« At the same time, the onslaught on Gaza by Israeli forces over these 100 days has unleashed wholesale destruction and levels of civilian killings at a rate that is unprecedented during my years as Secretary-General. The vast majority of those killed are women and children. Nothing can justify the collective punishment of the Palestinian people. The humanitarian situation in Gaza is beyond words. Nowhere and no one is safe »
Déclaration (voir lien) du Secrétaire Général de Nations Unies, 15 janvier 2024
L’article 14 de cet instrument multilatéral habilite en effet tout État Partie à déférer au Bureau du Procureur de la CPI toute situation susceptible de présenter un intérêt, en précisant que :
« Renvoi d’une situation par un État Partie
1. Tout État Partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d’enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs Statut de Rome de la Cour pénale internationale 12 personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes.
2. L’État qui procède au renvoi indique autant que possible les circonstances pertinentes de l’affaire et produit les pièces à l’appui dont il dispose ».
Le Mexique est un État Partie au Statut de Rome depuis octobre 2005, le Chili depuis juin 2009, et l’État de Palestine est devenu officiellement un État Partie en janvier 2015.
En Amérique Latine, il convient de noter que le Venezuela a été le premier État de la région à ratifier le Statut de Rome au mois de juin 2000 ; le dernier État à l’avoir ratifié est le Guatemala (avril 2012), tandis que ni Cuba ni le Nicaragua ne l’ont signé.
Dans le cas de la France, une proposition issue du Sénat circule depuis le 5 janvier 2024 (voir texte de la proposition de résolution) appelant la France à saisir la CPI et invitant notamment
« … le Gouvernement à inclure dans ce renvoi une demande de saisine de la Chambre préliminaire aux fins que soient délivrés des mandats d’arrêt à l’encontre de M. Benyamin Netanyahou et de toute autre personne impliquée, selon l’évolution de l’enquête » (page 28).
Concernant une autre juridiction internationale comme la Cour Internationale de Jsutcie (CIJ), saisie sur le sujet par l´Afrique du Sud le 29 décembre 2023, des experts belges ont sollicité récemment à leurs autorités d’intervenir (voir tribune collective parue dans La Libre, Belgique le 17 janvier 2024). La CIJ a annoncé que la lecture de son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires aura lieu le 26 janvier (voir communiqué de presse en langue française).
On notera au passage qu´une déclaration conjointe de professeurs et d´experts belges en droit international public sur le drame qui se vit en territoire palestinien (voir texte) en date du 13 novembre 2023, indiquait que:
« 5. Compte tenu du risque de génocide, l’obligation de le prévenir, due conformément à la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, est dès à présent déclenchée »
Cette déclaration collective faite au nom de la Société Belge pour le Droit International (SBDI) dénote un sensibilité bien plus accrue que celles d’autres sociétés européennes réunissant des spécialistes du droit international public. Sauf erreur de notre part, on ne recense, antérieures au texte de la SBDI, que cette déclaration d´experts espagnols (voir texte) et cette autre adoptée au nom de la Società Italiana di Diritto Internazionale (SIDI) du 13 octobre 2023.
La CPI et la situation dans le territoire palestinien: un bref rappel
Comme on le sait, la CPI (voir site officiel) est une juridiction internationale créée en 1998 et qui a commencé à fonctionner en mars 2003, suite à l’entrée en vigueur du Statut de Rome en 2002.
Elle est compétente pour établir la responsabilité pénale des individus qui, dans l’exercice de leurs fonctions, ont suscité, ordonné ou commis des actes considérés comme particulièrement graves, tels que le génocide (article 6 du Statut de Rome), les crimes contre l’humanité (article 7) et les crimes de guerre (article 8).
Le 5 février 2021, une Chambre Préliminaire de la CPI a adopté une décision historique (voir texte intégral) déclarant la CPI parfaitement compétente pour enquêter ce qui se passe sur l’ensemble du territoire palestinien, sans exception d’aucune sorte. Dans ses conclusions, on peut notamment lire (page 60) que:
« FINDS that Palestine is a State Party to the Statute;
FINDS, by majority, Judge Kovács dissenting, that, as a consequence, Palestine qualifies as ‘[t]he State on the territory of which the conduct in question occurred’ for the purposes of article 12(2)(a) of the Statute;
and FINDS, by majority, Judge Kovács dissenting, that the Court’s territorial jurisdiction in the Situation in Palestine extends to the territories occupied by Israel since 1967, namely Gaza and the West Bank, including East Jerusalem ».
Comme il est devenu habituel lorsqu’il s’agit de la Palestine et de ses succès au plan du droit international, cette décision de la CPI a été peu relayée par les grands médias internationaux : nous renvoyons à notre brève analyse sur sa portée, suite à une campagne au plus haut niveau israélien visant à la discréditer (Note 1).
