Le matin du 25/12 encore, Prague s’est réveillée sous le choc des terribles violences qui ont secoué le pays dans l’après-midi du 21 décembre.

Par Sandro Curatolo

Un jeune homme de 24 ans s’est introduit dans la faculté de philosophie de l’université Carolina, située dans le centre-ville, et a ouvert le feu sur des étudiants et des professeurs, tuant quinze personnes et blessant gravement beaucoup d’autres.

Après avoir tué son père, le jeune homme s’est rendu à l’université, où il a tenté de faire le plus grand nombre de victimes possible, allant jusqu’à tirer sauvagement depuis une fenêtre donnant sur une rue animée du centre-ville.

La population a du mal à croire qu’un tel événement, qui rappelle le massacre du lycée Columbine aux États-Unis, ait pu se produire dans un pays apparemment si paisible. Malgré le grand tapage fait par les faiseurs d’opinion, il est difficile de comprendre le lien entre la situation actuelle et le massacre qui a eu lieu.

On se demande comment il est possible que quelque chose de semblable puisse se produire dans la paisible République tchèque… Les hommes politiques nationaux et internationaux rivalisent pour se dire choqués par ce qui s’est passé. Pourtant, il semble qu’une sorte d’amnésie collective les empêche de saisir le lien entre les événements.

Le débat public ne tient pas compte de certains facteurs qui pourraient aider à mieux interpréter à la fois les origines de ce qui s’est passé et les dangers futurs.

Tout d’abord, dire que la République tchèque est un « pays calme » est assez discutable, étant donné qu’elle est l’un des pays les plus actifs dans la vente (légale et illégale) d’armes « légères ». Il est difficile de trouver un conflit, un coup d’État ou un attentat au cours des dernières années dans lequel la République tchèque n’a pas été activement impliquée dans les ventes d’armes. Il convient donc de réévaluer cet aspect.

Autre fait marquant, la République tchèque a récemment modifié sa Constitution et ses lois pour faciliter la possession et l’utilisation d’armes à feu par la population, invoquant un prétendu besoin de défense en cas d’attaque terroriste. En bref, les Tchèques ont remis en cause les règles européennes limitant la possession d’armes semi-automatiques par les civils. L’ancien ministre de l’intérieur Milan Chovanec a déclaré : « Nous ne voulons pas désarmer nos citoyens à un moment où la situation de la sécurité en Europe s’aggrave ». Aujourd’hui, il aura matière à réflexion.

Un autre aspect qui mérite réflexion est la campagne de terreur et d’insécurité très importante qui a été menée au cours des quinze dernières années, en essayant de convaincre la population du « danger d’invasion » et de la nécessité absolue de se défendre. On est passé d’une propagande sur la nécessité de se défendre contre le danger islamique à une propagande sur la nécessité de se défendre contre le danger russe. Ces affirmations ne reposent sur aucune base factuelle, mais après qu’elles aient été soigneusement martelées, cela n’a guère d’importance. Le fait est que la population a été fortement influencée à cet égard. Le projet de « militarisation » de ce pays est en cours depuis des années.

Un exemple presque pathologique de cette tendance a été la campagne de l’armée (qui dure depuis des années) dans les écoles primaires et secondaires, où des soldats montrent aux enfants des armes et la manière de les utiliser, les font les essayer, et expliquent la nécessité de défendre le pays et l’importance du rôle de l’armée et des armes à cette fin.

A l’occasion du passage de l’exercice US Dragoon Ride (qui est passé par Prague en 2015, où les chars américains se sont promenés librement dans la ville), les portes des écoles ont été ouvertes à l’armée américaine et les enfants ont pu visiter les chars, voir de près les armes les plus modernes, etc. Bref, une véritable domestication à la guerre est en cours depuis quinze ans. Le garçon qui a ouvert le feu hier sur ses camarades d’université avait peut-être manipulé sa première arme semi-automatique entre les murs de sa classe.

L’exaltation de la défense armée s’est accélérée avec le conflit en Ukraine. La République tchèque a été l’un des plus ardents défenseurs de la nécessité d’armer l’Ukraine.

En République tchèque, il existe des sites où l’on peut légalement acheter des armes pour les donner à l’Ukraine. On peut aller en ligne et acheter une grenade ou une mitrailleuse à donner. Paradoxalement, le symbole de la paix apparaît souvent sur ces sites. En clair, le message est le suivant : « La paix se fait avec des armes ».

Tout cela se déroule parallèlement à une sorte de diabolisation et de ridiculisation du pacifisme, dans un débat qui a d’ailleurs fini par déterminer la dernière élection présidentielle, qui s’est soldée par l’élection d’un ancien général de l’OTAN. Cela semble être le couronnement d’une politique menée depuis des années. Pour finir, le peuple tchèque, qui a tendance à être pacifique et très modéré, a décidé d’être dirigé par un militaire.

Compte tenu de la situation actuelle et des pressions qui s’exercent, l’événement d’hier pourrait susciter une réflexion plus approfondie. Malheureusement, la synthèse qui en sera faite se concentrera sur la nécessité de renforcer la sécurité, suggérant des détecteurs de métaux à l’extérieur des écoles ou encore la possibilité pour les élèves de porter des armes en classe pour se défendre en cas d’attaque. Cet événement sanglant se terminera donc par des funérailles nationales et une forte augmentation des dépenses de défense.

Une défense qui, jusqu’à présent, n’a servi qu’à rendre ce pays plus craintif et plus insécurisé.

 

Europe for peace

 

Traduction, Evelyn Tischer