Je vois des opprimés partout (…) et je veux les délivrer de l’oppression. Ce sont ces opprimés-là qui me touchent et c’est de leur oppression que je me sens complice. C’est leur liberté enfin qui reconnaîtra la mienne ». (Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 89)
Partout à travers le monde, des étudiantes et étudiants se mobilisent et organisent des campements sur les campus universitaires de leurs cités. Ils exigent le désengagement des universités avec Israël et un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Les images de tous ces jeunes qui déferlent sur les réseaux sociaux nous amènent à considérer sérieusement la capacité collective de cette génération d’éveiller une conscience globale face à la souffrance du peuple Palestinien.
Mais, il me semble que ce qui agit à la racine de ces images des jeunes, c’est cette dialectique de la liberté face au déterminisme imposé par un système basé sur l’argent et la violence. C’est la recherche d’engagement social et cette quête de libération de la souffrance humaine face aux processus mécaniques d’un système qui manipule et déshumanise l’être humain et les peuples avec une polarisation sociale, politique et religieuse et à travers la violence et les guerres. La résistance des jeunes met en avant la question de l’anti-discrimination face à la discrimination ; la question de la liberté face à l’oppression ; la question du sens de la vie face à la résignation et à la complicité avec un système corrompu.
Certes, cette nouvelle génération est influencée par un discours qui mélange le rejet de l’Occident et par cette forme de complaisance pour l’islamisme. Mais, si on observe de plus près, on comprend que les jeunes vivent une quasi répulsion psychologique face à l’Occident qui l’appuie constamment la violence et les guerres pour gérer les conflits.
L’auteur du livre La génération anxieuse, Jonathan Haidt, professeur de psychologie sociale de l’université de New York explique comment le paysage humain dans lequel ont grandi les nouvelles générations a provoqué une épidémie de maladie mentale. Il souligne que les nouvelles générations vivent une forme d’angoisse et suggère qu’ils souffrent d’un système immunitaire psychologique faible. Selon le chercheur, la capacité d’un jeune d’aujourd’hui à gérer, à traiter et surmonter les frustrations et les injustices qu’il perçoit à travers le monde à grandement diminué en comparaison aux générations précédentes.
Par ailleurs, le chercheur n’aborde pas le thème de la sensibilité qui diffère d’une génération à l’autre. En fait, peut-être que ce sont les générations précédentes présentement au pouvoir qui souffrent d’une forme d’absence de sensibilité face à l’angoisse des jeunes qui s’interrogent sur le futur de la planète et sur la destinée du peuple Palestinien. Peut-être que les générations au pouvoir croient qu’elles sont un exemple inspirateur à suivre alors qu’elles appuient et financent des guerres sanglantes ou des centaines de femmes et d’enfants sont assassinées quotidiennement à travers le monde simplement par vengeance. Peut-être que ces générations croient qu’elles sont un exemple alors qu’elles contribuent à la catastrophe climatique en appuyant l’exploitation pétrolière et gazière. Les jeunes nées à l’ère de la globalisation des communications ont développé et un paysage de formation* qui comprend tous les éléments d’une crise de plus en plus monstrueuse: génocide Palestinien, catastrophes climatiques, augmentation de la violence et du désespoir, attentats terroristes, guerres (Soudan, Ukraine, Yémen, Irak, Syrie, Afghanistan, ect) famines, pauvreté, pandémies et l’abandon psychologique de plusieurs populations à travers le monde. En fait, les jeunes ont développé une sensibilité globale et planétaire.
Ainsi au-delà du conflit à Gaza, les nouvelles générations ont la possibilité de démontrer que leur sensibilité correspond à une nouvelle façon de s’engager dans le monde afin de vaincre les injustices et libérer les peuples de l’oppression. C’est une sensibilité tournée vers un monde global, vers la compréhension de la souffrance de l’autre, vers la protection de la planète et de la nature.
Par ailleurs, les jeunes devront rapidement saisir qu’ils sont en quelque sorte la mémoire du futur et toutes les actions qu’ils vont entreprendre au cours des prochains jours vont marquer le temps social et la possibilité de changer la direction des choses. Les jeunes ont la possibilité de rejeter les futures guerres que leur préparent présentement les générations au pouvoir, qui à travers les pouvoir économique et politique développent des appareils et des armes de plus en plus sophistiqués. Les jeunes peuvent choisir les conditions futures dans lesquelles ils veulent vivre et c’est précisément cette liberté qui leur permet de refuser que d’autres décident à leur place.
Je crois que l’alternative qui se présente devant eux, en tant que direction, est de dépasser cette situation de violence généralisée en refusant d’adhérer et de céder à toutes visions futures et folie meurtrière de m’importe quels gouvernements et groupes violents qui divisent et fragmentent actuellement le monde.
Ceux qui ont réduit l’humanité des autres ont de ce fait provoqué de nouvelles douleurs et souffrance, (…) cette lutte se fait maintenant entre ceux qui veulent “naturaliser” les autres, la société et l’histoire, ainsi les opprimés ont besoin de s’humaniser en humanisant le monde. Cette lutte ne se fait entre des forces mécaniques, ce n’est pas un réflexe naturel c’est une lutte entre des intentions humaines. Et c’est précisément ce qui qui permet de parler d’oppression et d’opprimés, de justes et d’injustes, de héros et de lâches. C’est la seule chose qui donne un sens à la pratique de la solidarité sociale et à l’engagement pour libérer les discriminés. (Silo, Lettres à mes amies, p.55, 2004)
* paysage de formation : l’ensemble des enregistrements qui forme le substrat biographique sur lequel vont se sédimenter les habitudes et les traits essentiels de la personnalité. La formation de ce paysage commence dès la naissance. Les enregistrements structurés fondamentaux impliquent non seulement un système de souvenirs mais aussi des tons affectifs. (Silo, Notes de Psychologie, p.100)