Les Nations Unies, créées en 1945 à la suite de la Seconde Guerre mondiale, étaient, à l’origine, une initiative des vainqueurs. L’organisation avait été conçue sur la base des États-nations, un concept qui, bien que pertinent au XXe siècle, semble aujourd’hui dépassé.
Depuis la fondation de l’ONU, la scène mondiale a radicalement changé. De nouveaux espaces de dialogue, comme les BRICs, libérés des potentiels vétos au sein du Conseil de sécurité, se consolident progressivement. La montée en puissance de la Chine, puis de l’Inde et du Brésil, sans parler de certaines autres Puissances en devenir comme l’Iran, l’Afrique du Sud et d’autres encore, y compris en Afrique, rebat fondamentalement les cartes. Les grandes puissances dites « occidentales », parfois aveuglées par une vision du monde caricaturale ou stéréotypée – les démocraties contre les états autoritaires / le bien contre le mal / le monde occidental contre le Grand Sud / etc… – ne peuvent plus ignorer les réalités du monde contemporain.
Les BRICS et le Grand Sud
« Les autres » et pas seulement ceux des BRICs* représentent désormais une part significative, voire prépondérante, de la population mondiale et de l’économie globale. Ce sont eux qui remettent en question l’ordre établi, non contre les puissances occidentales comme cela est trop souvent affirmé, mais par soucis de participer au dialogue, et sans exclusive. Sinon à quoi bon dialoguer si c’est en excluant ceux avec lesquels on n’est pas en accord. Cela a marché durant la guerre froide, et même aux pires moments de la guerre froide.
Le « Sommet du futur », à l’initiative du secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, vise à discuter de la réforme nécessaire pour créer un système plus fort et moins dépendant des seules grandes puissances. Guterres met en avant, lui aussi, la nécessité de réformer les institutions pour qu’elles reflètent mieux les réalités géopolitiques actuelles.
Ainsi du fonctionnement du Tribunal Pénal International dont les décisions – même si une évolution semble désormais possible – sont perçues comme souvent partiales et principalement orientées sur l’Afrique tout en négligeant de condamner les interventions en Irak, en Libye, en Palestine, au Congo, etc…. Ce « deux poids deux mesures » affaiblit plus encore la crédibilité du TPI et appelle à une réforme de son fonctionnement pour garantir une justice véritablement impartiale.
La Chine, autrefois marginalisée, est devenue une superpuissance économique et militaire. Elle a donc obtenu son admission, modifiant déjà l’équilibre des pouvoirs au sein des instances de l’ONU.
Après la Chine, la montée en puissance plus récente de l’Inde mérite une attention spéciale. En 1945, encore colonie britannique, elle est aujourd’hui le pays le plus peuplé du monde, la troisième économie mondiale et une puissance nucléaire. Son exclusion des membres permanents du Conseil de sécurité est donc évidement inacceptable.
Après l’effondrement de l’URSS communiste et les réformes brutales et désastreuses de l’ère Eltsine, la Russie fragilisée avait repris la place au Conseil de sécurité.
Une évolution qui reflète l’évolution géopolitique post-guerre froide.
Le sursaut inattendu de l’économe russe, pourtant en guerre avec l’OTAN, contribue plus encore à changer la donne. L’ONU ne peut ainsi que s’interroger sur son adaptation aux nouveaux défis contemporains.
Dans ce nouveau jeu géopolitique, les membres de l’OTAN – une organisation créée pour faire face à une URSS qui n’existe plus, une organisation qui est pourtant et toujours, et plus que jamais, pilotée par les États Unis d’Amérique – avancent de nouvelles cartes. Ils proposent d’ajouter, ce qui en effet, ne serait pas illégitime, le Japon et l’Allemagne comme membres permanents du Conseil de sécurité, une proposition qui pourrait ainsi renforcer l’influence occidentale. Cette seule proposition ne résoudrait pas le problème de la représentation des pays émergents et en développement.
Une Nouvelle Approche du Multilatéralisme
Conscient de cette impasse, et pour relever les défis contemporains, le Secrétaire Général des Nations Unies, le portugais António Guterres, a obtenu, avec l’aval de l’Assemblée générale, la programmation en septembre prochain, d’un « Sommet du futur » (ou de l’avenir) chargé de sortir l’ONU de l’ornière actuelle. Il s’agit de rechercher les voies et moyens susceptibles de relever les défis contemporains alors que le concept d’état-nation, pour une bonne part à l’origine des pires nationalismes, est de plus en plus contesté.
António Guterres a ainsi installé un Comité composé de quinze personnalités représentant les gouvernements locaux et régionaux. Ce comité est chargé de présenter des recommandations pour une réforme « plus orientée vers l’humain et non sur les seules procédures ». Dans sa lettre de mission, Guterres plaide « pour des institutions multilatérales plus efficaces pour relever les défis auxquels sont confrontés les peuples et la planète ». Il souligne que « près de 65% des objectifs de développement durable ne peuvent être atteints sans la participation des gouvernements locaux et régionaux, mettant ainsi en lumière l’importance des territoires et de leurs populations dans le processus multilatéral ». Les gouvernements locaux et régionaux, les collectivités territoriales, réunis au sein de ULCG*, sont en effet de plus en plus présents sur la scène internationale. Ils se caractérisent aussi par une proximité plus grande avec les citoyens et la « société civile ».
Une autre idée serait d’introduire une Assemblée parlementaire des Nations Unies en tant que nouvelle chambre aux côtés de l’Assemblée générale. N’y aurait-il pas alors un risque de confusion avec une multiplication des instances ?
Le risque est toutefois relatif quand on considère les innombrables instances satellites existantes, plus ou moins thématiques, qui ont été progressivement créées autour de l’organisation et qui, souvent, prétendent indument parler en son nom. La simplification s‘impose donc déjà et en urgence.
D’évidence, le sommet des 22 et 23 septembre à New York constitue une opportunité qu’il convient de ne pas laisser passer. Cette sorte de réflexion ou introspection collective et trans nationale, se situe, paradoxalement peut-être, dans un monde à la fois intensément connecté et en voie de fragmentation.
Il serait irresponsable de ne pas relever le défi avec l’ensemble des peuples de la planète. La tenue du Sommet du futur ne sera d’ailleurs pas sans conséquences sur les suivants, celui du G20 en novembre, puis la COP30 en 2025. Ces deux deniers doivent se tenir au Brésil. Nul doute que le président LULA, actuel président des BRICS, ne restera pas inactif dans cette phase préparatoire.
Appel aux think tank du monde
Aux think tanks de tous horizons, ceux du « Grand Sud » comme ceux du « Grand Nord », ceux plus engagés dans les relations internationales et la géopolitique, y compris les plus modestes qui n’ont pas facilement « voix au chapitre », de contribuer au débat, entre eux et avec l’Organisation des Nations Unies.
Le moment est donc venu, et il y a urgence, de repenser ensemble les institutions internationales pour qu’elles puissent répondre efficacement aux défis du XXIe siècle. Le débat se poursuivra, mais l’initiative d’António Guterres pourrait bien constituer un tournant déterminant pour les Nations Unies et l’histoire du multilatéralisme.
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** : BRICS = Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud Iran, Egypte, Ethiopie, Arabie Saoudite et Emirats arabes unis
** : Composition du Comité => Maire de Montevideo, Uruguay / Gouverneure de Pichincha, Équateur / Maire de Belize City, Belize / Maire de Makati City, Philippines / Maire de Dhaka North City Corporation, Bangladesh / Maire d’Amman, Jordanie / Maire de Gaziantep, Turquie / Présidente de la région de Nouakchott, Mauritanie / Maire de Rabat, Maroc / Gouverneur du comté de Kisumu, Kenya / Maire d’Utrecht, Pays-Bas / Maire de Paris, France / Maire de Londres, Royaume-Uni / Maire de New York, États-Unis / Maire de Montréal, Canada
** : ULCG => United cities and Local Governments