Il est à noter que les Etats-Unis se sont sentis obligés de disqualifier immédiatement cette décision préliminaire de la CPI (voir communiqué officiel), confirmant – peut-être involontairement – les craintes profondes d’Israël quant à l’existence même de la CPI, notamment par rapport aux différentes opérations menées dans le territoire palestinien occupé (Note 2). Un second communiqué des Etats-Unis du 3 mars 2021, bien plus étayé (voir texte) lors de l´ouverture d´une enquête par le Bureau du Procureur de la CPI, valide l’affirmation antérieure.
Outre la décision susmentionnée du 5 février 2021 – au demeurant fort peu commentée danss les publications juridiques spécialisées, hormis quelques rares exceptions (Note 3) –, plusieurs informations sur le dossier « Palestine » en cours peuvent être consultées sur ce lien officiel de la CPI.
Les communiqués mexicain et chilien en bref
Dans le communiqué publié par le Ministère des Affaires Étrangères (la « Secretaría de Relaciones Exteriores ») le 18 janvier – et dont voir le texte intégral original en espagnol est reproduit à la fin de cette note – le Mexique signale (traduction libre de l´auteur) que :
« Aujourd’hui, le Mexique et le Chili ont déféré la situation de l’État de Palestine au procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), afin qu’il puisse enquêter sur la commission probable de crimes relevant de sa juridiction ».
Le texte du communiqué mexicain indique également que :
« L’action du Mexique et du Chili fait suite à la préoccupation croissante suscitée par la dernière escalade de la violence, en particulier contre des cibles civiles, et la poursuite présumée de la commission de crimes relevant de la compétence de la Cour, en particulier depuis l’attaque du 7 octobre 2023, menée par des militants du Hamas, et les hostilités qui ont suivi à Gaza.
Par cette action, le Mexique réitère son soutien à la CPI en tant que forum approprié pour l’établissement de la responsabilité pénale internationale individuelle dans les cas les plus graves et les plus pertinents pour la communauté internationale, tout en soulignant l’importance de garantir l’indépendance du procureur de la CPI pour enquêter sur les crimes commis dans le contexte du conflit à Gaza, qu’ils soient commis par des agents de la puissance occupante ou de la puissance occupée.
L’intervention de la CPI revêt une importance particulière à la lumière des nombreux rapports de l’ONU faisant état d’un grand nombre d’incidents susceptibles de constituer des crimes relevant de la compétence de la CPI en vertu du Statut de Rome ».
Pour sa part, dans un communiqué diffusé quelques heures plus tard (dont le texte original en espagnol est également reproduit à la fin de ces réflexions), le Chili indique que :
« Étant donné que le bureau du procureur de la CPI mène actuellement une enquête sur la situation en Palestine, l’objectif de la saisine du Chili est de soutenir le procureur dans son enquête.
« Ce qui nous intéresse, c’est de soutenir l’enquête sur tous les crimes de guerre qui ont pu être commis dans la région, d’où qu’ils viennent, qu’il s’agisse de crimes de guerre commis par des Israéliens ou des Palestiniens et de crimes de guerre qui ont été commis dans le territoire de Gaza, dans les territoires occupés de la Cisjordanie, à Jérusalem-Est et aussi, bien sûr, en Israël », a déclaré le ministre des affaires étrangères.
Il a ajouté qu' »il est important de garder à l’esprit que le droit international humanitaire se réfère aux actions des États et des groupes non étatiques. Par conséquent, il se réfère aux actes commis par l’État d’Israël, mais aussi, bien sûr, aux actes commis par le groupe Hamas à travers les actions terroristes qu’il a menées le 7 octobre de l’année dernière sur le territoire israélien ».
On se doit de noter l’existence de deux communiqués fort distincts, mettant en lumière l’absence d’accord entre les deux Etats quant au contenu de l’annonce à faire: il est vrai que, contrairement au Mexique, le Chili a très vite haussé le ton et décidé de rappeler son ambassadeur à Tel Aviv dès le 31 octobre 2023 (voir communiqué officiel), à l´instar de plusieurs autres Etats en Amérique Latine ainsi que de la Bolivie et de Bélize, qui ont décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec Israël (Note 4).
Israël, les États-Unis et la CPI : l’histoire d’une crainte devenue réalité
Ce qui n’est indiqué dans aucun de ces deux communiqués, c’est que la CPI est compétente pour examiner tous les actes intéressant le Bureau du Procureur commis à l’intérieur du territoire palestinien, qu’ils soient le fait de l’armée israélienne ou bien de groupes armés palestiniens.
Cependant, Israël n’étant pas un État partie au Statut de Rome, la CPI n’est en principe pas compétente pour examiner les actes commis sur le territoire israélien. A moins qu’Israël n’autorise son Bureau du Procureur à ouvrir des enquêtes sur son territoire : une hypothèse que l’on peut d’ores et déjà exclure, compte tenu de la profonde animosité d’Israël à l’égard de la CPI et ce avant même sa constitution en tant qu’organe judiciaire (mars 2003).
