Aujourd’hui Robert Badinter nous a quittés après une vie bien remplie. C’est une grande perte. La France honorerait sa mémoire en prolongeant son oeuvre et s’honorerait elle-même en supprimant, après la guillotine, les armes nucléaires. Il avait été saisi du sujet le 5 octobre 2021.  Nous partageons ici le contenu d’une lettre envoyée par l’ACDN (Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire).

Objet : Abolition de la peine de mort.
Demande d’entrevue.
PJ : Proposition de Loi référendaire

Monsieur le Ministre,

Permettez-moi, à l’occasion du 40e anniversaire de l’adoption de la loi ayant aboli la peine de mort, de vous exprimer ma profonde gratitude pour votre action déterminée et déterminante en faveur de ce progrès humain dans la législation de la République Française.

Vous vous êtes réjoui d’être l’un des rares humains ayant pu assister à l’aboutissement du principal combat de leur vie. J’aimerais bien pouvoir en dire autant pour ce qui me concerne, car le combat que je poursuis depuis 35 ans, c’est-à-dire depuis que j’ai entendu Mikhaïl Gorbatchev dire « Plus aucune arme nucléaire d’ici l’an 2000 ! » est bien loin d’aboutir. Pire : l’objectif ne cesse de reculer.

D’après le Bulletin des savants atomistes qui gère symboliquement l’Horloge de l’Apocalypse, nous sommes à 100 secondes de minuit, c’est-à-dire que nous n’en avons jamais été aussi près depuis 1945. Les effets du réchauffement climatique s’ajoutent à la reprise de la course aux armements nucléaires et conventionnels -jamais l’humanité n’a dépensé autant d’argent pour les armes et pour la guerre- et rendent la situation de plus en plus instable. À tout moment, nous pouvons basculer dans l’horreur.

Ceci donne à penser que votre œuvre, reposant sur le principe du respect de la vie humaine, devrait voir son application grandement étendue, et que vous pourriez y contribuer si vous le décidiez.

En effet, vous avez obtenu l’abolition en France de la peine de mort à l’échelon individuel. Mais pas l’abolition de cette peine de mort collective que préparent les armes nucléaires. La France a remisé la guillotine, mais elle a, depuis la création du Commissariat à l’Energie Atomique en 1945, consacré l’équivalent de plus de 300 milliards d’Euros à développer ces instruments de crime contre l’humanité que sont les armes atomiques, et elle consacre chaque année entre 5 et 6 milliards d’Euros à les perfectionner.

Ce sont bien des instruments de crime contre l’humanité.

Dans sa Résolution 1653 XVI du 24 novembre 1961, l’Assemblée générale de l’ONU, « considérant que l’emploi d’armes nucléaires et thermonucléaires entraînerait pour l’humanité et la civilisation des souffrances et des destructions aveugles dans une mesure encore plus large que l’emploi des armes que les déclarations et accords internationaux susmentionnés proclamaient contraires aux lois de l’humanité et criminelles aux termes du droit international », a déclaré formellement que « tout Etat qui emploie des armes nucléaires et thermonucléaires doit être considéré comme violant la Charte des Nations Unies, agissant au mépris des lois de l’Humanité et commettant un crime contre l’Humanité et la civilisation. »

Le 4 mai 1962, à l’issue du Conseil des ministres, Alain Peyrefitte, alors porte-parole du gouvernement, posa la question à Charles de Gaulle : « « Des centaines de milliers de morts, des femmes, des enfants, des vieillards carbonisés en un millième de seconde, et des centaines de milliers d’autres mourant au cours des années suivantes dans des souffrances atroces, n’est-ce pas ce qu’on appelle un crime contre l’humanité ? » Le Général lève les bras. Ce n’est pas son problème. » (C’était de Gaulle, T 1, p 165)

Mais la Constitution du 4 octobre 1958 elle-même donne tort au fondateur de la Ve République. Selon elle, « le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 » (Préambule, premier alinéa).

Toujours en vigueur dans notre Constitution, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, considérant que « l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements », fait obligation « à tous les Membres du corps social » d’avoir constamment à l’esprit « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme », et de comparer « à chaque instant » « les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif avec le but de toute institution politique » (Déclaration, premier alinéa).

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. » (Déclaration, Article 2) Tous les membres et toutes les autorités de la République doivent constamment veiller au respect des droits de l’Homme.

L’abolition de la peine de mort, inscrite dans la Constitution (article 66-1) est également inscrite dans la Convention européenne des droits de l’Homme et dans son protocole n°13 du 3 mai 2002 relatif à l‘abolition de la peine de mort en toutes circonstances, même en temps de guerre, tous deux signés par la France.

Ainsi, l’arme nucléaire, instrument de crime contre l’humanité, est contraire au droit international et à la Constitution française. Elle n’a pas sa place dans la panoplie de la République. Tel est le sens de la Proposition de Loi référendaire, actuellement signée par 52 membres du Parlement, que je vous prie de trouver en pièce jointe.

Je vous serais reconnaissant, Monsieur le Ministre, de vous exprimer sur ce sujet, et fort obligé si vous acceptiez de me recevoir pour en parler.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Jean-Marie Matagne
Docteur en Philosophie
Président de l’Action des Citoyens
pour le Désarmement Nucléaire (ACDN)