La Tunisie expulse des réfugiés dans le désert, même après avoir conclu un accord avec l’UE. L’Egypte déporte des réfugiés soudanais par milliers vers la zone de guerre soudanaise – également après la conclusion d’un accord avec l’UE.
Même après avoir conclu un accord avec l’UE pour repousser les réfugiés, le gouvernement tunisien fait déporter des centaines de réfugiés dans le désert. Comme le rapportent les défenseurs des droits humains tunisiens, ce 24 mai 2024, au moins 300 réfugiés ont été expulsés de Tunis vers le désert à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie – sans eau ni nourriture.
Lorsque la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a signé le 16 juillet 2023 l’accord de défense contre les réfugiés avec le président tunisien, 1 200 réfugiés venaient d’être déportés dans le désert à la frontière tuniso-libyenne ; au moins 27 d’entre eux sont morts de soif.
L’UE récompense la Tunisie pour la défense contre les réfugiés avec des centaines de millions d’euros. Le nouvel accord de défense contre les réfugiés que l’UE a conclu la semaine dernière avec le Liban fait désormais l’objet de vives critiques. Comme les accords de défense contre les réfugiés conclus avec la Tunisie et l’Égypte, il prévoit le versement de sommes importantes au gouvernement libanais. En contrepartie, Beyrouth doit empêcher le voyage de réfugiés syriens vers Chypre. L’Égypte expulse même des réfugiés vers la zone de guerre soudanaise après avoir conclu un accord avec l’UE.
Déportés dans le désert
Le premier nouveau deal que l’UE a conclu avec la Tunisie pour repousser les réfugiés a déjà suscité de vives protestations. Peu avant l’adoption du deal le 16 juillet 2023 à Tunis, les forces de répression tunisiennes avaient commencé à appréhender arbitrairement des personnes originaires de pays d’Afrique subsaharienne dans la ville de Sfax et dans quelques localités environnantes, à les emmener dans des postes de police et à les déporter de là vers les frontières du pays. On estime qu’environ 500 d’entre elles ont été abandonnées dans le désert à la frontière entre la Tunisie et l’Algérie, et 1 200 autres dans le désert à la frontière entre la Tunisie et la Libye.
Les forces de répression ont confisqué les téléphones portables des réfugiés et les ont laissés sans eau ni nourriture dans le no-man’s land entre la Tunisie et la Libye, sous une chaleur pouvant atteindre 50 degrés Celsius. Au moins 27 réfugiés ont perdu la vie, des dizaines d’autres ont été portés disparus. Le 16 juillet, alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, la première ministre italienne, Giorgia Meloni, et le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, arrivaient à Tunis pour signer l’accord sur la protection des réfugiés, une femme de 30 ans originaire de Côte d’Ivoire et sa fille de 6 ans ont été abandonnées à la frontière tunisienne avec la Libye. Leurs corps ont été retrouvés peu après ; elles étaient mortes de soif [1].
De l’argent contre des réfugiés
Même après la signature de l’accord contre les réfugiés avec l’UE, les forces de répression tunisiennes continuent d’abandonner les réfugiés dans le désert. Vendredi 24 mai 2024, par exemple, elles ont attaqué plusieurs camps de fortune dans lesquels se trouvaient des réfugiés, dont un camp près du bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)[2]. Au moins 300 réfugiés, dont des femmes avec leurs enfants, ont été appréhendés et emmenés, rapporte le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
Ils ont ensuite été déportés en bus vers la frontière Tunisie-Algérie et abandonnés dans le désert, sans eau ni nourriture[3]. A peine deux semaines avant, le 17 avril, la Première ministre italienne Meloni s’était à nouveau rendue à Tunis pour mettre en place un autre élément de l’accord de défense contre les réfugiés – un paquet de 50 millions d’euros destiné à financer, entre autres, des projets énergétiques[4]. Avec des compensations comme celles-ci, l’UE achète les efforts du gouvernement de Tunis pour empêcher les réfugiés de se rendre en Europe et les déporter.
Empêchés de passer
L’accord de défense contre les réfugiés que l’UE a conclu avec l’Egypte le 17 mars 2024 a également suscité une large protestation parmi les organisations de défense des droits humains. L’accord ne vise pas tant les réfugiés qui cherchent à traverser la Méditerranée depuis les côtes égyptiennes ; le Caire a commencé à les empêcher efficacement dès septembre 2016, sous la pression et en collaboration avec l’UE[5].
Le nouvel accord vise surtout les réfugiés qui traversent l’Égypte pour embarquer sur des bateaux à destination de l’UE dans l’est de la Libye. Contrairement à l’ouest du pays, où Bruxelles coopère avec les soi-disant garde-côtes, l’UE n’y dispose pas d’auxiliaires qui chasseraient les réfugiés en son nom.
L’Egypte doit désormais veiller à ce que les réfugiés d’Érythrée et du Soudan ne puissent pas atteindre l’est de la Libye. Human Rights Watch (HRW) a documenté non seulement des cas où des réfugiés ont été détenus arbitrairement et maltraités par les autorités répressives égyptiennes, mais aussi des déportations illégales vers l’Érythrée[6].
