On peut le déduire de manière analytique, certes, mais avec un minimum de flair, on peut aussi le voir clairement : la Troisième Guerre mondiale a déjà commencé — elle risque d’être pour un bon moment encore une compagne bien macabre.

Ce n’est là qu’une vue fragmentaire, qu’un aperçu des friandises bellicistes qu’on nous réserve ; sans parler des conséquences qui en découlent.

Nous ne parlons pas d’apocalypse. La perspective pour les humains, c’est de vivre et mourir au milieu de catastrophes induites par le changement climatique, c’est aussi de vivre et mourir dans une guerre mondiale permanente (seule serait apocalyptique une escalade nucléaire, mais elle ne laisserait aucun espoir de salut).

Et pourtant, aucun scénario, si noir soit-il, ne change quoi que ce soit à ce pour quoi nous luttons. Petit à petit, il va falloir se faire à l’idée qu’il n’y a pas que les conséquences du changement climatique et la destruction de la biosphère qui vont nous dicter nos conditions de vie et de lutte, il y aura aussi les guerres, qui en sont au moins partiellement les avatars. Il va falloir que nous soyons très attentifs à cela si nous voulons nous sortir de l’impuissance qui nous guette sur les plans politique et pratique.

Ce que cela peut signifier concrètement, nous essaierons aussi souvent qu’il le faudra, dans les mois qui viennent, de l’écrire. Pour l’instant, nous n’oserons que des suppositions.

Suppositions

La Troisième Guerre mondiale ne va pas commencer par une déclaration de guerre. Elle va s’imposer comme un état de guerre permanent.

La Troisième Guerre mondiale va commencer par des luttes pour l’accès à l’eau et à la nourriture, qui ne cesseront pas tout au long de notre vie. Elle va commencer par la guerre contre les migrants, auxquels le chaos climatique n’offre plus aucune perspective d’existence — ce n’est pas près de finir. La guerre sans fin va commencer par une guerre entre grandes firmes et États pour s’approprier les métaux rares — comme ces métaux ne sont pas éternels, cette lutte, dans les conditions de la civilisation industrielle, ne cessera jamais. La Troisième Guerre mondiale va commencer avec une compétition de plus en plus vaine pour des technologies censées maintenir en l’état la situation actuelle, qui est elle- même au bord de l’effondrement. La guerre va commencer quand il ne restera plus qu’une seule grande puissance ; alors, elle pourra se dire qu’elle a les moyens, dans cette situation confuse, d’imposer militairement ses intérêts dans le monde entier.

Ne nous méprenons pas, la Troisième Guerre mondiale a déjà commencé. La normalité que représente pour d’autres depuis 500 ans l’état de guerre globalisée va devenir la règle pour nous aussi. La guerre en Ukraine nous en offre un avant-goût, elle est un prélude à l’horreur.

Somnambulisme et préservation

Étrangement, il n’y a pas de continuité dans les récits sur les guerres. Ni sur leurs causes, ni sur l’horreur qu’elles induisent. Depuis plus de 1 200 ans, la paix, en Europe, est une période exceptionnelle. Il y a plus de 500 ans que des soldats européens font des ravages partout dans le monde. Nous qui vivons dans des États qui, ces derniers temps, se lancent dans des guerres à l’autre bout du monde, cela devrait nous mettre en colère d’apprendre que notre histoire est aussi une histoire de guerres. Pour beaucoup de gens, la guerre a toujours relevé, et relève encore, d’une règle cruelle. Et pourtant, il semble impensable, inconcevable que cette société de somnambules se lance dans une guerre.

Pendant les deux guerres mondiales, ils ont encore réussi à contraindre nos grands-pères à se battre sous les drapeaux. Il n’y a pas si longtemps. Aujourd’hui, quel que soit le signal d’alarme, ils font comme si une troisième guerre mondiale était impossible. Mais c’est complètement idiot ! Quand on entend « troisième guerre mondiale », l’idée qui nous vient tout de suite à l’esprit, ce n’est pas l’usage des armes atomiques russes, quand bien même l’élite de la fédération russe serait prise de panique ; bien que cette hypothèse soit envisageable. Nous pensons à un état de guerre globale permanent, jusqu’à la fin de la civilisation industrielle. En même temps, on peut toujours considérer qu’il s’agit d’une série de conflits interétatiques indépendants les uns des autres. Mais rétrospectivement, on constatera qu’il s’agit bien d’une phase historique unique d’état de guerre, qui va bientôt commencer. Un état de troisième guerre mondiale.

Comment allons-nous « nous » comporter dans un tel scénario ? Le problème, au fond, c’est que la plupart des gens ici, y compris ceux de gauche, les antifascistes bourgeois, les éco-anxieux, et même les indignés — tous ces gens veulent préserver les conditions qui ont conduit à cette guerre. C’est compréhensible, mais c’est aussi inéluctable, au vu de la catastrophe climatique et des guerres qui vont évidemment en découler pour les ressources et pour la domination technologique. Immanquablement, quiconque voudrait continuer à mener sa petite vie tranquille (en maintenant ses relations en l’état, en continuant à s’occuper toujours de son propre bien-être et de son propre état d’esprit) deviendra à un moment ou à un autre responsable de la guerre. Car les guerres qui commenceront seront précisément déclarées pour maintenir la stabilité des pays riches. Pour maintenir les conditions de valorisation capitalistiques. Pour maintenir les flux de ressources. Pour maintenir la pertinence des normes technologiques, pour préserver la sécurité alimentaire et les influences géostratégiques etc. Les guerres du futur seront menées pour maintenir la stabilité. Tout ceci n’entre absolument pas en contradiction avec le fait que la déstabilisation des relations soit inhérente à la guerre. Sauf que : cette déstabilisation, c’est aux autres de la vivre, non ? Il n’y a qu’une guerre gagnée pour maintenir les relations en l’état. Ce sera là le seul véritable trophée pour les vainqueurs.

Quiconque voudrait ne serait-ce que stabiliser les relations deviendrait gouverneur.e de l’État belligérant.

Ouvrons les yeux !

La ministre allemande des affaires étrangères Baerbock a été en Finlande en février 2023 ; sur place, elle a visité des bunkers, ce qui l’a mise d’excellente humeur. Là-bas, ils sont ravis de pouvoir les utiliser comme des installations, très prisées, de sport et de loisirs plutôt que comme abris contre les bombes. La ministre a trouvé cela tellement chouette qu’elle a décidé de mettre en route un vaste programme de construction de bunkers. C’est merveilleux de pouvoir aussi jouer au football dans des bunkers, vraiment. C’est aussi risible qu’effrayant. Mais avant tout, c’est une guerre qui se prépare Le ministre allemand de la guerre Pistorius plaide pour l’introduction d’un service militaire obligatoire pour tout le monde. D’une part, il veut incorporer plus de soldat.e.s, d’autre part, le service militaire obligatoire est un instrument de discipline hors pair en période de crise et de guerre. Dans un État qui est en guerre, l’obligation de service, c’est toujours un service militaire obligatoire, où que le service soit accompli. Depuis que Baerbock a dit cela, c’est officiel : « Nous » faisons la guerre à la Russie.

Comme les besoins en munitions sont loin d’être satisfaits, l’industrie allemande de l’armement doit augmenter au plus vite ses capacités. Rheinmetall a reçu l’ordre d’augmenter dans les plus brefs délais ses capacité de production de projectiles d’artillerie.

Actuellement, les voies de chemin de fer et les routes s’harmonisent et s’organisent sur toute l’Europe de façon à accélérer les transports militaires vers l’Est. Dans ce but, on élargit des tunnels et on rénove des ponts. L’UE se prépare depuis quelques années à la guerre. Rien de cela ne se fait en secret.

Les capacités d’intervention nucléaire de l’armée fédérale allemande sont modernisées : ce sont de nouveaux avions américains qui sont chargés désormais de transporter les bombes atomiques stockées à Büchel.

Un budget supplémentaire de 100 milliards euros à l’armée ne suffira pas, dit le ministre de la guerre. Nous sommes au tournant d’une époque. Au tournant d’une époque vers la guerre.

Les USA construisent aux Philippines trois nouvelles bases militaires. La France et le Japon font des manoeuvres militaires communes avec des sous-marins atomiques devant les côtes de la Chine. La France inaugurera en 2025 ses nouveaux sous-marins atomiques. Le président américain assure Taiwan qu’il le défendra militairement dans le cas d’une attaque. En même temps, des analystes du Pentagone et du ministère allemand de l’Économie s’attendent à une attaque chinoise contre Taïwan d’ici à 2025.

L’UE et l’OTAN menacent la Chine de sanctions si celle-ci livre des armes à la Russie — explicitement et officiellement sous prétexte de prendre en compte les conséquences économiques négatives qui pourraient en résulter. Par ailleurs, le découplage des dépendances économiques a déjà commencé. L’interdiction d’importation de nombreuses pépites technologiques aux USA et la frénésie de construction d’usines de puces électroniques aux USA et dans l’UE en font partie. Mais ce découplage n’a pas que des raisons économiques. Il améliore aussi leurs capacités guerrières dans la mesure où c’est la seule voie pour que les USA se permettent une confrontation économique avec la Chine.

Le président allemand va au Cambodge et en Malaisie et il affirme sans ambages que sa visite a pour but de contraindre la Chine à limiter son influence en Asie. Ce qui signifie que l’Allemagne prétend renforcer son influence en Asie.

Nikki Haley, qui présente sa candidature à la présidence du parti républicain des USA, ne prend pas de pincettes. En pleine campagne électorale, elle menace la Chine et la Russie de guerre.

La Russie veut annexer la Biélorussie à la Fédération. Au plus tard d’ici 2030. On pouvait s’y attendre, mais cela a été confirmé en février par un document provenant de l’administration présidentielle russe. Le stationnement de corps expéditionnaires russes en Biélorussie à l’époque et le voyage de Poutine chez son voisin sont des préparatifs militaires et politiques. Il n’y a aucun doute à avoir là-dessus.

La prochaine zone de combat en Europe de l’Est sera la Biélorussie — pour l’instant c’est une guerre hybride, puisqu’elle inclut également une guerre civile. La Russie, l’UE et l’OTAN vont apporter à parts égales à la population biélorusse la mort et la misère.

L’UE et l’OTAN tiennent absolument à ce que l’armée ukrainienne riposte à l’attaque russe jusqu’à ce que la Russie soit vaincue. Et dans ce but, elles livrent des armes. Mais pas seulement. Ici aussi, c’est une guerre par procuration.

Les USA font sauter le gazoduc Nord Stream, comme l’a annoncé le président américain Biden (« Il n’entrera pas en service. »). Des alliés sont attaqués militairement. Ce n’est plus un tabou. Cela montre dans quelle situation d’escalade militaire nous nous trouvons d’ores et déjà.

Le gouvernement israélien prévoit d’ici 2025 de faire sauter les usines iraniennes de fabrication d’uranium sous prétexte qu’ils seraient ensuite en mesure de produire de l’uranium militaire.

Ce ne sont là que des nouvelles fragmentaires, mais elles permettent de reconnaître le potentiel d’escalade militaire. Les guerres en cours et les guerres qui ne finissent jamais, ici, on ne les mentionne même pas. Ces guerres qui sont menées en ce moment-même, à l’insu de la population occidentale, pour l’alimentation et pour l’eau.

On pourrait poursuivre un moment encore la liste. Elle n’est scientifique ni dans sa méthode, ni dans ses affirmations. Mais si tout le monde se met à crier « Guerre ! », ne pourra-t-on pas supposer alors que la guerre arrive ? C’est ce que nous avions à l’esprit au début quand nous avons parlé du sens de la réalité. Tout le monde est au courant des conséquences du changement climatique sur la rapacité autour des matières rares, sans lesquelles il ne saurait y avoir ni moteurs électriques, ni ordinateurs, ni installations solaires, ni éoliennes. Tout le monde sait que les gouvernements capitalistes pensent en termes géopolitiques. Ouvrez les yeux !

Tout le monde connaît des histoires de guerre. De ce point de vue, ça vaut encore le coup de relire 1984. Ce n’est pas l’idée d’une Troisième Guerre mondiale qui est aberrante. Ce qui est aberrant, c’est nier sa possibilité. Chez ceux qui s’expriment de cette façon-là, c’est soit de la bêtise, soit, plus vraisemblablement le déni d’une prise de position en faveur des guerrier.ère.s. Car c’est bien ceux-là qui appellent la guerre la paix.

Un autre monde…

Il ne faut pas craindre d’être traité de provocateur conspirationniste si on veut mettre en garde à propos des guerres qui arrivent. Il n’y a aucun doute, le simple fait de dire cela peut être interprété comme un signal d’alarme. La mobilisation des préparatifs de guerre, qui n’est pas contradictoire avec leur négation, est à ce point avancée que l’antimilitarisme est profondément refoulé, jusque dans les cercles de l’ancienne gauche radicale. Si le silence vaut accord, et l’attitude du reste de la gauche, y compris de l’ancienne gauche radicale, en a dernièrement fourni une preuve impressionnante avec la politique menée autour du Covid, alors il n’y aura plus rien pour faire obstacle à des lendemains belliqueux.

Je le répète : les conséquences de la catastrophe écologique, les guerres pour la prééminence géopolitique, pour l’hégémonie technologique, ou pour les ressources vont déterminer la vie de la plupart des gens dans les décennies qui viennent. La vie, la survie, en seront marquées.

Nous ne pourrons pas y échapper. Mais nous pouvons lier la lutte pour la justice climatique et contre l’approfondissement de la catastrophe écologique à un combat antimilitariste. Oui, nous avons besoin d’en revenir à un antimilitarisme révolutionnaire. Une expression qui sonne encore trop comme un vain slogan, nous n’avons aucune illusion là-dessus. Mais nous n’en sommes qu’à ouvrir les yeux, qu’à appréhender la nouvelle réalité de la guerre. La guerre signifie aussi un pouvoir de plus en plus autoritaire, une formation patriarcale et de la destruction écologique.

Nous avons peur de ce qui arrive, mais nous ne sommes pas impuissants. Nous continuerons à nous battre pour une vie digne.

Comme le fait l’humanité depuis des millénaires.

Anonyme

 

Traduit de l’allemand par Didier Aviat

L’article original est accessible ici