur des patients ayant demandé l’euthanasie, ceux-ci l’ont abandonnée après avoir eu accès à des soins palliatifs qui ont amélioré leur qualité de vie.
En Espagne, une loi sur l’euthanasie prévoit le cas suivant : « Souffrir d’une maladie grave et incurable ou d’une affection grave, chronique et invalidante, certifiée par le médecin responsable. Avoir présenté deux demandes volontairement et par écrit, ou par un autre moyen permettant d’en conserver une trace, et qui ne résultent d’aucune pression extérieure, en laissant un intervalle d’au moins quinze jours calendaires entre les deux. Et donner son consentement éclairé avant de bénéficier de l’aide à mourir ».
https://www.sanidad.gob.es/eutanasia/ciudadania/informacionBasica.htm
Comment se passe la communication entre l’équipe de Barcelone et les services de soins palliatifs des hôpitaux catalans ?
La communication avec certaines unités de soins palliatifs et l’équipe de l’Art de l’Accompagnement à Barcelone consiste à leur proposer nos ateliers, nos cérémonies et le livre sur une base volontaire. Nous avons déjà fait don de quelques exemplaires du livre à certains centres de soins palliatifs.
D’autre part, il est encourageant de constater que la faculté des sciences de la santé Blanquerna inclut le livre El arte de acompañar (L’art d’accompagner) dans la bibliographie du diplôme d’infirmière.
https://www.blanquerna.edu/ca/facultat-de-ciencies-de-la-salut
Enfin, que signifie humaniser la santé et comment y parvenir ?
Humaniser la santé, c’est promouvoir une santé intégrale qui inclut les aspects biologiques, psychologiques, sociaux, environnementaux et spirituels. Car ces aspects constituent la réalité humaine et font partie de la même structure interdépendante.
Nous voulons également promouvoir une vision de la santé basée sur des soins responsables, c’est-à-dire que nous apprenons à prendre soin de nous-mêmes, à prendre soin des autres et à prendre soin de l’environnement naturel et social.
Humaniser la santé, c’est travailler à faire de la santé un service public à but non lucratif, accessible à tous et à toutes dans des conditions d’égalité.
En tant qu’humanistes universalistes, nous aspirons à ce que tous les habitants de la planète puissent avoir accès à des soins de santé complets et de qualité, qui les aident dans leur vie.
Pour progresser dans l’humanisation de la santé, les politiques des pays doivent lui donner la priorité et les moyens financiers nécessaires. En ce sens, la société doit faire pression sur ses dirigeants pour qu’ils fassent de la santé une priorité et que les dépenses d’armement soient affectées à la santé.
Par conséquent, l’humanisation de la santé implique un changement de valeurs en direction de la société. Nous pouvons créer une prise de conscience à travers notre action, ce qui est important et très nécessaire en ces temps de grande confusion dans les valeurs de la vie et de l’humain.
Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet