« La participation des femmes dans le domaine de la paix et de la sécurité internationales », thème du débat ministériel du jour au Conseil de sécurité, est loin d’être acquise, car « notre monde et notre culture sont dominés par les hommes », a constaté ce matin le Secrétaire général de l’ONU à l’ouverture de la discussion entre les membres du Conseil et plus de 80 autres États Membres.  Lors de ce débat à l’occasion du vingt-troisième anniversaire de la résolution 1325 (2000), axé sur les moyens de passer de la « théorie à la pratique »,

M.  António Guterres a pointé du doigt le patriarcat qu’il a vu comme un « obstacle majeur à une culture de la paix », avant d’alerter que « nous sommes au bord du précipice » sur cette question.

De fait, a-t-il étayé, sur les 18 accords de paix conclus l’année dernière, un seul a été signé par une représentante d’un groupe ou d’une organisation de femmes.

On ne comptait en outre que 16% de négociatrices et de représentantes dans les processus de paix dirigés ou codirigés par l’ONU, a-t-il ajouté.

Or, cette participation s’élevait à 19% en 2021 et 23% en 2020, a informé la Directrice exécutive d’ONU-Femmes.  Mme Sima Sami Bahous a fait un constat encore plus grave concernant les processus de paix menés par les États Membres ou d’autres organisations: les femmes étaient presque totalement absentes pour les processus de l’Éthiopie, du Kosovo, du Soudan, du Myanmar et de la Libye, exception faite de la Colombie.

Même dans les dialogues nationaux à grande échelle, où l’inclusion devrait être primordiale et la parité réalisable, la représentation des femmes est tombée en dessous de 40% en moyenne, voire bien plus faible dans certains cas, s’est encore alarmée la Directrice exécutive.

Les participants à la séance avaient sous les yeux d’autres chiffres alarmants sur les femmes et filles vivant dans des pays touchés par un conflit: leur nombre a augmenté de 50% entre 2017 et 2022 où elles sont 614 millions, lit-on dans le rapport du Secrétaire général dont était saisi le Conseil.

Mais le plus révoltant, a relevé la Présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Mme Mirjana Spoljaric, c’est le nombre important de violations de leurs droits qui ne sont pas documentées ou qui continuent d’être considérées comme un effet secondaire inévitable de la guerre.

C’est le cas au Soudan, où les autorités de transition ont été incapables d’endiguer la violence systémique, la discrimination à l’égard des femmes et l’impunité, a témoigné Mme Ala Al-Karib, Directrice régionale de l’Initiative stratégique pour les femmes de la Corne de l’Afrique (SIHA).  Une tendance observée partout dans le monde, se sont indignées plusieurs délégations, de Haïti à l’Afghanistan, en passant par l’Ukraine, Gaza (un conflit qui s’est largement invité lors de ce débat), où un nombre croissant de groupes armés considèrent l’inégalité de genre comme un objectif stratégique.

En fait, a résumé le Ministre des affaires étrangères du Brésil, « l’ambition originelle » de la résolution 1325 n’a pas été réalisée. Raison pour laquelle, il faut intensifier les efforts déployés à l’échelle nationale, régionale et internationale en faveur d’une mise en œuvre mondiale, inclusive et efficiente de cette résolution, a recommandé le représentant du Gabon.  Concrètement et faisant écho au Secrétaire général, les pays nordiques ont recommandé de démanteler les structures de pouvoir patriarcales et oppressives qui font obstacle à l’égalité des sexes.  Mais comment passer de la théorie à la pratique?  Comment combler le fossé existant entre les discours et la réalité?

« Il faut mettre de l’argent sur la table », a lancé le Secrétaire général de l’ONU, parmi les trois mesures qu’il a proposées pour cela, encourageant une contribution des pays fournisseurs d’aide publique au développement (APD) de 15% au secteur de l’égalité des genres.  D’ailleurs, a-t-il rappelé, la campagne « Invest-in-Women » (Investir dans les femmes) du Fonds pour les femmes, la paix et l’action humanitaire vise à collecter 300 millions de dollars d’ici à la fin de 2025.  Ce fonds a contribué à aider plus d’un millier d’organisations locales de femmes depuis sa création en 2016, s’est enorgueilli le Chef de l’ONU, saluant notamment les progrès dans la représentation équilibrée des genres dans les missions de maintien de la paix.

La question du financement a été soulevée par les États-Unis notamment, qui ont recommandé d’investir davantage dans la promotion de la femme en tant que négociatrice.  La Suisse a insisté sur la flexibilité et la prévisibilité du financement des organisations humanitaires dirigées par des femmes, tandis que la France a dit vouloir augmenter son financement des organisations féministes, par le biais d’un fonds doté de 250 millions d’euros.

Aller de la théorie à la pratique passe également par la mise en place d’institutions dédiées, comme en a témoigné la Ministre d’État des Émirats arabes unis.  Son pays copréside avec la Suisse le Groupe informel d’experts chargé de la question des femmes et de la paix et de la sécurité, qui joue un rôle essentiel pour mieux comprendre le sort des femmes dans les conflits.  L’Argentine a évoqué quant à elle le Réseau régional des médiatrices du cône Sud lancé en 2021, un projet régional pionnier.

Parmi les autres bonnes pratiques saluées lors de cette séance, l’exemple de la Colombie où l’on observe une quasi-parité des genres dans les négociations de paix, comme relevé par la Directrice générale de l’Institut Rio Branco, Mme Glivânia Maria de Oliveira.

Les exemples de l’Iraq, de la République centrafricaine et de la Syrie, où les auteurs de violences sexuelles sont traduits en justice, ont également été cités comme des motifs de satisfaction pour l’ONU.

Déterminé à collaborer avec les pays pour faire progresser les questions relatives aux femmes et à la paix et à la sécurité, le Chef de l’ONU, a souhaité rappeler la contribution de la Brésilienne Bertha Lutz, l’une des quatre femmes à avoir signé la Charte des Nations Unies lors de la Conférence de San Francisco, ainsi que celle de nombreuses autres femmes, en signalant qu’une exposition leur est dédiée à l’extérieur du bâtiment de l’ONU.

Nations Unies, 25 octobre 2023

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