Ce qui s’est passé le 26 juin en Bolivie n’était pas encore un coup d’État. Il s’agissait d’un putsch manqué, mené par le commandant des forces armées, Juan José Zuñiga, de manière improvisée, croyant qu’il serait soutenu par les autres officiers putschistes.

Par Eduardo Vasco (*)

Mais Zuñiga avait agi trop vite. Il avait déclaré deux jours plus tôt, dans une interview, qu’il n’accepterait pas une nouvelle candidature d‘Evo Morales [président de 2006 à 2019] à la présidence de la République. Cette déclaration ayant suscité une vive controverse, l’actuel président Luis Arce a annoncé que M. Zuñiga serait démis de ses fonctions. Les militaires ont alors anticipé la situation, organisé un groupe du régiment spécial Challapata « Mendez Arcos » et tenté de prendre d’assaut le palais du gouvernement.

Mais personne d’autre ne l’accompagne. Aucune caserne n’a été soulevée dans le pays. Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la police n’a pas joué un rôle de premier plan dans l’arrêt du putsch. Bien qu’elle n’ait pas non plus participé à l’aventure de Zuñiga, elle est encore plus réactionnaire que l’armée et a été à l’avant-garde du coup d’État de 2019.

Evo et Arce ont eux-mêmes appelé la population à se mobiliser contre la tentative de coup d’État. Des centaines de personnes ont chassé les militaires de Zuñiga de la place Murillo, faisant preuve de combativité comme ils l’avaient fait par milliers en 2019.

Mais c’est moins la mobilisation populaire que le manque d’initiative des militaires qui a conduit à l’échec du putsch de Zuñiga.

La Bolivie traverse une forte crise politique, tant au sein des partis de droite qu’au sein du MAS (Mouvement pour le socialisme, parti d’Evo Morales). Ceux qui pourraient être considérés comme les principaux leaders de la droite – l’ancienne putschiste Jeanine Añez, qui a pris le pouvoir après le coup d’État de 2019, et l’un des principaux auteurs de ce coup d’État, l’extrémiste Luis Fernando Camacho – sont en prison.

L’un des objectifs annoncés par Zuñiga était précisément de libérer Añez et Camacho, peut-être précisément pour qu’ils puissent unifier l’aile droite du coup d’État. Le plus inquiétant est qu’en l’absence de leaders politiques, les militaires eux-mêmes tenteront de mener le coup d’État – comme Zuñiga a essayé de le faire.

Contrairement à Hugo Chávez au Venezuela, le MAS n’a pas expurgé les officiers putschistes des forces armées. Il n’y a eu aucune purge à aucun moment, que ce soit pendant les gouvernements d’Evo ou d’Arce. Les forces armées boliviennes sont donc hautement réactionnaires et liées à l’impérialisme américain. Des agents de la CIA sont profondément infiltrés dans l’armée bolivienne.

Si, d’une part, les autres officiers n’ont pas accompagné Zuñiga et si l’Organisation des États américains OEA – qui avait parrainé le coup d’État de 2019 – a cette fois condamné le putsch, la position du gouvernement américain est révélatrice. Alors que le monde entier a rejeté le coup d’État, le gouvernement américain a simplement déclaré qu’il surveillait la situation et a appelé au calme et à la modération. C’est un signe clair que les États-Unis sont impliqués dans la préparation d’un coup d’État en Bolivie.

Il semble que les autorités boliviennes aient laissé Zuñiga s’immoler pour tester les possibilités de réussite d’un véritable coup d’État. En tant que commandant des forces armées, Zuñiga savait que d’autres officiers avaient de sérieuses velléités de coup d’État et c’est pourquoi il a fait cette tentative, sinon il n’aurait pas été aussi audacieux.

La crise de la gauche est encore plus grande que celle de la droite. Le MAS et les mouvements populaires sont profondément divisés entre les ailes Evo et Arce. Ces dernières années, Morales a montré des signes de capitulation en remettant Cesare Battisti (un extrémiste de gauche italien) à Bolsonaro et au gouvernement italien, en assistant à l’investiture de Bolsonaro en tant que président et en acceptant Arce comme candidat du MAS aux élections qui ont eu lieu grâce à la pression populaire. Les élections ont renversé le coup d’État et écarté Añez du pouvoir.

Cependant, Arce est un bureaucrate modéré qui, surtout en politique intérieure, s’est comporté comme une sorte de Lenin Moreno bolivien (président de l’Équateur entre 2017 et 2021), même s’il n’est pas aussi à droite. Il n’a pas ménagé ses efforts pour écarter Morales et ses alliés de la direction du MAS et ainsi s’approprier le parti. Morales et Arce ont tous deux l’intention de se présenter aux prochaines élections présidentielles, et seul l’un d’entre eux pourra représenter le MAS. La lutte interne, déjà très importante, va s’intensifier.

Il n’y a aucun moyen de résoudre la crise du MAS et de réunifier le parti. La seule solution favorable au peuple bolivien est que la base et l’aile gauche rompent avec l’aile droite et qu’un nouveau parti ouvrier socialiste indépendant soit formé, qui agisse aux côtés de la Centrale ouvrière bolivienne pour empêcher le véritable coup d’État qui se prépare, expurger les forces armées de leurs éléments putschistes et pro-impérialistes et garantir le pouvoir aux travailleurs et aux paysans boliviens, dont la majorité soutient Evo Morales contre Arce.

La défaite des impulsions putschistes en Bolivie est fondamentale pour empêcher les plans de coup d’État continentaux élaborés par l’impérialisme américain, qui ont déjà fonctionné en Argentine et en Équateur et qui ont le Brésil pour cible principale, car les États-Unis ne peuvent tolérer longtemps le Brésil avec un gouvernement comme celui de Lula. L’armée et la droite boliviennes ont certainement des liens avec l’extrême droite de Milei et avec l’extrême droite brésilienne. Milei a imposé une dictature en Argentine en usant et abusant de la police et de l’armée. Noboa a imité l’Argentin et a fait de même en Équateur peu après. Les généraux sont toujours en impunité au Brésil un an et demi après le 8 janvier et Bolsonaro est toujours aussi fort.

L’Amérique latine reste malheureusement l' »arrière-cour » des États-Unis. Face à la complexité de la situation internationale, notamment en Ukraine, en Asie de l’Est et au Moyen-Orient, avec des défaites successives, l’impérialisme américain a besoin de s’assurer le contrôle du continent. C’est l’un des rares points sur lesquels Joe Biden et Donald Trump sont d’accord. Ainsi, quoi qu’il arrive lors des élections américaines, l’Amérique latine continuera d’être dans l’œil du cyclone.

 

L’auteur

(*) Eduardo Vasco est un journaliste brésilien spécialisé dans la politique internationale. Il a été correspondant de guerre en Ukraine et est l’auteur des livres “O povo esquecido: uma história de genocídio e resistência no Donbass” [« Le peuple oublié : une histoire de génocide et de résistance dans le Donbass »] et “Bloqueio: a guerra silenciosa contra Cuba” [« Blocus : la guerre silencieuse contre Cuba ».] Il rédige des rapports et des analyses pour diverses publications brésiliennes et étrangères.

 

Traduction, Evelyn Tischer