Déportés vers la guerre
Une récente enquête approfondie de la plateforme d’information The New Humanitarian et de la Refugees Platform in Egypt [7] montre que les autorités égyptiennes – partenaires de l’UE dans la défense contre les réfugiés – ont réprimé et déporté un grand nombre de réfugiés soudanais vers le Soudan. Une guerre civile y fait rage depuis un peu plus d’un an et a fait jusqu’à présent 15 000 morts selon les chiffres officiels ; les observateurs estiment que le nombre réel est dix ou quinze fois plus élevé. Plusieurs millions de personnes sont en fuite.
Les autorités égyptiennes ne se contentent pas de refuser l’entrée aux réfugiés soudanais – en violation des accords en vigueur avec le Soudan, elles procèdent également à des déportations systématiques et à grande échelle vers la zone de guerre soudanaise.
Selon les recherches de The New Humanitarian et de la Refugees Platform in Egypt, les forces armées égyptiennes amènent des milliers de réfugiés soudanais dans un réseau de bases militaires secrètes, à partir desquelles elles les expulsent vers leur pays d’origine sans leur donner la possibilité de demander l’asile. The New Humanitarian parle d’une campagne nationale impliquant de nombreuses agences gouvernementales et fait référence à la collaboration de l’UE avec l’État égyptien.
Pour la deuxième fois sur la route de l’exil
Enfin, l’accord de défense contre les réfugiés qui a suivi et que l’UE a conclu avec le Liban jeudi 2 mai 2024 a également suscité des protestations. Le Liban accueille actuellement plus de 1,5 million de réfugiés syriens et se trouve en même temps dans une crise économique catastrophique. Les sentiments de la population libanaise se sont retournés de manière flagrante contre les réfugiés syriens, qui sont en partie exposés à la violence.
C’est entre autres pour cette raison, mais aussi parce qu’une guerre entre Israël et le Hezbollah fait rage dans le sud du pays et qu’elle peut à tout moment dégénérer, que de plus en plus de Syriens continuent de fuir le Liban vers Chypre.
Le gouvernement chypriote, qui ne parvient pas à imposer une redistribution des réfugiés au sein de l’UE, insiste pour que Bruxelles trouve une solution. La présidente de la Commission européenne, Von der Leyen, a convenu avec le Premier ministre libanais par intérim, Najib Mikati – l’élection d’un président régulier échoue depuis maintenant un an et demi en raison des dissensions au sein des élites libanaises – de verser un milliard d’euros, dont 736 millions seront dépensés pour l’approvisionnement des réfugiés et 264 millions pour la protection des frontières et les forces armées[8].
Des « zones sûres »
En contrepartie, le Liban doit veiller, en coopération avec l’agence de défense contre les réfugiés Frontex, à ce que plus aucun réfugié ne passe par Chypre. Les experts protestent ; il existe un risque considérable, prévient par exemple la chercheuse en migration Judith Kohlenberger, que cet accord ne fasse que « renforcer les élites corrompues »[9], lesquelles sont connues pour agir avec violence contre les réfugiés syriens. En fin de compte, au lieu de « lutter contre les causes de la fuite, l’accord pourrait en générer de nouvelles ».
De plus en plus de voix s’élèvent au sein de l’UE pour demander que certaines parties de la Syrie soient déclarées « zones sûres », dans lesquelles les réfugiés pourraient être expulsés sans difficulté. Le Danemark l’a déjà fait l’année dernière ; l’Autriche et les Pays-Bas pourraient suivre. Si l’UE s’y ralliait, elle serait en contradiction directe avec les Nations unies, dont l’agence d’aide aux réfugiés s’est explicitement prononcée contre l’expulsion de réfugiés syriens vers la Syrie[10].
Notes
[1] En route vers le désert (II). (ALL)
[2] La Tunisie expulse de la capitale des centaines de migrants subsahariens : ONG. newarab.com, 3 mai 2024.
[3] Une descente de police à Tunis voit des réfugiés abandonnés près de la frontière avec l’Algérie. aljazeera.com, 6 mai 2024.
[4] La Première ministre italienne Meloni se rend en Tunisie pour des négociations sur la migration. newarab.com 17 avril 2024.
[5] Sisi à Berlin (III). (ALL)
[6] L’argent contre les réfugiés. (ALL)
[7] Sara Creta, Nour Khalil : Exclusif : Dans le cadre du projet secret égyptien visant à détenir et expulser des milliers de réfugiés soudanais. thenewhumanitarian.org 25 avril 2024.
[8] Christoph Ehrhardt, Thomas Gutschker : Un milliard pour le Liban. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 mai 2024.
[9] Paula Völkner : L’accord UE-Liban critiqué pourrait « créer plus de causes de fuite plutôt qu’il n’en combat ». 5 mai 2024.
[10] Christoph Ehrhardt, Thomas Gutschker : Un milliard pour le Liban. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 mai 2024.
Traduction, Evelyn Tischer