L’objectif de ce document est de fournir une vision de la situation mondiale actuelle et d’inviter à la réflexion et à l’action. L’urgence et les intérêts particuliers des différents groupes, organisations et pays empêchent généralement que l’analyse et les perspectives soient réalisées avec clarté.

Par Pablo Fernandez Martino, Jano Arrechea, Victor Piccininni. Parcs d’Étude et de Réflexion La Reja, Groupe d’Étude – Décembre 2015

Note introductive

La rédaction de ce document a débuté à la mi-2015 et s’est achevée en décembre de la même année. Le document a servi de base à la préparation d’un « Mémorandum » qui a été remis en main propre (versions espagnole et anglaise) à plus d’une centaine d’ambassades et de représentations d’organisations internationales en Argentine, entre août et novembre 2016. Suite à cette diffusion, nous rendons ce texte public et disponible.

 

Tous les gouvernements, les organisations internationales et les citoyens s’accordent à dire qu’une crise humanitaire mondiale, marquée par une augmentation de la violence et de la souffrance dans toutes ses manifestations, frappe durement la planète. Les réponses, les solutions et les conséquences possibles de cette crise diffèrent selon les secteurs, les intérêts et les parties en présence.

Les analyses de ces questions inondent les médias et les rapports mondiaux de nombreuses organisations. Mais pour diverses raisons, il semble que l’on ne remarque pas ce qui reste caché derrière les événements mentionnés.

Il est très difficile de décrire la crise actuelle en prétendant couvrir tous les points de vue possibles. De nouvelles relations émergent constamment entre toutes les composantes du moment présent. Beaucoup de ces développements peuvent être considérés comme non pertinents, mais comment savoir s’ils le sont ou s’ils auront une influence sérieuse sur l’avenir immédiat ou à moyen terme ?

Existe-t-il des modèles permettant de prévoir les événements et leur direction ? Allons-nous vers l’impensable ou l’avenir est-il impensable ?

Nous partons simplement du principe que nous sommes plongés dans un monde en proie à de fortes mutations, non seulement très rapides, mais aussi imprévisibles dans de nombreux cas. En essayant de nous dépouiller de toute autre considération, nous pouvons affirmer que toute cette accélération et cette imprévisibilité laissent le monde et la société globale d’aujourd’hui dans un état de grande « instabilité ».

Si nous supposons que tout le monde se trouve dans un certain degré d’instabilité, quelle direction les événements prendront-ils, quel type de réponse est et sera le plus approprié ?

Il s’agit ici d’un regard et d’une réflexion dénués d’intérêts politiques particuliers et menés à partir d’un Centre d’Études engagé dans la tentative d’évolution de l’humanité.

 

1. Le processus social actuel et la possibilité d’une explosion psychosociale.

Un ordre mondial marqué par la dépendance du tout social à l’égard de la voracité du capital financier s’est répandu dans le monde entier, indépendamment du signe idéologique de chaque pays. C’est l’empire de l’argent sur toutes les autres valeurs humaines.

• L’avancée de ce système économique fait des ravages, créant des situations inhumaines en termes d’alimentation, d’éducation et de santé pour une grande partie de la population mondiale.

• De grandes vagues régionales de migration, motivées par des conditions de vie inhumaines et/ou des conflits armés, se multiplient dans différentes régions du monde (de l’Afrique vers l’Europe, du Moyen-Orient vers l’Europe ou d’autres pays voisins, de l’Amérique centrale vers l’Amérique du Nord, pour ne citer que quelques exemples).

• L’émergence et le renforcement de groupes fondamentalistes de différentes obédiences idéologiques et religieuses multiplient les situations de conflits armés régionaux et internes.

• Le danger d’une catastrophe nucléaire reste latent alors que les conflits conventionnels se multiplient en Afrique, en Asie et en Europe.

• L’utilisation d’armes personnelles augmente au sein des sociétés et les attaques armées par des individus isolés contre des populations civiles se multiplient.

• La recherche sur le développement d’armes à « intelligence virtuelle » se développe.

• L’alcoolisme, la toxicomanie, les maladies mentales, les dérèglements mentaux violents et le suicide sont en augmentation.

• L’extrémisme personnel et collectif se traduit par des massacres et des exterminations (attaques armées contre des écoles, des édifices religieux et des lieux publics dans divers pays sur tous les continents).

• Le mécontentement personnel et social s’accroît dans tous les pays et le rejet des organisations sociales et politiques nationales et internationales se multiplie.

