Voici une nouvelle ahurissante parue ce 1 août dans le site de Kotaku, une entreprise d’info/com spécialisée dans le secteur des jeux : « Nvidia vient de croître de 329 milliards de dollars en une seule journée ». https://fr.kotaku.com/carte-graphique-nvidia-nvda-ai-record-boursier-microsoft-1851610338, par Ethan Gach.
ll s’agit d’une croissance jamais atteinte à ce jour en termes de capitalisation boursière (à savoir, la valeur de l’action d’une entreprise multipliée par le nombre d’actions mises sur le marché).
Nvidia est une société multinationale américaine créée en 1993 en tant que fabricant de puces pour les cartes graphiques. Aujourd’hui elle constitue l’une des principales entreprises au centre de l’univers mondial de l’IA. On la considère au cœur du développement de la robotique humanoïde et du secteur du développement de contenu.
Avant ce gain extraordinaire de sa valeur (« 329 milliards c’est plus que Netflix, Coca-Cola et Bank of America ensemble », cfr lien à l’article de Gach ci-dessus) Nvidia figurait en 3e position parmi les principales entreprises mondiales par capitalisation boursière.
329 milliards de dollars c’est beaucoup – beaucoup – si l’on pense que plus de 130 pays au monde ont enregistré en 2023 un PIB inférieur à 330 milliards ! Juste pour comparaison : le PIB de la Tchéquie a été égal à 335 milliards, celui de la Finlande à 305, du Pakistan (241 millions de personnes) à 310, de l’Afrique du Sud à 380 milliards !
Question, pourquoi un cadeau si riche et inattendu ? Qu’a fait Nvidia pour le mériter ? A-t-elle inventé des puces ultrapuissantes capables de développer des produits et des outils pour nettoyer rapidement l’agriculture de tous les poisons chimiques (pesticides, notamment) qui l’ont dévastée ? Ou a-t-elle développé des programmes capables, sous l’égide de l’ONU et avec l’argent de la Banque mondiale (investissements directs, pas de prêts !) pour aider les pays pauvres de la planète à réparer les destructions de leurs écosystèmes par les prédations infligées par les puissants groupes économiques et financiers du Nord ? Pas du tout. Pas une miette de cela. La réponse des marchés boursiers ? « C’est comme ça que les Bourses fonctionnent » ! Ce n’est pas… une réponse sensée, pas encourageante non plus.
La valeur boursière des 50 principales entreprises mondiales par capitalisation financière dépasse aujourd’hui les 40 mille milliards de dollars ! Les trois principaux fonds d’investissement en actions (equity investment) – BlackRock, Vanguard et State Street gèrent à eux seuls plus de 26 mille milliards de capitaux. Le tout dans la seule logique de faire augmenter la valeur boursière de leurs capitaux, en les investissant dans les entreprises les plus rentables. Or, les Etats riches/enrichis du monde s’étaient solennellement engagés en 2015 à la COP21 de Paris à allouer, à partir de 2020, la « misérable » somme de 100 milliards de dollars par an (capitaux publics et privés) pour aider les pays pauvres/appauvris à lutter contre le changement climatique dont, comme l’on sait, les pays enrichis sont les principaux responsables et les pays appauvris les principales victimes. Les enrichis n’ont pas été capables de ramasser les 100 milliards. Il semble que les premiers transferts pourraient commencer avant la fin de 2024.
Dans ce contexte, quel est le sens des immenses masses d’argent boursier mentionnées ci-dessus ? A quoi servent-elles ? J’entends crier de loin, au sein du gouvernement des Etats-Unis et de la Commission de l’Union Européenne : « à continuer la guerre en Ukraine jusqu’à la victoire », « à financer en armes et en argent l’Etat d’Israël pour mener le génocide des Palestiniens jusqu’au dernier homme ! », « à soutenir l’industrie des puces des pays occidentaux pour faire la guerre technologique contre la Chine » …
Le tableau que je viens de composer met en évidence trois aspects dont les deux derniers jettent une lumière éclatante sur le non-sens de l’accroissement fulgurant de la valeur financière de Nvidia.
