Le prochain sommet des BRICS, qui se tiendra à Kazan, en Russie, du 22 au 24 octobre, a suscité un grand intérêt dans l’opinion publique, d’autant plus qu’il aura lieu quelques jours seulement avant les élections présidentielles aux États-Unis.
Par Sergio Rodríguez Gelfenstein
Il est incontestable que cet événement marquera une partie importante de l’agenda international des temps à venir, mais il me semble que nous devons être prudents quant à ce que le Sommet lui-même pourrait définir et décider. Cependant, sans mettre en doute le fait que le groupe des BRICS est l’expression du nouveau monde qui est en train de naître , et qu’un système international alternatif, plus juste et plus démocratique semble se structurer autour de lui, nous ne devrions pas « sonner les cloches » ni susciter des attentes injustifiées quant à ce qui pourrait être décidé à Kazan.
Jusqu’à il y a quelques semaines, il n’y avait pas de consensus clair sur la voie à suivre quant à la croissance du groupe. Aujourd’hui encore, il n’existe aucune définition en lien avec les exigences auxquelles doivent satisfaire les pays qui aspirent à adhérer, pas plus qu’il n’existe de charte fondatrice, un règlement, ou un statut de fonctionnement. Les BRICS n’ont ni siège, ni secrétariat général, ni structure définie.
Certains peuvent penser que c’est une bonne chose. Je pense que ce n’est pas le cas. Jusqu’à présent, tout ce que l’on sait, c’est qu’ils organisent des sommets annuels et qu’ils n’ont pas de « conseil de sécurité » dont les membres disposent d’un droit de veto.
De la même manière, la représentation de l’Afrique, de l’Asie occidentale, de l’Amérique latine et des Caraïbes (exclues du statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies) rend cet organe beaucoup plus représentatif du monde du 21e siècle qu’il ne l’était en octobre 1945, lors de la création de l’ONU avec 51 pays (dont seulement quatre d’Afrique, huit d’Asie et aucun de la région anglophone des Caraïbes). Aujourd’hui, ces régions regroupent 119 pays sur les 193 que compte l’ONU et n’ont aucune représentation parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. Cela montre que les BRICS (où les décisions sont prises par consensus) sont déjà un organe plus démocratique et participatif que tous les autres organes de ce type qui ont existé par le passé.
Le sommet de Kazan devra prendre des décisions pour l’avenir. Il ne faut pas que se répète la déception de Lula qui, pour favoriser son ami Alberto Fernández, a proposé et fait approuver l’adhésion de l’Argentine, sachant qu’il pouvait arriver (ce qui s’est malheureusement produit) que l’arrivée au pouvoir de Javier Milei empêche la réalisation de cette proposition de caractère superficiel et affectif.
Bien que la présidence russe pro tempore ait déclaré qu’elle s’attendait à ce que des représentants des pays d’Amérique latine assistent au sommet des Brics à Kazan, il faut dire que c’est une chose d’assister au sommet et une autre d’adhérer à l’organisation. Nous ne savons pas si, avec la frivolité qui le caractérise et en poursuivant sa politique en faveur des États-Unis et de l’Europe, Lula – qui n’a pas encore reconnu le président Maduro – opposera son veto à l’entrée du Venezuela, plaçant la Chine, la Russie et les autres membres à un carrefour où ils devront choisir entre le Brésil et le Venezuela. Il convient de noter que jusqu’à présent, le Brésil est le seul pays membre des BRICS à ne pas avoir reconnu le président Maduro.
La Russie a choisi d’inviter de nombreux pays au sommet et a été l’un des principaux promoteurs de la croissance du groupe. Toutefois, le ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, a prévenu qu’« une pause dans l’élargissement … est opportune »… Cela pourrait signifier un ralentissement du processus, chaque fois que se présentera la nécessité pour le groupe de s’adapter d’abord à la présence des nouveaux pays qui ont rejoint l’Union le 1er janvier. Dans ce contexte, il est impératif que les nouveaux membres soient pleinement intégrés avant d’envisager de nouvelles adhésions. Si le consensus à cinq était difficile, il l’est encore plus à dix et se compliquerait sans doute encore plus si le nombre de membres augmentait.
La pause serait donc importante pour établir les mécanismes de fonctionnement face au risque qu’un grand nombre de participants ne paralyse les travaux du groupe, sachant que jusqu’à 40 pays ont sollicité leur adhésion. Par conséquent, l’invitation à participer au sommet devrait être comprise comme un processus de rapprochement et d’évaluation qui génère les conditions et les mécanismes nécessaires à l’augmentation du nombre de membres. Il semblerait qu’aujourd’hui, pour les BRICS, il soit plus important de s’organiser et de se solidifier que de croître.
