A l’heure où la guerre en Europe est redevenue d’actualité, à l’heure où certains en France, à commencer par le président de la République, préparent les esprits à une entrée en guerre de la France, il faut redire que la guerre n’est jamais la solution, mais qu’elle est toujours le problème. Qu’elle ne sera jamais la solution, mais toujours le problème. Il faut redire que la résistance à la guerre, à l’esprit de guerre et la militarisation des esprits, à l’économie de guerre, à la production d’armements et aux marchands de canons est un combat juste et légitime qui honore l’humanité.
Les objecteurs de conscience n’ont jamais eu bonne presse. Qualifiés tantôt de « traîtres », tantôt d’« ennemis de la nation », voire de « défaitistes » ou de « lâches », ils n’ont jamais vraiment eu droit de cité, même si des lois ont pu, ici ou là, leur reconnaître un statut, notamment pour leur permettre d’effectuer un service civil au lieu du service militaire. Bien souvent, et pendant longtemps, les objecteurs de conscience ont été réprimés, poursuivis, jugés, emprisonnés. Quel mal faisaient-ils lorsqu’ils ne voulaient pas être complices, par leur participation, d’une école d’apprentissage du meurtre ? Et quel mal font-ils encore aujourd’hui, lorsque ne voulant pas participer à des entreprises guerrières menées par leur pays, ils ont le courage de refuser d’être enrôlés, malgré les risques encourus ?
Oui, le courage ne se résume pas seulement à prendre les armes pour se défendre ou défendre son pays ! Par leur action motivée en conscience, au nom de leurs principes éthiques, philosophiques ou religieux, les objecteurs de conscience sont véritablement, comme le disait Einstein, des « pionniers d’un monde sans guerre ». Car la guerre existera, tant que des hommes obéiront passivement aux ordres qui leur commandent de tuer. Elle existera tant que des armées recruteront, pour « défendre la patrie », des femmes et des hommes, qui consentiront à recevoir une instruction militaire qui les transformera en machines dociles et criminelles. Elle existera tant que les peuples accepteront l’existence d’une institution qui bénéficie d’investissements considérables tournés vers la destruction et la mort.
Léon Tolstoï avait raison, lui qui s’est élevé de toute la force son être, contre toutes les guerres et les patriotismes qui justifient les guerres les plus sanglantes entre les nations. Dans ses écrits pamphlétaires, le « grand écrivain de la terre russe » n’aura de cesse de dénoncer avec la plus grande virulence tous les pouvoirs qui, sous prétexte de se défendre contre des ennemis extérieurs, entretiennent une armée le plus souvent utilisée pour réprimer les tentatives de rébellion intérieure. Il est convaincu qu’en endossant l’uniforme militaire, l’homme abdique une part de sa propre humanité. « L’entrée au service militaire, écrit l’auteur de Guerre et Paix, est la négation de toute religion quelle qu’elle soit et de la dignité humaine ; c’est l’entrée volontaire en un esclavage qui n’a d’autre but que l’assassinat. »[1] Recevoir une instruction militaire équivaut à être privé de « toute conscience humaine » pour se transformer en « armes de violence » et en « instrument de meurtre ». Ainsi, le serment militaire, par lequel le soldat jure d’obéir à ses supérieurs en toutes circonstances, lui paraît indigne, car l’exigence de garder sa liberté de conscience ne saurait souffrir aucune dérogation.
Plus de cent ans après la mort de Tolstoï, l’actualité des guerres qui ensanglantent les peuples et les nations donne aux propos de Tolstoï une troublante résonance. Des hommes revêtus d’un uniforme, abreuvés de propagandes et de mensonges, commettent, sur ordre, ou de leur propre initiative, des crimes innommables et sont coupables d’atrocités indescriptibles contre une population dont ils ne connaissent rien. Il faut redire avec force que toutes les guerres engendrent les mêmes scènes d’horreur : massacres, exactions, pillages, viols, trafics d’armes, crimes contre l’humanité. Quelles que soient les armées, quelles que soient les causes (toujours justes !), quels que soient les pays.
Refuser de participer à ces crimes est un acte de courage qui honore l’humanité. Refuser d’être complice de la préparation de la guerre est un acte de paix qui construit la paix. Refuser d’accomplir le service militaire est un acte qui affirme la précellence de la dignité humaine sur tout le reste. A l’échelle de notre histoire emplie de guerres et de massacres, j’affirme que l’objection de conscience au service militaire et à la guerre est certainement l’acte le plus authentique qu’un homme ou une femme sensé.e puisse accomplir dans sa vie pour rester fidèle aux valeurs de l’humanité, pour signifier que la guerre ne passera pas par sa personne, que la paix dans la justice et la vérité représente le seul combat pour lequel il vaut la peine de prendre des risques.
La guerre n’est possible que parce que le plus grand nombre consent à ce qu’elle soit une fatalité. Alors oui, nous devons résister à la préparation de la guerre, oui nous devons dénoncer tous les fauteurs de guerre et tous ceux qui jouent avec la vie humaine. J’appelle solennellement les citoyens, en France et en Europe, à construire dès aujourd’hui un mouvement anti-guerre puissant et diversifié. Il faut que les peuples prennent en main leur destin en cessant d’obéir passivement à des chefs d’État qui jouent au jeu mécanisé de la mort sans aucune considération pour la vie des peuples. Il est temps de se lever et de refuser de consentir à l’immense catastrophe qui se prépare, et dont la guerre en Ukraine et à Gaza en constitue les prémices. Il est temps que les forces de vie s’expriment et combattent activement toutes les forces de mort qui gangrènent cette planète.