Tableau. Les 10 premières entreprises mondiales par capitalisation boursière, effectifs et chiffres d’affaires (années 2022-2023)
Place / Nom / Capitalisation (2023) / Effectifs / Chiffre d’Affaires en mlds (2023
1. Apple 3.340 mlds 162.000 405 (2022)
2. Microsoft 3.083 210.000 212
3. Nvidia 2.664 23.000 28
4. Alphabet (G) 2.097 153.000 n.a.
5. Amazon 1.911 1.600.000 574
6. Aramco 1.777 105.000 560
7. Meta 1.255 70.000 134
8. Berkshire H 929 400.000 245
9. Lilly 807 35.000 30
10. Tsmc 740 52.000 61
Sources : Capitalisation https://fr.tradingview.com/markets/world-stocks/worlds-largest-companies. Effectifs et CA : diverses, Petrella
- Les données sur la capitalisation en 2023 varient quelque peu d’après les sources.
Premier commentaire. Sur les 10 principales entreprises par capitalisation sept sont états-uniennes, et la 10e entreprise chinoise de l’île de Taïwan doit certainement sa puissance financière à sa position d’alliée stratégique des USA dans leur guerre technologique contre la Chine continentale. L’importance prioritaire donnée aux valeurs financières dans le classement mondial des entreprises, en reléguant à des places secondaires la valeur représentée par le nombre des emplois des entreprises et par le chiffre d’affaires, reflète un système de valeurs propre aux Etats-Unis, dominés par la soumission de leur économie et société aux impératifs de l’argent, de l’enrichissement.
Deuxième commentaire. Avec ses 28 milliards de chiffre d’affaires Nvidia ne figure même pas dans le classement des 50 premières entreprises mondiales par le CA. La distance par rapport aux cinq dernières entreprises du groupe de 50 est considérable : CA de Axa 128 milliards de dollars, Ford 127,0, Honda 124,0, General Motors 121,0. Les chiffres concernant les cinq entreprises en tête du classement sont encore plus significatifs : CA de Walmart 501,0 milliards, Grid 349,0, Sinoper 327,0, China National Petroleum 326,0, Royal Dutch Shell 311,9. C’est dire l’ampleur de la dissociation de Nvidia entre sa valeur financière et sa valeur dans l’économie réelle. Quel est dans ce cas, le sens de la valeur économique (eco-nomie signifie « les règles de la maison ») ? On ne le trouve certainement pas dans la volatilité de la valeur boursière, extrêmement élevée.
L’absence de sens, l’absurde, est confirmée par le troisième commentaire : Alors que le nombre d’effectifs de Microsoft, Apple, Alphabet, Amazon… varie entre 153.000 (Google Alphabet) et 1.000.000 (Amazon), les effectifs de Nvidia sont les plus bas parmi ceux des 10 entreprises en objet s’arrêtant à 23.000. Même TSMC a 50.000 effectifs (le double de Nvidia) et Meta (Facebook) 70.000 (le triple). C’est l’entreprise avec de loin le nombre le plus bas d’effectifs qui obtient les faveurs les plus enthousiastes du monde de la finance en se voyant attribuer la valeur boursière la plus élevée au niveau mondial, plus de 3000 milliards de dollars USA.
Il faut en conclure que, dans le monde tel qu’il est, ni le travail humain digne et le droit à l’emploi, d’une part, ni la promotion et la sauvegarde des biens communs mondiaux essentiels pour la vie, d’autre part, ne sont considérés, respectivement, la valeur économique et sociale clé et les objectifs majeurs de la politique du bien-être collectif de la communauté globale de la vie de la Terre. Dans les deux cas, la place suprême revient à la valeur boursière dissociée de l’économie réelle et à la croissance de la valeur monétaire des avoirs financiers (les capitaux privés, surtout).
Il ne faut pas chercher loin ou ailleurs l’absurdité. Vu les grandes mobilisations populaires (marches, pétitions, referendums, appels grèves…) restés sans effets immédiats positifs à ce jour à cause de la malignité et de la perversité des pouvoirs dominants, il me semble qu’une solution importante immédiate consiste à agir sur les citoyens des pays occidentaux (USA, Union européenne…) au niveau des consciences et de la prise de responsabilité. Le but sera, par des messages, des appels, des mobilisations communes, de leur faire prendre conscience du fait que l’adhésion de leur majorité au système financier dominant, notamment boursier, les rend alliés et complices de l’absurde. Tout en reconnaissant le rôle déterminant joué par l’aveuglement, le cynisme et l’hypocrisie des dominants, nous sommes aussi, nos peuples également, co-responsables de l’absurde dans lequel l’économie et la politique mondiales nagent et où se noient des centaines de millions d’êtres humains à cause de dirigeant-e-s que nous avons à élu-e-s et qui ont abdiqué à défendre, garantir et promouvoir les droits universels à la vie et de la vie.
Coxyde, le 2 août 2024