Violence = Maladie

La violence : un problème mondial de santé publique (1)

En 2003, l’Organisation mondiale de la santé, dans sa publication scientifique et technique n° 588, Rapport mondial sur la violence et la santé, a abordé la question de la violence comme « un problème mondial de santé publique  » numéro un.

De nombreux rapports, avis et études corroborent le fait que la violence à différents niveaux a des conséquences négatives sur la société et l’évolution humaine. Il est donc temps d’appeler un chat un chat. De même que, dans le passé, l’esclavage, le châtiment ou la peine de mort ont été normalisés dans la société et que celle-ci a décidé de mettre fin à ces outrages, nous pouvons et devons aujourd’hui faire un pas en avant et décrire la violence comme une maladie qui engendre également des habitudes et des coutumes qui déshumanisent les personnes et génèrent des comportements qui peuvent causer de graves problèmes à d’autres êtres humains.

Aujourd’hui, nous disposons de données qui nous permettent de considérer que la violence est un problème suffisamment grave pour inciter tous les pouvoirs, la société dans son ensemble et tous les habitants de la planète à considérer que, dans les différentes sphères : entre les pouvoirs hégémoniques, au niveau gouvernemental, dans les régions, dans les entreprises et les organisations, au niveau des collectifs, dans la famille et au niveau individuel, il est beaucoup plus bénéfique pour tous d’adopter une dynamique de collaboration et de non-confrontation, en abandonnant les idéologies qui proposent l’affrontement et l’élimination de ceux qui sont différents.

La position selon laquelle nous vivons dans une jungle, où les plus forts survivent, ne fonctionne pas et conduit à l’extermination. Il est plus bénéfique de la remplacer par une dynamique de dialogue, d’échange, de réciprocité et d’aide, en parvenant à un accord qui, même s’il ne tient pas compte de toutes les aspirations des parties, permet d’éviter la confrontation, qui est la voie qui précède la violence.

Il a été amplement démontré que la confrontation appauvrit en termes humains ceux qui s’engagent dans cette dynamique, et appauvrit également les populations qui en souffrent, en dissipant des ressources qui pourraient très bien être redistribuées pour atteindre un avenir plus encourageant que celui offert par la confrontation permanente.

La situation internationale devient encore plus extrême et polarisée, jusqu’à des limites insoupçonnées que l’on croyait dépassées, et les craintes d’involution reviennent d’une manière que l’on n’aurait jamais pu imaginer auparavant.

Certains vont jusqu’à évoquer la possibilité d’une catastrophe nucléaire telle que, comme l’avait prédit Einstein, « nous ne savons pas ce que sera la troisième guerre mondiale, mais la quatrième se fera avec des bâtons et des pierres » (2), une façon de dire que la civilisation disparaîtra.

Il y a quelque chose qui ne correspond pas au sentiment général de la population

Nous avons vécu l’effondrement d’un système, l’URSS, dans les années 90, mais dans cette situation, il n’y a pas eu de pertes humaines.

Aujourd’hui, en revanche, nous constatons que nous sommes entraînés dans une dérive vers une escalade de conflits aux conséquences inattendues. La question qui se pose est la suivante : est-ce que c’est ce que veut la grande majorité de la population mondiale ?

Après avoir pris part aux marches mondiales pour la paix et la non-violence (3), après avoir passé par plus d’une centaine de pays, nous avons constaté que la grande majorité des habitants de la planète veulent vivre en paix, pouvoir développer leur vie du mieux qu’ils le peuvent, avoir un travail, avoir une santé et une éducation adéquates ; avoir leur maison, prendre soin de leurs enfants et de leur famille et avoir une vie digne. D’autres veulent aller plus loin, en cherchant un but ou une inspiration dans la vie, mais jamais de manière violente. Telles sont les aspirations de la plupart des habitants de la planète. Mais nous allons dans une direction où les conflits s’intensifient, les droits sont restreints et les acquis que nous pensions être déjà en place disparaissent.

Que pouvons-nous faire ?

Lors de la 1ère Marche Mondiale (2010), nous avons été reçus par le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki Moon, j’ai profité de l’occasion pour lui demander : « Vous êtes l’une des personnes les plus influentes de la planète, dans cette situation, que pouvez-vous faire pour l’amélioration de l’humanité ? » Et il a répondu : « J’ai très peu de marge de manœuvre… presque aucune. Mais si vous, les organisations et la population civile faites pression sur vos gouvernements… alors les choses changent et l’avenir s’ouvre ». En d’autres termes, c’est entre nos mains, mais pour cela nous devons nous faire entendre. Ce sera sous forme d’actions, de mobilisations, d’activités diverses ou autres. Que chacun fasse ce qu’il peut, mais qu’il se fasse entendre et, je l’espère, de manière soutenue. La presse devrait veiller à donner la parole aux sans voix, mais elle ne le fait plus… D’ailleurs, aujourd’hui, nous ne savons plus distinguer le vrai du faux, le déformé du véridique, mais ce qui est sûr, c’est que nous sommes manipulés par les informations.