L’un des aspects urgents à définir est la caractéristique du groupe. Jusqu’à présent, il a été un forum de débats autour des principales préoccupations de la communauté internationale, notamment en ce qui concerne les questions susmentionnées : la représentativité et la démocratie dans les organismes internationaux.Toutefois, il est également destiné à devenir un mécanisme facilitant les relations économiques, le commerce et le développement scientifique et technologique, en premier lieu entre les pays membres, mais aussi avec en perspective tout le Sud global.
L’objectif est de former « de nouveaux centres pour la prise de décisions politiques d’importance mondiale dans les pays du Sud et de l’Est » et, en général, dans ceux qui constituent la majorité de la planète, comme l’a déclaré le ministre des affaires étrangères Lavrov lors de l’ouverture du conseil ministériel des Brics Plus en juillet de cette année.
Lavrov a déclaré que les États qui souhaitent rejoindre les BRICS aspirent à « un mode de vie plus juste, fondé sur l’égalité souveraine des pays, et la diversité des civilisations ». Toutefois, il a averti que la transition vers le nouvel ordre mondial devra passer par une ère historique qui « sera épineuse » si les États-Unis et l’Occident persistent dans leurs intentions de maintenir leur hégémonie empêchant les processus de construction d’un système multipolaire de se matérialiser dans les plus brefs délais.
Au contraire, les BRICS, comme la majorité de l’humanité, se proposent d’évoluer vers « un ordre mondial plus équitable, fondé sur l’égalité souveraine des États et tenant compte de l’équilibre des forces et des intérêts », et entendent donc servir de plateforme d’échange de vues sur les questions d’actualité inscrites à l’ordre du jour mondial.
Un point de vue similaire a été exprimé par Vyacheslav Volodin, président de la Douma d’État russe (chambre basse du parlement), qui a déclaré que dans le contexte actuel où les États-Unis et l’Europe déploient des efforts considérables pour détruire les relations économiques internationales, en adoptant des sanctions et en déclenchant des conflits de toutes sortes, le monde évolue dans la direction opposée.
En premier lieu, selon Volodin, de nouveaux points de croissance ont été créés dans le monde. Il estime également que « de nombreux États ont choisi la voie de la protection de la souveraineté, du dialogue égalitaire et de la coopération mutuellement bénéfique ».
Le parlementaire russe de renom a expliqué qu’au cours des 15 années d’existence des BRICS, le groupe est devenu l’un des plus grands centres économiques du monde, tandis que ses membres ont amélioré leurs positions en dépit des défis et des sanctions. Selon les données de la Banque mondiale, la Russie est devenue la quatrième économie mondiale en termes de PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA), et la première en Europe. La Chine est en tête du classement, l’Inde est troisième et le Brésil est passé à la septième place. Le top 25 comprend également plusieurs nouveaux membres des BRICS tels que l’Égypte (17), l’Arabie saoudite (18) et l’Iran (22).
En revanche, dans cette statistique, les États-Unis sont descendus à la deuxième place ; l’Allemagne a quitté le groupe des cinq plus grandes économies du monde, tandis que la France et la Grande-Bretagne sont sur le point de sortir du top 10. Dans l’ensemble, les BRICS représentent désormais 36,8 % du PIB par PPA, dépassant le Groupe des Sept (G-7), les plus grandes économies capitalistes du monde, qui ne contribuent qu’à hauteur de 29 %.
D’autre part, la philosophie dominante du groupe BRICS ne vise pas à établir un nouveau mécanisme hégémonique sur la planète. Au contraire, une partie des difficultés rencontrées pour progresser provient de l’intention claire de produire des dialogues ouverts dans lesquels il n’y a jamais de tentative d’imposer des critères aux autres. Mais cela nécessite des niveaux élevés d’organicisme, qui permettent à ces dialogues de se dérouler sans produire de conflits ou de ruptures.
Il s’agit, comme l’a dit le ministre des affaires étrangères Lavrov, de considérer les BRICS « comme un rempart, un prototype du monde multipolaire ». Ou, pour reprendre les termes du président Poutine, les BRICS doivent être considérés comme « un élément clé de l’ordre mondial multipolaire émergent », y compris dans la perspective de la création de leur propre parlement fonctionnant selon les principes « d’ouverture, de justice et d’équité ».
Sur cette voie, les parlements des pays du groupe BRICS devraient améliorer l’efficacité du système de relations internationales, garantir sa démocratisation et s’attaquer aux problèmes qui menacent la fragmentation du système commercial multilatéral et les conséquences des crises mondiales.
C’est ainsi que se dessine le nouvel ordre international. Il ne fait aucun doute que le sommet de Kazan marquera un tournant dans un processus qui doit suivre les rythmes et les délais imposés par les circonstances. Accélérer artificiellement les étapes, ou pousser à la réalisation de buts et d’objectifs impossibles ou peu réalisables dans le processus d’élargissement et de renforcement du groupe des BRICS, pourrait devenir un problème plutôt qu’une solution.
Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet