Pressenza présente en 12 parties le Dossier ‘La non-violence en débat’, paru dans la revue Recherches internationales, N° 126, Avril-mai-juin 2023.

Résumé :
L’article propose de faire connaître l’histoire de l’ICNC (Centre International sur les conflits non-violents) en décrivant sa genèse, ses activités sur les champs abordés de plus en plus nombreux ainsi que les collaborations nouées avec des milieux divers, notamment universitaires. Il est montré comment les domaines prioritaires et les modalités de travail de l’ICNC ont toujours été flexibles – optimisant une stratégie dirigée par le réseau et réactifs à la demande des praticiens sur le terrain.

Dossier La non-violence en débat

1- Raphaël Porteilla, De l’utilité d’un dossier consacré à la non-violence [Présentation]
2- Alain Refalo, Panorama historique de la non-violence
3- Cécile Dubernet, Non-violence et paix : faire surgir l’évidence
4- Étienne Godinot, Raphaël Porteilla, La culture de la paix et de la non-violence, une alternative politique ?
5- Mayeul Kauffmann, Randy Janzen, Morad Bali, Quelles bases de données pour les recherches sur la non-violence ?
6- François Marchand, Guerre en Ukraine et non-violence
7- Jérôme Devillard, Sur l’opposition et les liens entre non-violence et pacifisme
8- Amber French, Combler le fossé entre universitaires et praticiens. Le cas du centre international sur les conflits non-violents
9- Document : Appel aux États-Unis pour la paix en Ukraine
10- Jacques Bendelac, Les Années Netanyahou, Le grand virage d’Israël [Raphaël Porteilla / Notes de lecture]
11- Alain Refalo, Le Paradigme de la non-violence. Itinéraire historique, sémantique et lexicologique [Raphaël Porteilla / Notes de lecture]

Voir les articles publiés

 

Huitième partie :

8- Amber French(*), Combler le fossé entre universitaires et praticiens. Le cas du centre international sur les conflits non-violents

Le Centre international sur les conflits non violents (International Center on Nonviolent Conflict, ICNC) n’est pas très connu en France. Fondé en 2002 à Washington, DC (États Unis), l’ICNC est une organisation non gouvernementale (ONG) qui se focalise sur la manière dont les mouvements de résistance civile non violente peuvent renforcer leur efficacité et gagner des droits, la liberté et la justice. Sa mission est éducative ; l’ICNC développe et partage des connaissances et des ressources sur la résistance civile avec des militants, des universitaires, des éducateurs, des ONG, des professionnels des médias et des membres de la communauté politique du monde entier.

L’organisation a beaucoup évolué depuis sa création, en particulier au cours des trois dernières années. Depuis 2014, j’ai moi-même travaillé pour le Centre International sur les conflits non-violents ICNC à divers titres, notamment pour coordonner les programmes éducatifs, gérer les opérations et les relations extérieures, et optimiser l’impact d’ICNC par le biais d’initiatives éditoriales. Aujourd’hui, j’occupe les titres de conseillère éditoriale d’ICNC et de rédactrice en chef du blog d’ICNC, Minds of the Movement[1].

Cet article examine les origines de l’ICNC en tant qu’organisation, comment son travail a évolué et pourquoi, et les défis auxquels il a été confronté au fil des ans. C’est un formidable défi pour tout acteur sociétal que de combler le fossé entre universitaires et praticiens, mais l’histoire de l’ICNC est celle d’un succès général sur la question. Comme nous le verrons plus loin, les domaines prioritaires et les modalités de travail de l’ICNC ont toujours été flexibles – optimisant une stratégie dirigée par le réseau et réactifs à la demande des praticiens sur le terrain.

Terminologie et approche épistémologique

Le travail de l’ICNC, de plus en plus multiforme, est centré sur la résistance civile[2], ou comment les gens ordinaires luttent de manière non violente pour les droits, la justice et la liberté. À la surface de la résistance civile, nous observons des tactiques non violentes, telles que les boycotts, les grèves, l’occupation non violente, les manifestations (le moyen le plus visible mais pas toujours le plus efficace), l’art engagé tel que le théâtre de rue, la construction d’institutions parallèles, et ainsi de suite. Tous ces moyens tirent leur pouvoir de l’action collective.

De nombreux lecteurs sont déjà familiarisés avec le terme de résistance civile (notamment ceux qui connaissent les travaux de Jacques Semelin). Cependant, en grande partie à cause de la forte tradition catholique de la France et d’autres raisons culturelles et linguistiques, la non-violence est le terme connexe le plus courant en France. Ceci dit, je constate que la non-violence en France fait référence à deux concepts différents : le rejet de la violence (la non-violence morale) et la stratégie d’action politique (la résistance civile), ce qui prête parfois à confusion.

Dans la résistance civile, il s’agit uniquement d’une stratégie d’action politique, et non une croyance morale ou éthique par rapport à la violence elle-même (bien que les deux concepts aillent souvent de pair).

Origines et évolution

L’histoire de l’ICNC serait pratiquement impossible à avoir pour une ONG en France. ICNC a été fondée il y en 2002 par Peter Ackerman qui a commencé sa carrière comme spécialiste de la résistance civile (ou de la lutte non violente, synonyme préféré de Gene Sharp[3]). Il est ensuite devenu philanthrope, après avoir également été un homme d’affaires et un investisseur prospère.

En tant que philanthrope, titulaire d’un doctorat de la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’université de Tufts et acolyte de Gene Sharp[4], le fondateur de l’étude moderne de la résistance civile, Peter a commencé à soutenir un film documentaire relatant des cas réussis de résistance civile à travers l’histoire (A Force More Powerful, 1999, nominé pour un prix Emmy). Les projections du film dans de nombreux pays du monde entier ont suscité une demande d’approfondissement des connaissances sur la résistance civile, notamment parmi les militants, mais pas seulement. C’est pourquoi Peter a finalement créé une fondation éducative entièrement consacrée à ce sujet : ce qu’est devenu l’ICNC[5].

Petit à petit, il est devenu de plus en plus évident que des recherches quantitatives et qualitatives plus rigoureuses seraient nécessaires pour étayer l’affirmation selon laquelle la résistance civile est efficace. Par conséquent, l’ICNC a étendu ses activités au domaine universitaire, en soutenant la recherche académique sur le sujet[6]. La recherche s’est développée et est devenue de plus en plus approfondie et transversale, s’intéressant par exemple aux rôles de la discipline non violente dans les mouvements, des acteurs externes/du soutien international, l’effet des flancs violents…
L’accent serait désormais mis sur la dynamique de la résistance civile afin de saisir la profondeur et l’ampleur de ce phénomène humain complexe et son impact sur la trajectoire de notre monde.

Parallèlement, l’ICNC a répondu aux demandes des militants qui souhaitaient organiser des séminaires éducatifs pour en savoir plus sur la planification stratégique dans les mouvements de résistance civile. Ces séminaires ont eu lieu aux États-Unis ainsi que dans des dizaines de pays du monde entier pendant plus d’une décennie, alimentant ainsi le réseau international de praticiens de l’ICNC.

L’émergence d’un réseau autosuffisant

En tant que véritable centre d’échange pour la recherche et l’enseignement universitaires sur la résistance civile, le réseau de chercheurs de l’ICNC s’est élargi au-delà des sociologues et des politologues : il comprendrait désormais des historiens, des sociologues, des spécialistes des études de genre, ou alors de la paix ou de la communication, des psychologues spécialisés dans l’environnement, des théologiens, des spécialistes du droit international, des affaires internationales et des études sur la sécurité, des philosophes, des anthropologues, des travailleurs sociaux, des spécialistes régionaux, des spécialistes des politiques publiques et bien d’autres encore[7].

De 2006 à 2016, l’ICNC a organisé un stage avancé sur l’étude et la pratique stratégique de la résistance civile, sous la forme d’un institut d’été, accueilli par la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’Université Tufts à Boston, aux États-Unis. Cet événement a servi comme moteur pour élargir le réseau de l’ICNC, formant quelque 600 acteurs divers du monde entier, chacun se penchant sur un corpus de résistance civile (fruit des années d’engagement de l’ICNC tant dans le domaine universitaire que sur le terrain), et chacun ayant son propre réseau local.

Entre-temps, alimenté par ce réseau grandissant, l’ICNC a commencé à soutenir la traduction de recherches universitaires sur la résistance civile. Pour l’ICNC, c’était la preuve que le domaine de l’étude de la résistance civile, dans l’espace américain en particulier, s’était suffisamment développé pour s’autofinancer. Qui plus est : Il existerait désormais un lien authentique entre la recherche universitaire et le terrain, et il passerait par ICNC et un nombre croissant d’acteurs sur le terrain.

L’ICNC a connu une transition de direction en janvier 2015, lorsque Hardy Merriman est devenu président (jusqu’en juin 2021, puis d’octobre 2022 à aujourd’hui). Sous la nouvelle vision d’Hardy, l’ICNC a complètement refait et développé sa présence en ligne et sa bibliothèque en ligne de ressources sur la résistance civile – la plus complète au monde.

Engagement sur le terrain

La période allant de 2019 à aujourd’hui a marqué un autre moment charnière dans l’histoire de l’ICNC. Il se tourne désormais encore plus vers le soutien à la recherche appliquée et à l’éducation des militants. L’engagement de l’ICNC allait, et va toujours, bien au-delà de l’environnement académique. Il s’identifie de plus en plus comme une centrifugeuse pour l’éducation militante et l’apprentissage par les pairs dans le monde entier. Ce pivot a culminé avec l’embauche d’Ivan Marovic, ancien leader du mouvement Otpor ! en Serbie[8], dirigé par des étudiants, comme directeur exécutif en octobre 2022.

Le président fondateur de l’ICNC, Peter Ackerman, est décédé en avril 2022. Sous la présidence de Hardy Merriman, l’ICNC avait déjà commencé à se repositionner sur le terrain pour aider à diversifier les sources de financement de son travail, mais le décès de Peter a accéléré ce processus. l’ICNC est désormais passé d’un modèle de financement par la philanthropie privée/familiale (source unique) à un modèle à sources multiples. Au cours des deux prochaines années, l’ICNC a l’intention d’entreprendre des actions plus tournées vers le public, avec un conseil d’administration plus important.

Ainsi, l’ICNC est aujourd’hui intéressé à intégrer la résistance civile dans des domaines différents et autonomes, tels que le changement climatique, la démocratisation, la lutte contre la corruption/la bonne gouvernance, la consolidation de la paix, etc.

Défis rencontrés et enseignements tirés

Comme pour tout travail comportant des aspects politiques, l’ICNC a de temps en temps rencontré des personnes qui se méfient de l’efficacité de la résistance civile. Elle pense que les mouvements de résistance civile sont un élément déstabilisant de la politique.

Il est certain que la résistance civile n’est pas classique. Dans la plupart des pays, les grèves, les blocages de rues et les manifestations ne sont pas des politiques traditionnelles (peut-être le sont-elles en France cependant !). Toutefois, l’objectif de ces actions n’est pas de détruire ou de saper les institutions. Les institutions échouent à cause de leurs propres imperfections. Les mouvements révèlent simplement les imperfections de ces institutions, et cela fait bouger l’opinion publique. Soudain, le pouvoir passe du côté du peuple.

L’objectif des mouvements est d’amener les institutions à changer, mais les gens ordinaires ne peuvent y parvenir sans utiliser leur pouvoir en masse. En menant des actions non violentes, les mouvements gagnent en influence et en pouvoir sur les détenteurs traditionnels du pouvoir. Cela permet aux mouvements de s’emparer d’une vraie place à la table des négociations avec ces détenteurs du pouvoir. Le fait de garder ce point central dans le message de l’ICNC s’est avéré crucial pour permettre au domaine de continuer à se développer au lieu de se faire piéger par ceux qui ont le désir de perturber le progrès intellectuel, au profit des détenteurs du pouvoir traditionnel.

Un autre défi souvent rencontré dans le travail de l’ICNC, qui peut trouver un écho chez de nombreux lecteurs, est de défendre l’importance de soutenir la recherche en sciences sociales sur la résistance civile. L’ICNC a choisi très tôt de travailler avec des universitaires internationaux issus de domaines extrêmement divers, ainsi qu’avec des membres de la société civile et des militants du monde entier. En conséquence, il a réussi à co-construire, avec une large communauté de pensée et de pratique, un solide corpus de résistance civile ainsi qu’une réputation d’institution de recherche sérieuse et pertinente dans le monde réel. Ainsi, la stratégie de l’organisation a été largement dirigée par le réseau et a répondu à la demande sur le terrain.

Pour reprendre les termes de Hardy Merriman, l’expérience de l’ICNC a montré que, pour construire une large communauté de connaissances et de pratiques, pour combler le fossé entre les universitaires et les praticiens, il faut soutenir la production de recherches, offrir des possibilités de formation, ancrer son travail dans les réseaux et associations existants, soutenir la production de matériel pour les praticiens, et garantir le financement de la pratique.

 

(*) L’Auteure

Conseillère éditoriale du Centre International sur les conflits non-violents, ICNC. Cet article a bénéficié de contributions d’Ivan Marovic, directeur exécutif de l’ICNC, ainsi que de Hardy Merriman, président de l’ICNC.

 

Notes

[1] https://www.nonviolent-conflict.org/blog/
[2] Terme utilisé par le Mahatma Gandhi dans Servants of Indian Society, Lettre reçue par P.K. Rao, 10 septembre 1935.
[3] Gene Sharp, How Nonviolent Struggle Works, The Albert Einstein Institution, janvier 2013.
[4] United States Institute of Peace, « In Memoriam : Peter Ackerman », Communiqué de presse USIP, 29 avril 2022, <https://www.usip.org/press/2022/04/memoriam-peter-ackerman>.
[5] A Force More Powerful and Bringing Down a Dictator, l’un des autres films documentaires, sont sous-titrés en français et gratuits à visionner en haute définition sur le site de l’ICNC : <https://www.nonviolent-conflict.org/icncfilms>.
[6] Une étude décisive est Pouvoir de la non violence, Calmann-Levy, 2021, écrite par Erica Chenoweth de l’université de Harvard, et Maria J. Stephan (traduite de l’anglais : Why Civil Resistance Works : The Strategic Logic of Nonviolent Conflict, Columbia University Press, 2011).
[7] Pour avoir un aperçu rapide des collaborateurs de l’ICNC, il suffit de consulter la liste des contributeurs de son journal en ligne : <https://www.nonviolent-conflict.org/contributor/>.
[8] Slovodan Naumovic, « Otpor ! Et La révolution électorale en Serbie », Sioco-Anthropologie (23-24), 2009. p. 41-73, <https://journals. openedition. org/socio-anthropologie/1248>.

Liens utiles :
– Site internet de l’ICNC : <https://www.nonviolent-conflict.org/>.

Ressources sur la résistance civile en français :
– <https://www.nonviolent-conflict.org/resource-library/?fwp_language=french>.
– Journal en ligne de l’ICNC : <https://www.nonviolent-conflict.org/blog/>.

Série d’articles en français du journal en ligne de l’ICNC :
– <https://www.nonviolent-conflict.org/minds-of-the-movement-en-francais/>.

 

Annexe

La Défense civile non-violente : Nouvelle Actualité en France face à la guerre en Ukraine.
Entretien avec l’historien Jacques Semelin
Amber French, ICNC

Amber : La notion de la défense civile non-violente a pris de l’importance suite à l’invasion russe en Ukraine. Pouvez-vous nous parler des travaux qui ont été faits sur ce sujet en France par le passé ? Pourquoi ne travaillez-vous plus sur ce sujet?

Jacques : Il faut remonter au milieu des années 1980 quand de mon côté j’ai commencé ma thèse sur la résistance civile en Europe sous l’occupation nazie. Jean-Marie Muller avait obtenu des financements du ministre de la défense pour faire une étude de la faisabilité de la défense civile non-violente en France. Ça ne s’était jamais fait auparavant ici. Il y avait quelques recherches en Europe, au Pays Bas, en Suède, pour le gouvernement j’entends. Nous avons consulté beaucoup de gens et écrit un rapport sur ce qu’on a appelé finalement la dissuasion civile. C’était proche de ce qu’avait fait Gene Sharp (civilian-based defense). Nous avons choisi la notion de dissuasion civile comme complémentaire à la dissuasion nucléaire.

Nous avons travaillé avec des militaires, à l’échelon du premier ministre.
Notre livre est paru en 1985. Nous avons proposé trois options de la dissuasion civile : complémentarité, recours, et options. Nous avons organisé un colloque à Strasbourg autour de ce rapport, avec les experts sur les questions, Adam Roberts, Gene Sharp, Théodore Ebert. C’était une vraie réussite, nous avons fait un livre sur ce colloque. C’est vraiment dommage qu’aucun de ses ouvrages n’ait été traduits.

C’était une vraie nouveauté pour la France. Il faut se rappeler que nous étions encore dans le contexte de la guerre froide. Nous étions dans l’hypothèse d’une possible agression de l’Union soviétique en Europe occidentale. C’est pourquoi les militaires, le ministre de la défense de l’époque Charles Hernu s’intéressaient à notre travail.

Cela me semble vraiment essentiel, car nous avons rencontré des grands penseurs dans la dissuasion nucléaire, comme le Général Lucien Poirier. Ces experts militaires étaient étonnés de notre travail, même s’ils n’y croyaient pas. C’était un moment important.

Aprés la chute de l’Union soviétique, notre étude sur la dissuasion civile n’a plus été un intérêt véritable des militaires.

Amber : En parlant de la guerre, que souhaitez-vous pour l’Ukraine cette année ? Pourquoi cette question divise-t-elle tant la communauté de la non-violence en France ?

Jacques : C’est normal, ça a été souvent le cas [que les guerres divisent les chercheurs]. Il apparaît des perspectives, des visions de la non-violence qui sont proches du pacifisme, dans la mesure où on affirme que toute guerre est injuste, « une folie meurtrière », pour citer un article récent d’Alain Refalo [Ref : <https://alainrefalo. blog/2023/02/20/ukraine-une-guerre-juste/>]. Ce qui est mis en avant dans ces visions-là, ce sont les conséquences en termes de destruction de vies, des deux côtés et je pense qu’on pourrait y rajouter destruction de la nature, puisque le territoire ukrainien est certainement détruit.

Un mot qui n’apparait pas dans l’article d’Alain Refalo est celui de liberté.
Or, ce mot liberté, il est fondamental pour les Ukrainiens. Ils se battent pour leur liberté, de ne pas être asservis par les Russes ; et je dirais aussi qu’ils se battent pour notre propre liberté, puisqu’on ne sait jusqu’où va aller la volonté de M. Poutine, d’avancer vers l’ouest et aussi de conquérir d’autres territoires anciennement soviétiques.

Cette résistance armée, elle est d’ailleurs justifiée par des militants non-violents ukrainiens. Je pense à cet article publié voici une quinzaine de jours par un militant non-violent ukrainien qui décrit comment il a décidé de se faire soldat pour défendre son pays et sa famille.

Est-ce que les résistances ukrainiennes se limitent à une résistance armée ? Certainement pas ! Il faut aussi prendre en compte la résistance civile, leur résistance civile. Elle a deux objectifs : le premier, c’est de soutenir les soldats ukrainiens, car plus la population ukrainienne se reconnait dans la défense acharnée que font les soldats ukrainiens du territoire, et plus ceux-ci vont conserver le moral, car le pays les soutient. La résistance civile est fondamentale pour exprimer une sorte de cohésion de la nation ukrainienne.

Il y a une autre dimension de la résistance civile : l’objectif civil, proprement dit. Ces objectifs civils, ce sont des réponses directes à M. Poutine, puisque M. Poutine dit qu’il veut détruire l’âme ukrainienne. Il veut montrer que l’âme ukrainienne n’existe pas. Ce qu’il veut imposer, c’est l’âme russe. Donc tout ce qui va contribuer à la défense des valeurs de l’âme ukrainienne par la résistance civile est absolument central dans cette résistance contre M. Poutine. Cette résistance civile a plusieurs dimensions. Elle se traduit dans l’éducation des enfants avec un esprit ukrainien. C’est tellement important de noter que M. Poutine a fait enlever des enfants ukrainiens pour les éduquer à l’âme russe. Il se traduit aussi dans la culture, comme vous le savez bien avec tout ce qui se passe pour la défense des musées, dans les littératures, des arts, etc. [Réf l’article d’Amber French et Olga Sagaidak : <https ://www.nonviolent-conflict.org/blog_post/cette-guerre-est-une-guerre-des-cultures-le-monde-de-lart-un-leader-de-la-lutte-non-violente-contre-loccupation-en-ukraine/>].

C’est une dimension de résistance civile qui est autonome mais complémentaire à la résistance armée. Donc, on est dans une situation où on peut soutenir la résistance armée en envoyant des armes et on peut soutenir la résistance civile en essayant de faire tout ce qu’on peut pour soutenir les enseignants, les artistes, tous ceux qui sont créateurs de la culture ukrainienne, aussi.

Cette position-là, c’est évidemment la mienne, je l’ai toujours défendue dans mes travaux, en particulier en travaillant sur le nazisme [Réf : Sans armes face à Hitler]. Aider à sauver les juifs pendant la seconde guerre mondiale était un objectif fondamental, puisque Hitler avait lancé une guerre contre les juifs. Donc, il s’agissait d’en sauver le plus possible.
Mais cette survie des juifs ne pouvaient être définitive que si les alliés occidentaux mais aussi soviétiques d’ailleurs, réussissent à détruire le pouvoir nazi. Il y a une sorte de complémentarité dans cette époque de la seconde guerre mondiale, et il y a aussi cette complémentarité aujourd’hui avec la résistance civile et la résistance  armée dans la situation actuelle avec la guerre en Ukraine.

Le travail sur la défense civile non-violente, ou la dissuasion civile que nous avons faite en 1985 – je trouve que cette actualité tragique remet au premier plan ce type d’étude (qui rejoint d’ailleurs le travail de Gene Sharp sur la civilian-based defense) mériterait d’être à nouveau discuté, revu, réactualisé. De sorte que les Européens de l’ouest mais aussi du centre-est mettent en place un dispositif, au niveau des institutions, des mesures de non-coopération et de préparation d’une possible agression russe. Il y a à peine une semaine, j’ai reçu une demande d’un collègue allemand de vouloir traduire notre livre sur la dissuasion civile en allemand pour réfléchir aux formes de défense civile non-violente qu’ils pourraient mettre en place dans leur propre pays.

Notre livre a été à l’époque le best-seller de la Fondation pour les études de défense nationale (FEDN). Sa dernière partie était pragmatique et proposait des idées pour développer l’esprit de défense… Gene Sharp dans ses travaux sur la question était très général, il n’y a que les Européens qui peuvent parler de notre contexte spécifique.

L’article original est accessible ici