• Des explosions psychosociales comme réponse collective à une situation de désillusion globale commencent à se développer et à se manifester au sein des sociétés, indépendamment du signe idéologique ou de la situation économique
qui les affecte (le « Printemps arabe » en Afrique et en Asie, les mobilisations des « Indignés » en Espagne, en Italie, en France, en Angleterre, en Grèce, au Brésil, au Mexique et dans d’autres pays).

Ces situations observées dans la société actuelle s’accélèrent de jour en jour et ne reflètent pas seulement un processus de déstructuration et de crise sociale globale, mais sont également le corrélat d’un processus de crise, de débordement et de transformation interne qui opère dans la conscience des êtres humains qui habitent cette planète.
Les débordements psychiques individuels et les déséquilibres et crises sociales ont une racine commune. Ce sont des aspects différents d’un même phénomène : la crise finale d’un type de civilisation.

En synthèse

Les désillusions se multiplient. Les explosions et les débordements psychiques personnels et sociaux ont tendance à croître de manière exponentielle.
La violence armée et la souffrance humaine augmentent sous toutes les latitudes. Ces expressions nous montrent la crise de la civilisation actuelle qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, interagit et s’interconnecte à l’échelle mondiale. Tout est mondialisé et, en même temps, tout ce qui a été établi est en train d’être démantelé. Une dangereuse « instabilité » balaie la planète.

En même temps, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les possibilités scientifiques, matérielles et technologiques pour satisfaire les besoins humains en matière d’alimentation, de santé et de bien-être pour toutes les régions et tous les habitants de la planète sont disponibles. Tel est le paradoxe absurde de la situation mondiale actuelle.

 

2. Les orientations possibles du processus.

Comme dans d’autres périodes de crise, le processus humain peut prendre des voies différentes en fonction des forces et des intentions à l’œuvre. Mais cette fois-ci, contrairement aux crises des civilisations isolées précédentes, compte tenu de la mondialisation et de l’interconnexion croissantes, la direction que prendra le processus affectera l’ensemble de l’humanité.

En termes simples, le dilemme est le suivant : « Soit l’humanité est entraînée dans une mécanique absurde et destructrice dont l’issue est difficilement prévisible, soit elle entend donner une autre direction et un autre sens aux événements ».

La première option, dont l’orientation est clairement destructrice et déshumanisante, conduira à la situation suivante :

• La concentration du grand capital mondial continuera de croître jusqu’à son effondrement final.

• Un système fermé sans direction de changement conduira à la croissance convulsive des migrations, de la famine, des guerres et des luttes sans fin, de l’insécurité quotidienne, du chaos, de l’injustice, de la restriction de la liberté et du triomphe de nouveaux obscurantismes.

• Dans ce système fermé, on ne peut s’attendre qu’à une mécanique de désordre général, et cette orientation regrettable fera reculer l’horloge de l’Histoire.

Une erreur courante consiste à essayer d’expliquer ces situations comme de simples événements politiques, économiques ou sociaux, en suivant les vieilles théories de « causes à effets ». On ne comprend pas qu’il s’agit de la manifestation extérieure d’un processus profond et global de crise de la civilisation actuelle.

La seconde option consiste à transformer et à révolutionner le système et ses institutions, en l’ouvrant à la diversité des besoins et des aspirations humaines.

Qu’est-ce que cela signifie ? Fondamentalement, cela signifie subordonner les paradigmes actuels du pouvoir et de la richesse à ceux de l’établissement d’une société humaine qui met toutes ses ressources au service de la santé et de l’éducation pour tous les habitants de la planète.

« Si l’on considère tout en fonction de la santé et l’éducation, les problèmes économiques et technologiques très complexes de la société actuelle pourront être traités dans un cadre correct. »[1]

Cette orientation « humaniste » des événements place « l’être humain comme valeur centrale » au-dessus de toutes autres valeurs (argent, religion, race ou État).

De manière plus urgente et afin d’éviter une catastrophe nucléaire, il s’agit de poursuivre le démantèlement des arsenaux nucléaires existants.

Cette voie naît de la réflexion et de la reconnaissance du non-sens du processus actuel, et un changement de direction est recherché en utilisant les aspects les plus positifs du moment présent (l’expérience historique, les progrès technologiques, l’intercommunication mondiale, l’interculturalité et mondialisation croissante).

