Lorsque l’on voit notre Maroc rural avec le cœur, on y retrouve beaucoup de choses qui font partie intégrante de notre histoire, notre culture, et de nos traditions : l’hospitalité, et ce que l’on appelle avec beaucoup de symbolique : dayf Allah, l’invité d’Allah, à savoir que l’on accueille sans conditions et avec beaucoup de générosité celui qui sonne à notre porte et qui demande à être reçu.
Vers un éco tourisme « inclusif »
Le Maroc rural est beau, et sa magie est d’être décliné de tellement de manières différentes, qu’il serait présomptueux de vouloir le définir en un seul modèle. Ici et là on voit des opportunités, des projets qui sont sortis de terre ou de pierre, mais il est rare de voir que ces opportunités et ces projets profitent à plus de monde que les seuls entrepreneurs qui ont eu le courage de les initier.
Le Maroc rural est riche, mais connaît un stress hydrique très critique, à cause d’un plan de développement agricole qui a été tellement ambitieux et gourmand, qu’il en a perdu toute notion d’équité et de conscience environnementale.
Nous oublions que ces rares zones encore « vierges » de l’intrusion de pesticides, insecticides et forages à n’en plus finir, contribuent à nous nourrir, et à alimenter de plus en plus faiblement nos châteaux d’eau : trop d’acteurs économiques, trop d’administrations, oublient à quel point nous sommes tous dépendants de ce Maroc qu’ils ne savent pas voir. Cette richesse peut être valorisée davantage, en donnant envie aux visiteurs consciencieux la possibilité de vivre une expérience mémorable, avec un impact équitable auprès des populations visitées.
La beauté de l’éco tourisme inclusif est de pouvoir intégrer un maximum de populations concernées dans une économie saine et pérenne. Les personnes amoureuses de la nature et sensibles à l’impact de leur consommation, visitent des endroits construits avec une forte conscience écologique. Elles valorisent les traditions locales, notamment bâtiments en terre et pierre. Elles savent que ces bâtiments sont construits par les populations locales et que cela représente un moyen de subsistance pérenne et important. Elles cherchent à dormir dans des endroits qui privilégient l’utilisation des énergies renouvelables et prêtent attention à la consommation de l’eau. Ces touristes se nourrissent d’aliments sains qui ont été cultivés dans le cadre d’une agriculture régénératrice, qui profite, également, aux populations des villages avoisinants. De plus, elle permet d’éliminer progressivement le nombre d’intermédiaires dont le seul objectif est de s’engraisser, en contribuant à une augmentation exagérée des prix des fruits et légumes, sans crainte de représailles.
Les éco touristes prennent aussi le temps de découvrir les paysages des alentours en profitant des randonnées, accompagnés de guides cultivés et connaissant l’histoire de leur région. Ils ont la possibilité de patienter des heures pour observer avec émerveillement la sortie d’animaux et ils peuvent faire du parapente en admirant les beaux paysages qui s’offrent à perte de vue. En outre, ils ont l’occasion de faire du VTT dans certains sentiers forestiers ou de montagne, dédiés à cet effet. Enfin, ils peuvent arpenter avec joie des sentiers montagneux décorés par des artistes venus de plusieurs coins de la planète, et qui ont offert ainsi aux yeux d’esthètes la possibilité́ de découvrir des œuvres d’art au sein de la plus belle qui existe : la nature.
En rentrant le soir, ils peuvent admirer la qualité de l’artisanat marocain dans leurs chambres. Ils ont la possibilité de se faire plaisir en achetant un produit dans les boutiques à proximité ou digitalisées. Ils constatent à quel point ce secteur préserve son authenticité, tout en se forgeant une place dans le monde de la mode contemporaine, porté par de jeunes artistes talentueux et des entrepreneurs visionnaires qui ont su créer un pont entre l’univers digital et la renaissance des artisans. Ensuite, avant de dormir, ils peuvent goûter un bon thé ou une infusion, agrémentée selon le goût de miel du terroir.
Tout ceci est à portée de main, et pourrait être le fil conducteur de toute réflexion de développement territorial durable dans notre Maroc rural. Un développement qui se veut systémique, inclusif et durable.
L’association Amal Biladi
C’est dans ce cadre et cette intention de démontrer que « chaque village est une source s’espoir », que notre association Amal Biladi a été conçue, en mettant en place son approche d’accompagnement au développement. Celle-ci met en avant 3 dimensions principales :
Une approche appréciative. La première, concerne l’humain du territoire, et elle se déploie à travers une dimension d’accompagnement aussi belle que puissante : l’approche appréciative. Celle-ci permet de fédérer le maximum d’acteurs du territoire concerné, en capitalisant sur leurs expertises et l’amour qu’ils ont pour leur région. En les connectant à leur cœur et à la possibilité de rêver et de se projeter sans limite, cette approche offre la possibilité d’atteindre des résultats à fort impact, et durables.
Une approche innovante. La seconde dimension adoptée est l‘approche innovante, qui nous permet d’agir avec agilité en expérimentant et en apprenant de nos « erreurs », et aussi de voir comment la technologie peut nous aider à optimiser certaines solutions et idées.