Manipulation de l’information

On dit qu’en temps de guerre, c’est le récit qui compte. C’est pourquoi la vérité sur ce qui s’est passé est de plus en plus tronquée et l’action des journalistes de plus en plus limitée. Le premier mot d’ordre dans une confrontation est de déshumaniser l’adversaire.

Cette désinformation se produit dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine et est acceptée par de nombreux gouvernements du monde. Des centaines de journalistes palestiniens sont morts, selon la Cour pénale internationale, dans le conflit entre Palestiniens et Israéliens, conflit qui se transforme en génocide.

À une époque où nous disposons des moyens de communication les plus rapides et les moins chers de l’histoire, il semblerait que nous soyons les plus éloignés de l’information.

Mais ce n’est pas le cas. C’est ce que l’on voudrait nous faire croire. On veut semer la confusion dans cette dynamique de discrédit et de confusion.

Lorsque nous regardons un dirigeant faire une déclaration à la télévision, nous pouvons, avec une précision croissante, révéler ses intentions, qui ne sont pas exprimées mais qui sont les véritables intérêts qui se cachent derrière, ses véritables motivations. Souvent, nous ne connaissons pas ces motivations, mais nous savons distinguer les dirigeants qui disent la vérité de ceux qui ne la disent pas.

Bien sûr, il y a des gens qui sont tellement débordés avec si peu de d’énergie en plus qu’ils approuvent la première chose qu’on leur présente sans trop se poser de questions, mais au fond ils reconnaissent, en regardant leurs enfants et leurs proches… que c’est cela qui compte vraiment pour eux et ce qui leur ouvre l’avenir.

De nombreux médias font le jeu de la violence parce qu’ils sont à son service

Si nous regardons un reportage à la télévision, par exemple une manifestation avec des milliers de participants à l’attitude pacifique, mais où il y a un petit groupe violent qui, par exemple, brûle une voiture ou un conteneur, les images montrées sont celles de ces personnes violentes en action. Et bien que ces actions soient minoritaires, les journaux télévisés les soulignent souvent en répétant les images.

Bref, on parle brièvement du sens de la manifestation, mais les images qui restent surtout sont le conflit et la violence qui ont eu lieu, avec les flammes, les destructions, etc. C’est là que se concentre l’actualité.

Récemment, un ancien président d’un grand pays, l’une des principales démocraties, a été condamné pour la première fois pour corruption et détournement de fonds. Il a tenté de changer ce qui s’est passé et s’en est pris au système judiciaire, n’hésitant pas à briser les institutions pour s’en sortir avec le désastre qu’il avait lui-même provoqué. À quoi servent les institutions et les mécanismes de participation si tout s’écroule, et s’écroule à cause d’un mensonge ? Tout n’est pas valable en ce qui concerne la défense des êtres humains. Pour certains naïfs, la valeur est celle du plus fort, capable de la plus grande barbarie et capable de blesser ou d’éliminer l’autre… Mais ce n’est pas ainsi que la civilisation progresse, ce n’est pas ainsi que l’être humain se développe.

L’avenir de l’humanité s’ouvrira dans la mesure où nous développerons l’action non-violente et éradiquerons la violence de nos sociétés. La violence ne fait pas que blesser et limiter les gens, elle les ralentit dans leur progression et finit par retarder leur développement. Et en ce qui concerne le journalisme non-violent, nous le développons dans la contribution suivante : le livre publié par Pressenza, « Journalisme Non-Violent. Une approche humaniste de la communication. »

Priorité à la résolution non violente des conflits (4)

Il est clair que l’approche journalistique proposée dans ce livre recherche, rend visible et met en lumière les processus qui visent à résoudre les conflits de manière non violente, dans tous les domaines de la vie de nos sociétés. Nous considérons qu’il est prioritaire d’identifier et d’ouvrir un espace pour les propositions de dialogue, de médiation, de rapprochement et de négociation n’importe où.

Comment le journalisme peut-il contribuer à l’identification, à la hiérarchisation et au renforcement des solutions non violentes ?

Galtung (1989) propose quelques voies :

– Identifier les intérêts en conflit et, sur cette base, dévoiler les voies possibles de solution.

– Établir des responsabilités claires et encourager la reconnaissance des erreurs, ainsi que la collaboration pour les réparer.

– Fournir des éléments pour analyser les causes et les conséquences du conflit et/ou de sa résolution.

– Insister sur le fait qu’il faut considérer le conflit comme étant un problème, et non pas comme quelque chose de souhaitable, et exposer les facteurs qui en font un problème.

– Avertir, anticiper, prévenir les situations de conflit qui peuvent se dégrader et même conduire à la guerre.

– Mettre l’accent sur la souffrance de tous, des femmes, des personnes âgées, des enfants, et donner une voix à ceux qui n’en ont pas.

