Le 22 août 2024, la cour d’appel de Paris a de nouveau déclaré irrecevable l’appel désespéré à la justice de Tran To Nga, militante et journaliste franco-vietnamienne, contre les quatorze entreprises responsables de la production du défoliant « agent orange ».
Ce poison a été pulvérisé dans les années 1962-1971 par l’armée américaine sur les forêts vietnamiennes pendant la guerre du Vietnam (1959-1975), provoquant un désastre environnemental de grande ampleur, dont les effets sur la santé sont encore ressentis aujourd’hui par la quatrième génération.
Tran To Nga, comme des millions de Vietnamiens, fait partie des victimes touchées par les effets secondaires irréversibles de l’agent orange (le nom de code donné par l’armée américaine au défoliant, Ndlr), et pour la deuxième fois depuis 2014 avait intenté une action en justice contre 24 fabricants de l’herbicide pour obtenir des dommages et intérêts, en particulier pour sa famille et ses deux filles survivantes, qui souffrent de maladies induites par la contamination à l’agent orange. Cependant, le cas a été classé sans suite en 2021 sous prétexte que les fabricants en question bénéficiaient d’une immunité juridique parce qu’ils avaient travaillé pour un gouvernement souverain, de sorte qu’ils n’étaient pas responsables et ne pouvaient pas répondre de la tragédie causée par le défoliant sur la population vietnamienne.
L’agent orange, un déshydratant riche en dioxine TCDD (l’un des composants les plus toxiques de la chimie, ainsi que le protagoniste en Italie de la catastrophe de Seveso, à Ilva di Taranto et en Campanie en 2007), avait été créé à la demande du ministère américain de la défense pour procéder à un dessèchement généralisé de plus de 4,5 millions d’hectares, où la richesse de la flore pouvait cacher le Viêt-Cong, les Forces armées populaires de libération du Sud Viêt Nam qui luttaient pour l’indépendance du pays. L’utilisation de ce dessiccant hautement toxique et du napalm avait été approuvée en 1961 par le président américain John Kennedy, spécifiquement pour l’opération militaire appelée « Ranch Hand » [aide du ranch]. Ce faisant, l’armée américaine a non seulement procédé à une défoliation à grande échelle de vastes zones en pulvérisant l’herbicide, mais elle a également empoisonné les cultures, touchant ainsi des villages entiers et des civils, les obligeant à quitter les zones où la résistance vietnamienne était active et à s’installer dans la partie déjà contrôlée par les forces occidentales. Cependant, la contamination s’est propagée par les rivières, provoquant un véritable « écocide », la mort, des maladies incurables chez toutes les personnes contaminées, comme la chloracné, et enfin des maladies génétiques héréditaires et des malformations chez les enfants à naître.
Les principaux producteurs de l’agent orange étaient Dow, Monsanto, Diamond Shamrock, Hercules, Uniroyal, Thomson Chemicals, etc. En mars 1965, Dow Chemical a organisé une réunion secrète avec tous les fabricants, au cours de laquelle la mauvaise qualité du produit en termes de pureté de la formulation chimique, d’où sa haute toxicité, a été largement évoquée, mais cette information a été expressément ignorée.
La toxicité de ce défoliant était également bien connue dans l’environnement militaire américain, mais il les recommandations des fabricants ont été ignorées et la dose de dioxine a été triplée, ce qui l’a rendue mortelle :
« Lorsque nous avons lancé le programme d’herbicides dans les années 1960, nous étions conscients des dommages potentiels dus à la contamination de l’herbicide par la dioxine. Nous savions même que la formulation militaire avait une concentration de dioxine plus élevée que la version civile, en raison de son coût moins élevé et de sa vitesse de production. Toutefois, comme le produit devait être utilisé sur l’ennemi, aucun d’entre nous n’a eu de scrupules » [a déclaré] Dr. James R. Clary, ancien scientifique principal au Chemical Weapons Branch (Air Force Armament Development Lab en Floride)
Aujourd’hui, on estime qu’au moins 3 millions de Vietnamiens ont été exposés à la dioxine, dont 150 000 enfants ont été touchés ; certains experts parlent même de 4,5 millions de Vietnamiens exposés.
Après des études suffisantes sur la dioxine, les chercheurs ont découvert que 40 ans plus tard, les effets nocifs sont toujours bien présents, les sols étant toujours contaminés par la substance, et qu’à ce jour, un grand nombre d’enfants nés au Vietnam souffrent de malformations et de maladies génétiques.
Ce n’est pas la première fois que des procès en indemnisation des victimes du Vietnam sont intentés contre les multinationales impliquées dans ce crime de guerre. Cependant, comparées aux procès intentés par des vétérans américains et coréens contre les États-Unis et les fabricants sur la base du rapport des effets secondaires de l’agent orange et gagnés dans les années 1970 et 1980, les premières victoires enregistrées par des ressortissants vietnamiens dans des procès d’indemnisation pour les dommages causés à leur santé par l’herbicide et la reconnaissance officielle de l’agent orange comme arme biologique par les États-Unis n’ont eu lieu que depuis 2007 : de la responsabilité des multinationales à l’égard des citoyens vietnamiens, toujours pas de trace.
C’est pourquoi Tran To Nga, diplômée en chimie, ex-partisane du mouvement de libération du Viêt-cong et ex-prisonnière, continue de se battre pour sa famille et au nom de son peuple, à l’âge de 82 ans, grâce au soutien d’associations telles que l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange/dioxine (VAVA) et du gouvernement vietnamien.
Pour plus d’informations, vous pouvez visiter le site de l’activiste Tran To Nga : https://nga-orange.org/
Traduction, Evelyn Tischer