 

3. Une direction évolutive : la nation humaine universelle.

La crise actuelle est aussi une possibilité. La possibilité que les différents pays, organisations et leaders mondiaux poussent à un changement de cap et convergent, avec des avancées et des reculs, vers une société mondialisée qui tend à préserver et à développer la paix, la non-violence et le bien-être pour tous les êtres humains de la planète.

Des indicateurs existent déjà et les signes possibles de cette « nouvelle société » se profilent à l’horizon :

• Les avancées scientifiques et technologiques dans tous les domaines permettent de prédire la victoire sur les maladies et l’amélioration de la qualité de vie des populations du monde entier.

• Les ressources mondiales en matière d’alimentation et d’infrastructures permettraient d’assurer une alimentation, une santé et une éducation adéquates à tous les habitants de la planète.

• Les voyages spatiaux et l’exploration de l’espace nous mettent sur la voie de la découverte de la vie et de l’intelligence ailleurs dans le cosmos.

• La non-violence en tant que méthodologie d’action face aux conflits est exprimée comme une réponse commune dans de nombreuses luttes sociales permanentes des nouvelles générations, manifestant ainsi leur rejet des pratiques violentes et la distance qu’elles prennent avec elles.

• L’intercommunication mondiale et le dépassement des vieux préjugés permettent la croissance d’une interculturalité qui s’étend à tous les champs de la culture humaine.

• La création d’une « vie artificielle » ouvre l’horizon humain à des régions impossibles à imaginer aujourd’hui.

• Dans toutes les régions, des êtres humains désabusés dans leur profonde intériorité recherchent et développent de nouvelles formes de spiritualité qui apportent des réponses à leurs questionnements les plus profonds. Une nouvelle forme de spiritualité est en train de naître.

Le corrélat de tout ce processus pourrait conduire à l’établissement de la première civilisation planétaire de l’histoire de l’humanité, qui prendra les caractéristiques d’une Nation Humaine Universelle. Une nouvelle civilisation, avec un nouveau type d’être humain, verra le jour.

La discussion d’aujourd’hui consiste donc à poser la question :

• Comment surmonter cette crise, qui pourrait faire reculer l’Histoire de plusieurs siècles ou millénaires ?

• Comment donner une impulsion aux « signaux évolutifs » qui cherchent à s’exprimer et à se développer ?

 

4. Action responsable de la part des individus, des organisations, des gouvernements et des dirigeants mondiaux.

Du point de vue exposé dans les paragraphes précédents, les actions et les décisions de chaque personne ou groupe, de chaque gouvernement, de chaque organisation et de chaque leader mondial dans les différentes sphères où ils agissent ne sont pas indifférentes à l’avenir. Chacun d’entre eux, par ses actions et ses décisions, pourra faire avancer l’Histoire dans une direction ou dans une autre : « soit pour maintenir la direction des structures actuelles, soit pour promouvoir une transformation profonde de chacune d’entre elles ».

La corrélation des forces en présence décidera en fin de compte de l’accélération du chaos destructeur, ou du recul de la situation actuelle et, en conséquence, du changement qui en résultera dans le sens de l’humanisation.

C’est la raison d’être de ce mémorandum qui, comme nous l’avons dit, s’adresse simultanément à plus d’une centaine de gouvernements, d’organisations internationales et de dirigeants du monde entier.

Cette « contribution » souffre probablement d’un certain nombre d’erreurs et d’oublis. Elle ne contient probablement pas d’idées nouvelles ou de choses qui ne sont pas déjà bien connues des personnes et des organisations auxquelles elle s’adresse.
Elle risque de devenir une nouvelle voix « criant dans le désert »…

Nous voulons simplement répondre à la nécessité d’envoyer un « signal » pour encourager la réflexion et l’action sur ces questions urgentes.

Il reste pour nous de première importance d’encourager l’étude, la réflexion, l’échange et l’action urgente et intelligente qui collabore, à ce moment précis de l’histoire humaine, à l’évolution de la société et de la conscience humaine.

Nous vous remercions de votre disponibilité et restons attentifs aux futurs échanges qui pourront être générés pour donner une continuité à ces réflexions et à d’autres propositions d’échanges et d’actions liées aux thèmes exposés ici.

 

Notes

[1] Silo, Lettres à mes amis, Lettre 7, Éditions Références, Paris, 2004 pour la version française, p. 118. (Versions Papier ou Fichier)

 

Traduction de l’espagnol, Claudie Baudoin – Parcs d’Étude et de Réflexion La Belle Idée

L’article original est accessible ici