Je me nomme Hadjira. Je suis née en Kabylie il y a 65 ans, issue du peuple berbère qui a pris naissance dans toute l’Afrique du Nord, et également dans les îles Canaries.
Ceux de la génération de mes grands parents sont des rescapés de plusieurs tentatives de génocides.
La richesse de mon peuple et sa détermination à rester libre et debout lui a valu bien des sacrifices. Malgré les incendies criminels dans lesquels des centaines ont péri, il reste soudé et s’entraide avec beaucoup de courage et de dignité. (plus d’informations sur les Kabyles et Berbères sur Ça m’intéresse)
Le village Kabyle
L’organisation sociale des villages de Kabylie était un exemple de démocratie laïque qui a suscité bien des débats : ‘Thajmaïth’, pluriel ‘Thijmouya’, ou ‘Larch’, pluriel ‘Larach’, ont pu fonctionner efficacement pendants des siècles, sans policier, ni gendarme, ni militaire, ni garde champêtre, etc.
Aujourd’hui, dans les discussions, il y a une confusion entre les organisations et les fonctions ancestrales authentiques, qui n’ont certes plus cours aujourd’hui, mais dont il en subsiste quelques bribes, avec les organisations et fonctions introduites par les colonisateurs.
‘Lamin’ était un personnage clef dans l’organisation du village en Kabylie, président de Tajmaïth, il n’est pas un élu à proprement dit, il est désigné parmi les ‘Teman’ – pluriel de ‘Tamen’ – membres de cette dernière, représentant les groupes de familles ‘Adhroum’ – au pluriel ‘Idherman’ – c’est à dire quartiers du village. La nomination du Lamin lui confère un pouvoir étendu et renforce le respect de tous les villageois.
La durée de son mandat est indéterminée, elle dépend de sa capacité à conserver ses facultés physiques, mentales et aux différents facteurs liés à ses nouvelles alliances et à celles de ses proches : mariages par exemple. Dès qu’intervient un élément nouveau qui pourrait mettre en doute ces capacités, facultés ou intégrité, il demande à démissionner de son poste.
Le choix du lamin par l’assemblée de Tajmaïth se justifie et tient compte :
- d’une certaine légitimité historique : ancienneté de sa famille dans le village et la probité de celle-ci dans le village et dans la région ;
- du nombre de fois où il a été sollicité par les villageois pour servir de témoin et de médiateur, dans les partages des biens, des propriétés et dans les conflits ;
- de sa parfaite maîtrise de l’ensemble des règles du ‘quanoun’ et des traditions ;
- de sa disponibilité dans ‘Tichemliyine’, pluriel de ‘Thachemlith’ : volontariat ;
- de sa parfaite mémorisation des coutumes, des traditions, des alliances, des contrats, des statuts des familles, du patrimoine culturel, artistique, littéraire, architectural…
- du nombre de fois ou il fut sollicité comme confident.
Conseiller, médiateur, homme de confiance, dépositaire de la mémoire collective, protecteur intègre du quanoun et du code de l’honneur (annîf) qui assurent la sécurité des personnes, des biens, des familles, des communautés parentales … les louman (pluriel de lamin) ont maintenu pendant longtemps les mémoires des villages et de la Kabylie, jusqu’aux environs du début de la révolution algérienne en 1954.
Un idéal de démocratie
Ernest Renan, historien, philosophe et écrivain français (1823-1892) disait après avoir lu Hanoteau et Letourneux dans « La Kabylie et les coutumes kabyles anciennes » que l’organisation politique kabyle représentait « l’idéal de la démocratie, telle que l’ont rêvée nos utopistes ». Est-il besoin de rappeler que bien des États construisirent leur démocratie à l’exemple de l’assemblée du village de Kabylie.
C’était, en effet, un modèle de démocratie où tout ce qui composait l’ensemble des lois et règles de la société Kabyle, était unique en son genre. Citer quelques exemples serait abuser de cet espace mais je rajouterais simplement ceci : « Lors de l’assemblée générale du village où tous les citoyens majeurs et valides étaient tenus de se présenter, celui qui ne prend pas la parole alors qu’il est connu pour son savoir, est mis à l’amende, et celui qui ne sait pas grand-chose, s’il ose prendre la parole, est aussi passible d’une amende. Si seulement cet exemple d’organisation pouvait servir de nos jours. Merci de nous rappeler toute la sagesse de nos aïeux. » Aomar. M-Sahel (Chroniqueur)
Lorsque les Français sont arrivés en Kabylie en 1857, ils ont progressivement étudié les traditions et coutumes prévalant dans la société, jusqu’à ce qu’ils aient constaté que la région de Kabylie n’avait ni prisons, ni tribunaux, ni forces de l’ordre ; néanmoins, ils vivaient en paix, en sécurité et leur grande force était bien la discipline.
Ils étaient surpris par cette société organisée équivalente à celle des États occidentaux les mieux institués.
Ils réalisèrent que le secret résidait dans la force, la solidité et l’enracinement de la structure Tajmaât. Ce système coutumier régnait dans tous les villages Kabyles, dont l’organisation était tellement efficace, presque infaillible, dans la gestion des affaires courantes et le règlement des conflits entre citoyens, qu’il n’y avait ni clôtures pour protéger les biens (champs, vergers…), ni vols, ni meurtres, ni forces de sécurité.
Pour contrer cette réglementation et briser Tajmaât, les autorités françaises avaient publié un décret en 1868, interdisant aux Kabyles de recourir à Tajmaât, et au début de 1872, plusieurs tribunaux avaient été créés à Tizi Ouzou, Ain El Hammam, Béjaïa, Akbou, Sétif, Bordj…
Les français continuaient à changer et déformer les traditions et coutumes kabyles, car ils étaient persuadés que tant qu’ils seraient gouvernés par Tajmaât, la cohésion de la communauté villageoise serait solide et le contrôle sur eux serait difficile.
Malgré les efforts déployés par le colonialisme pour casser la structure, les Kabyles restèrent fidèles et ne recourent jamais aux juridictions instituées par la France.
N’est-il pas le moment de retourner à nouveau à cette organisation ancestrale !?
Propos d’Hadjira