Connue pour son combat pour les réfugiés en Méditerranée, Carola Rackete se présente aux élections européennes en Allemagne avec le parti de gauche Die Linke. Elle espère que d’autres activistes la suivront sur ce terrain.

Grünheide (Allemagne), reportage

Regard déterminé et dreadlocks de rigueur, Carola Rackete et sa cheffe de campagne, Cindy Peter, se faufilent dans la foule joyeuse qui se déverse du train régional venu de Berlin. Tambours, sacs à dos et banderoles… en ce jeudi de l’Ascension, le quai de Fangschleuse, l’arrêt qui dessert la bourgade de Grünheide, 30 km au sud-est de la capitale, n’accueille pas les salariés de la gigafactory de Tesla, mais des centaines de manifestants et d’activistes venus des quatre coins d’Allemagne et d’Europe.

Non loin, les organisations du collectif Tesla den Hahn abdrehen (Fermer le robinet à Tesla) ont installé un camp éphémère pour quatre jours de protestations contre le groupe automobile, qui veut étendre sa surface de production au beau milieu d’une région classée réserve d’eau potable.

En deuxième position sur la liste de Die Linke

« Tesla est symbolique de beaucoup de choses : une logique de production capitaliste, une mauvaise protection du travail et une nouvelle mobilité électrique finalement vorace en ressources », explique Mara, 24 ans, activiste de Tesla Stoppen, qui vit sur place et dort depuis la mi-février dans une des huit cabanes perchées dans les arbres.

Les protestations précèdent une réunion du conseil municipal de Grünheide, qui doit statuer, jeudi 16 mai, sur cette expansion. « Je suis déjà venu les soutenir en tant qu’activiste. C’est la première fois que je viens en tant que candidate aux élections européennes », fait remarquer Carola Rackete que l’on a toujours du mal à imaginer sur la terre ferme.

Cinq ans après avoir forcé le blocus italien pour faire débarquer des migrants sur l’île de Lampedusa à la barre d’un bateau de l’ONG Sea-Watch, l’activiste de 36 ans est revenue sur le devant de la scène politique européenne de manière inattendue.

Le Sea-Watch 3, à bord duquel Carola Rackete a permis à 53 migrants de débarquer sur l’île italienne de Lampedusa en 2019. Wikimedia Commons / CC BYSA 4.0 DEED / Rama

En juillet 2023, la direction du parti de gauche Die Linke a en effet annoncé que la native de Kiel, dans le nord du pays, se présenterait sur sa liste aux élections européennes, où elle occupe une confortable deuxième position, juste derrière le coprésident du parti, Martin Schirdewan. Malgré l’arrivée de Carola Rackete, la liste ne parvient toutefois pas à décoller dans les sondages, restant autour des 3 %.

« Il est essentiel que nous, activistes environnementaux, nous nous engagions en politique »

Celle qui plaidait déjà l’engagement dans une interview à Reporterre en 2020, a franchi le pas : « J’ai accepté à cause d’une proximité de pensée, parce que Die Linke est le seul parti allemand à établir un lien étroit entre problèmes écologiques et crises sociales. Cela me manque chez les Verts, de même que la critique de la recherche de croissance économique perpétuelle », explique-t-elle en se détachant de la foule et en piquant vers un chemin forestier qui conduit au campement permanent et suspendu dans les airs de l’opération Tesla Stoppen.

« Il me semble aussi essentiel que nous, activistes environnementaux, nous nous engagions en politique. Je pense qu’un rapprochement entre les partis de gauche, les syndicats et les réseaux environnementaux est incontournable si l’on veut réussir à changer de cap », ajoute-t-elle.

Être une vigie sur les agissements des lobbies et un relais de la société civile et des réseaux environnementaux à Bruxelles est d’ailleurs l’une des principales missions qu’elle s’est fixée si elle est élue : « Nous risquons d’avoir un parlement dominé par une droite conservatrice dure. Il va falloir batailler. Rien que cela devrait motiver les gens à aller voter. »

Un engagement sur l’agriculture

Ceux qui l’attendaient sur les questions migratoires seront déçus. « J’espère pouvoir intégrer les groupes de travail et commissions sur l’environnement et l’agriculture, qui sont mes spécialités », précise-t-elle en rappelant que, si elle est capable de diriger un navire, elle a avant tout obtenu un master en gestion de l’environnement et excelle dans la cartographie de la végétation.

« L’agriculture, c’est 30 à 40 % du budget de l’Union européenne, note-t-elle. Et il y a un travail énorme à faire pour réorienter le système de subventions vers une agriculture biologique qui tienne aussi compte de la question sociale, de l’accès à la terre, du coût des transformations… »

Ce jour-là à Grünheide, Carola Rackete est venue soutenir ses amis activistes, mais elle laisse le cortège des manifestants se mettre en branle vers l’usine sans elle : d’autres rendez-vous électoraux l’attendent à Berlin. « Il y a bien sûr quelques réunions et meetings imposés. Mais j’ai choisi mon équipe et Die Linke n’impose pas de contrainte de vote. Donc pas question de perdre ma liberté de parole, ni d’arrêter d’être sur le terrain », promet-elle en s’éloignant dans le sous-bois.

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