Outre ses responsabilités à la tête de la Direction de l’information et de la communication de l’Union Africaine, l’organisation internationale et régionale dont le siège est à Addis Abeba (2005-2015), Habiba Mejri Cheikh, coprésidente du think tank I-Dialogos, avait auparavant, travaillé comme journaliste  au sein de nombreux organes de presse, ainsi qu’à l’Agence TAP (Tunis Afrique Presse). Deux fois chargée de mission, porte-parole, aux cabinets des ministres des affaires sociales et de la culture, elle voue un attachement indéfectible à son titre de journaliste.  Aujourd’hui, elle pilote l’initiative   Presse/Medias  I-Dialogos. 

Quelles sont nos valeurs partagées devenues ? Parlons en !

MEDIAS ET DEMOCRATIE 

“A une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire.”, disait Georges Orwell, en 1984. Aujourd’hui, les médias, tous supports confondus, nous disent-ils la vérité ? Les médias mettent-ils en danger la démocratie ? Une simple petite vadrouille dans les méandres des médias du monde, plus particulièrement ceux des grandes démocraties de notre temps, nous laisse pensifs. Notre monde s’enlise dans la falsification, la supercheries. Les médias mettent-ils en danger la démocratie ?, le mensonges et les menteries. C’est à croire que nous sommes en plein dans l’univers Orwellien.

Terrorisme médiatique

Ouvertement embrigadés, les médias constituent une des techniques modernes, peut-être la première et certainement la plus efficace, de la velléité de contrôle des individus. Ils s’appliquent, beaucoup mieux que ne le faisait le « Parti » imaginaire de Georges Orwell, à éliminer toute idée « hérétique. » Certainement pas tous, mais une grande partie d’entre eux et pas des moindres. Lorsque CNN, pour des raisons obscures, tombe dans les fake news, et le président des Etats Unis reprend aussitôt ses allégations, la liberté tremble, se meurt. Ce n’est pas le seul exemple à citer et certainement pas le dernier dont nous gratifient, quotidiennement les médias dominants.

Big Brother, n’a jamais été aussi réel, tangible et patent. Il a repris du service notoirement et explicitement sur les ondes et les plateaux des plus grands médias internationaux, ceux qui se targuent d’être les chantres de la liberté d’expression et d’opinion et les porte-flambeaux de la démocratie et en qui nous avions très longtemps cru. Ne pas le voir, ne pas le dire, sans pour autant tomber dans l’accusatoire et le jugement, ne sert pas la démocratie.

La hiérarchisation des vies humaines, les deux poids deux mesures et les double standards médiatiques y sont érigés en règle absolue. Il y aurait les maitres et les éternels élèves, ceux qui commandent et ceux qui doivent s’exécuter. Il y aurait même ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui doivent disparaitre. La bombe aveugle et assassine lorsqu’elle fauche un Ukrainien, devient « droit à se défendre », lorsque la victime est Palestinienne. C’est ainsi et pas autrement, personne ne doit oser se demander pourquoi, sinon il sera très vite catapulté dans les théories du complot, ou bien, et c‘est encore plus net, plus propre, taxé de terrorisme ou d’antisémitisme et réduit au silence médiatique.

Crimes de la pensée

La « police de la pensée » opère sur les écrans, à visage découvert. Les « crimes de la pensée » pullulent sur les grandes chaines internationales de télévision, mais également et en beaucoup plus intraitable et en plus grand nombre, sur les plateformes internet, celles qui ont jadis promis d’élargir le champ de la liberté en donnant une voix aux sans voix.

Des censeurs zélés et froids, manifestement atteints par ce que Hannah Arendt désigne par la « banalité du mal », limitent, à tour de bras, la parole ou carrément ordonnent la fermeture de comptes de citoyens-journalistes, dès qu’ils s’aventurent à sortir de « la dystopie totalitaire. » Une idéologie oppressive œuvre sans relâche à épurer toutes les pensées qui lui sont inconfortables. La liberté d’opinion et d’expression, fondement, nous a-t-on appris, de la démocratie, doit désormais impérativement s’appuyer sur l’obéissance aveugle aux couvertures biaisées et unilatérales, servis par les représentants des grandes entreprises médiatiques.

Avec les progrès de l’Intelligence Artificielle, les risques prennent des formes diverses et autrement plus pernicieuses. Dans ce monde fortement interconnecté, personne ne sera épargné.

Le Forum sur la loi, les droits et la sécurité nationale des Etats Unis-Just Security (www.justsecurity.org) nous apprend, par exemple, que la police de Memphis, (USA) a créé un faux profil Facebook pour se lier d’amitié avec les militants de Black Lives Matter et recueillir des informations auprès d’eux. Plus grave encore (peut-être pas !), dans la plus grande démocratie du monde, les préjugés intégrés aux outils algorithmiques bafouent les droits de certains individus. En effet, le même Forum indique que des utilisateurs d’Instagram ont récemment découvert que l’étiquette terroriste était ajoutée à leur biographie en anglais si leur biographie en arabe comprenait le mot « Palestinien », l’emoji du drapeau palestinien ou encore l’expression arabe courante « louange à Dieu ».

Décor démocratique

Face à ces faits et bien d’autres, peut-on encore parler de démocratie ? Une démocratie qui piétine les libertés, notamment les deux libertés les plus fondamentales que sont la liberté d’opinion et d’expression, serait-elle démocratique ? Sinon, de quelle démocratie parle-t-on ? La démocratie serait-elle, comme l’affirmait le professait Alain Badiou, « rien d’autre qu’un outil de propagande du capitalisme. » ? Une tromperie des bonnes masses ? Beaucoup le pensent, non sans fondements d’ailleurs.

Des fake news à la manipulation, les médias dominants ne se soucient manifestement plus des principes déontologiques. Ils façonnent l’opinion publique hors contexte, hors logique. La seule démocratie qu’ils prêchent et œuvrent sans relâche à imposer, y compris par la violence, se réduit à une constitution, un multipartisme de façade, des élections et à la rotation du pouvoir. Un simple décor démocratique en somme.

La lutte contre l’occupation, l’autodétermination, la souveraineté sur les ressources nationales, l’échange inégal et injuste et même la toute simple libre circulation des personnes, sont des concepts quasi-absents de leur lexique, des questions mineurs qu’ils ne font accéder qu’occasionnellement au débat public.

Mille et une raisons expliquent ces freins à l’émergence d’un journalisme qui s’extrait des clichés. La liste est longue et va, malgré les différentes lignes éditoriales, de l’absence de culture et de recul historique, à la fascination pour l’anecdote, du manque de formation, au poids considérable des réseaux sociaux qui constituent l’unique source ou s’abreuvent les jeunes journalistes. La proximité de certains médias des pouvoirs politique, économique et idéologique enfonce davantage le clou.

Le constat perturbe. Même si les médias occidentaux ne forment pas un bloc monolithique, même si certains se démarquent, il n’en demeure pas moins qu’ils véhiculent, dans toute leur diversité, via leurs journalistes, une conception réductrice, qui n’intègre guère la diversité philosophique, culturelle et spirituelle de l’ensemble des peuples du monde.

Il n’y a pas lieu de chercher un coupable et surtout pas seulement du côté des professionnels des médias. Beaucoup essaient, non sans mal, de faire correctement leur métier et certains réussissent même à nous informer. Notre propos plaide pour la construction d’un discours de tolérance et de dialogue respectueux qui fera avancer l’agenda de la paix dont notre monde a grandement besoin. Une couverture médiatique équilibrée et professionnelle qui ne met pas en péril la démocratie. Rien de plus !!!

Habiba Mejri

Coprésidente de I-Dialogos.

www.I-Dialogos.com  

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