Une approche régénératrice. Enfin, et non des moindres, notre troisième pilier est l’approche régénératrice, qui est le socle, le cœur de notre projet, parce qu’elle nous rappelle l’importance de respecter l’écosystème environnemental dans lequel nous évoluons. L‘agriculture régénératrice permet d’atteindre l’autonomie alimentaire dans les villages. Ses surplus seront destinés aux maisons d’hôtes partenaires du projet. A ceci, s’ajoute des actions de reforestation et de plantations d’espèces endémiques, nécessaires à l’équilibre environnemental, indispensable pour faciliter les précipitations. Nous avons aussi à cœur de trouver et déployer des solutions innovantes d’accès à l’eau potable et à l’irrigation, notamment grâce à l’utilisation de technologies qui captent l’eau atmosphérique.
Après plusieurs reports dus au Covid, nous avons pu réfléchir et préparer le terrain afin d’expérimenter un premier pilote de notre approche pour accompagner le développement de quelques villages dans le Nord du Royaume. Ainsi, nous avons pu identifier plusieurs provinces intéressées à recevoir notre proposition de lancer un projet pilote dans leur territoire. Les autorités de l’administration territoriale, les responsables des communes, ainsi que les habitants des premiers villages concernés, ont été séduits par notre approche collaboratrice. En effet, la valorisation de l’éco tourisme ne peut se faire sans des liens étroits avec les villages, acteurs de leur développement, conscients que notre priorité accordée à la femme rurale et à sa contribution effective dans ce processus, sont indispensables. En contrepartie, notre engagement est de les aider à soulager de manière structurelle leurs maux.
Le seul moyen de pouvoir asseoir un développement territorial sain et pérenne, est de permettre à ses acteurs de se projeter dans le temps avec sérénité et confiance. Si nous les aidons à ne plus être paralysés à cause de problèmes compliqués qui les minent quotidiennement, (santé, éducation de leurs enfants, énergie, …), nous pourrons optimiser leur capacité à profiter de soutien et de subventions, pour financer un projet économique dans lequel ils ont un talent prononcé. C’est là le rôle essentiel de notre association Amal Biladi, qui sera appuyé et renforcé par les actions de plusieurs entreprises partenaires de l’écosystème mis en place, ainsi que la collaboration des administrations souhaitant s’engager dans cette approche, pour qu’ensemble, avec les villages, nous puissions coconstruire un projet durable.
Le choix des villages n’est pas fortuit ; nous nous appuyons sur plusieurs caractéristiques, objet d’un travail de recherche que j’ai eu la chance de mener il y a quelques années. J’ai eu l’opportunité de diriger une chaire à l’École Centrale de Casablanca autour des émergences collectives, dont l’une des composantes était l’autonomisation de villages en zones rurales et montagneuses.
Le travail mené de concert avec un comité scientifique pluridisciplinaire et les retours de terrain que nous faisions, ont permis de lister un certain nombre de critères nécessaires, qui peuvent faciliter la mise en marche du projet de développement du village. Ainsi, il est impératif de pouvoir trouver dans le village, une association de développement avec une forte présence féminine, tout comme il est nécessaire que l’entrepreneuriat féminin soit accepté et valorisé. Il est aussi vital que le village accepte de prendre en charge une partie des problèmes à régler, et n’adopte plus une posture d’assistanat qui ne mène nulle part. Il doit comprendre que c’est dans son intérêt de contribuer financièrement à des actions de soutien dans d’autres réalités, car cela permet de consolider les liens et d’étendre aussi les capacités économiques et la complémentarité entre projets. La notion du territoire est aussi essentielle dans cette approche, et le soutien des autorités, des institutions et des élus est primordiale pour que la démultiplication des villages « entrepreneurs » soit facilitée.
Une perspective artistique, culturelle, sportive. Le travail doit aussi être enrichi par des actions artistiques, culturelles et sportives, qui permettent d’apporter de la richesse positive dans ces territoires. Ces manifestations sont aussi l’occasion de mettre à la disposition des habitants, des évènements qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de vivre. Ils peuvent aussi être une possibilité d’identifier des talents cachés, rarement mis en avant.
Après le séisme, l’espoir. Après avoir passé plus d’une année dans les zones touchées par le séisme, nous allons bientôt commencer nos premières actions, dans un territoire magnifique.
Notre première action sera l’accompagnement à la constitution d’une coopérative ou entreprise en éco construction, pour qu’elle puisse construire, dans les villages que nous avons pu identifier tout au long de cette année, le centre de formation en alternance et la première maison d’hôte avec ses chambres « studio ».
L’éco tourisme inclusif, appuyé par une vision systémique et participative, peut être une solution pour un développement pérenne et durable dans le territoire. C’est peut-être une solution qui pourrait être dupliquée dans plusieurs territoires, en valorisant les expertises et spécificités locales, et en allant identifier les compétences multiples qui existent, qui ne sont souvent pas valorisées et regroupées.
Plus que jamais, il est aujourd’hui essentiel de s’intéresser à notre Maroc rural, qui compte, rappelons-le, plus de 35 000 villages. Ce Maroc, parfois qualifié d’« inutile » ou d’oublié, recèle pourtant des richesses inestimables qui peuvent disparaître si elles ne sont pas valorisées et protégées.
Elmahdi Benabdeljalil,
Président fondateur de l’association Amal Biladi et de l’Académie Rurale d’Excellence. Auteur, conférencier et comédien en devenir.