– Nommer ceux qui font du mal.

– Mettre en avant les personnes qui contribuent à la paix.

– Rendre les initiatives de paix visibles, mettre l’accent sur les structures et les actions qui favorisent une société pacifique.

Sur la base des suggestions de Galtung, des journalistes de différents continents ont élaboré des propositions connues sous le nom de journalisme de paix ou de journalisme sensible aux conflits, qui cherchent à rendre compte des contextes complexes dans lesquels les affrontements et les guerres surviennent :

« Proposer des idées créatives pour la résolution des conflits ou le développement, l’établissement, et le maintien de la paix, dénoncer les mensonges, les tentatives de dissimulation des vérités de la part de toutes les parties, et révéler les excès commis par et pour la souffrance des personnes de toutes les parties ». (5)

Une idée centrale traverse la résolution non violente des conflits : toujours, au milieu de n’importe quel conflit, il y a des êtres humains. C’est une chose que nous ne devons jamais oublier dans notre pratique journalistique.

L’histoire nous le montre

Les Européens ont mené leurs deux dernières grandes guerres, qui se sont soldées par une escalade mondiale. L’Europe s’est vidée de son sang avec près de 100 millions de morts et des dizaines de millions d’invalides et de blessés lors de ces affrontements. Il est évident pour toute personne normale et non malade va penser que le dialogue et la négociation sont préférables à la confrontation. Nous pouvons appliquer ce principe aux innombrables guerres qui ont ralenti le progrès humain tout au long de l’histoire.

Aujourd’hui, nous pouvons dire haut et fort des choses qui n’ont pas été dites auparavant, également en raison d’autres époques et d’autres valeurs. Beaucoup de ces dirigeants qui ont entraîné leur peuple dans d’immenses catastrophes étaient des malades, des paranoïaques, des psychopathes, etc. L’un des livres qui abondent sur ces sujets est Ces malades qui nous gouvernent de Pierre Accoce et Pierre Rentchnick, Stock, 1997.

Cela s’applique d’autant plus à la situation actuelle. Ce sera une étape importante pour l’humanité lorsque nous identifierons les « malades » de ce moment et que nous les désignerons comme ceux qui nous ont conduits aux catastrophes, à la mort, à la souffrance et à la régression humaine. Entre temps, apprenons à résoudre les conflits entre nous par le dialogue et sans violence.

Nous nous dirigeons vers cette situation

Bien que nous avancions de manière décisive vers cette situation, le chemin n’est pas facile, mais il est passionnant. En outre, de plus en plus de personnes se joignent à nous pour pousser dans la direction non violente qui nous rapproche de ce nouveau monde.

De nombreux indicateurs en témoignent. Au niveau mondial : moins de personnes meurent de faim aujourd’hui que l’année dernière, moins de femmes meurent en couches chaque année, il y a également moins de décès dus à certaines infections, il y a des maladies presque éradiquées. Il y a aujourd’hui plus de scolarisation et moins d’analphabétisme et la lutte pour la reconnaissance des droits des femmes progresse dans de nombreux pays. Les progrès dans la connexion des peuples au niveau planétaire sont spectaculaires. Les démocraties, même si elles doivent être perfectionnées, sont le meilleur système social pour parvenir à des accords entre des millions de personnes, etc.

Il est vrai qu’il y a beaucoup à faire et que nous voulons avancer plus vite. Mais nous continuons à le faire malgré des moments où il semble y avoir certains ralentissements, voire des reculs. En général, nous pouvons dire que nous progressons chaque année, que nous améliorons la qualité de vie et la situation des gens.

Cela est vrai pour les plus grands pays, ceux qui décident au niveau mondial, ceux qui ont réussi à rassembler le plus grand nombre de personnes et de territoires sur la planète. On voit que, à l’exception des forces qui tentent d’encourager les nationalismes et les régionalismes du passé, tout va dans le sens de la mondialisation ; évidemment, tout en tenant compte des particularités du pays, de la région et de l’individu.

Faisons ce pas, nous sommes tout près d’y parvenir. Mais… il est vrai qu’il n’y a pas d’autre issue.

La voie de la violence, aujourd’hui, n’est pas valable pour les êtres humains. La violence, la confrontation, sera bientôt classée comme une maladie, comme cela a déjà été fait par certains personnes aux Nations Unies. Ce dont nous avons besoin, c’est que cette idée soit acceptée dans la société.

Nous continuerons…

 

Notes

(1) Rapport 588 des Nations Unies :  Rapport mondial sur la violence et la santé

(2) Einstein sur la 4e guerre mondiale. Troisième Guerre mondiale

(3) Marche mondiale pour la Paix et la Non-violence. https://theworldmarch.org/

(4) Livre Journalisme Non-violent page 122

(5) https://www.pressenza.com/fr/2022/09/comment-emerge-le-journalisme-de-paix-ou-sensible-aux-conflits/

 

Traduction de l’espagnol, Evelyn Tischer