Pour un lecteur peu familiarisé avec la CPI. il convient de rappeler qu’il a été écrit dans une thèse de doctorat publiée en France en 2010 que, lors des négociations ayant conduit au Statut de Rome, le chef de la délégation américaine à Rome en 1998 a admis, quelques années plus tard, avoir fait siennes les craintes d’Israël dans la formulation de certaines dispositions du futur Statut de Rome:
» En ce qui concerne Israël enfin, David Scheffer reconnut après Rome que la délégation américaine avait endossé la crainte d´Israël d´être victime d’accusations devant la future Cour en raison de sa politique dans les territoires occupés » (Note 5).
Rappelons aussi qu’après avoir signé le Statut de Rome le 31 décembre 2000, Israël a notifié aux Nations Unies en 2002 sa décision d’annuler les effets juridiques de sa signature, en déclarant (voir note 4 à la fin du statut officiel des signatures et ratifications) que :
« In a communication received on 28 August 2002, the Government of Israel informed the Secretary-General of the following: »…..in connection with the Rome Statute of the International Criminal Court adopted on 17 July 1998, […] Israel does not intend to become a party to the treaty. Accordingly, Israel has no legal obligations arising from its signature on 31 December 2000. Israel requests that its intention not to become a party, as expressed in this letter, be reflected in the depositary’s status lists relating to this treaty. »
Le fait de « retirer » une signature constitue, doit-on le rappeler, un acte inédit dans les annales: aucun précédent n´a été recensé avant 2002 dans un chapitre fort classique du droit international comme l´est le droit des traités, consacré par la Convention de Vienne de 1969. Pour ce qui est de la note israélienne de 2002, il s’agit en fait d’une notification rédigée en des termes identiques à ceux de la note envoyée quelques mois plus tôt par les États-Unis, qui ont également choisi de « retirer » leur signature du Statut de Rome (Note 6).
Il convient de noter que le « retrait » de la signature d’Israël du Statut de Rome a été précédé quelques semaines plus tôt par l’adoption d’un Accord Bilatéral d’Immunité (ou ABI plus connu sous le nom de BIA, de par l’abréviation en anglais) entre les Etats-Unis et Israël: il s’agit d’un accord bilatéral visant à éviter à tout prix que le personnel américain et israélien puissent un jour être transférés à La Haye à la demande de la CPI (voir le texte de l’accord daté du 4 août 2022). Il s’agit de l’un des premiers traités bilatéraux de ce type, que les Etats-Unis ont signé par la suite avec plus de 50 Etats, dont plusieurs en Amérique Latine (voir la liste établie par Human Rights Watch).
Dans la partie intitulée « El costo de no firmar un acuerdo de no entrega (ABI) » d’un article publié en espagnol au Costa Rica en 2013, nous avons eu l’occasion de revenir sur ce qu’a signifié, pour le Costa Rica, la non-signature d’un ABI entre 2003 et 2006 (Note 7).
Une justice internationale de plus en plus sollicitée au vu des proportions du drame humain qui se déroule à Gaza depuis le 7 octobre 2023.
Cette action du Mexique et du Chili devant la CPI intervient moins d’une semaine après la fin des audiences à La Haye (11 et 12 janvier 2024) devant une autre instance juridictionnelle également située dans la capitale néerlandaise, la Cour Internationale de Justice (CIJ) : ces audiences font suite à la requête déposée par l’Afrique du Sud contre Israël le 29 décembre dernier, accompagnée d’une demande urgente de mesures conservatoires (voir texte intégral), invoquant la Convention de 1948 pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide, que nous avons eu l’occasion d’analyser (Note 8).
Dans sa demande détaillée de plus de 80 pages (dont lecture recommandée dans son intégralité), l’Afrique du Sud a examiné ce qui s’est passé depuis la soirée/nuit du 7 octobre à Gaza pour la population civile de Gaza à la lumière du droit international applicable, y compris dans les paragraphes 101-107, en dévoilant l’intention qui se cache derrière la série de déclarations officielles glaçantes faites par de hauts fonctionnaires israéliens.
Dans cette fort intéressante interview publiée le 23 janvier 2024 dans le Magazine+972 en Israël, on y lit que :
« My impression of the Israeli defense was that they appeared unable to deny or refute the accusations, providing only minimal and unconvincing attempts at justification. They appeared unprepared to confront the magnitude of the accusations, and struggled to mount a robust defense, often avoiding the critical evidence provided by the South African legal team — perhaps unaccustomed to being under such scrutiny, and also pressed for time ».
Avec plus de 10 000 enfants ayant perdu la vie à Gaza depuis le 7 octobre (voir le rapport de Save the Children), avec un autre rapport de l’ONG Oxfam faisant état de 250 vies perdues par jour à Gaza, plus de nombreuses autres non enregistrées en raison de blessures graves non soignées, du froid, de la faim, du manque d’eau (voir le rapport), la réalité sur le terrain contredit (et de bien loin) les affirmations faites par les avocats d’Israël à La Haye le 12 janvier dernier. Récemment, la naissance de quelques 20 000 nouveau-nés a été signalés à Gaza depuis le 7 octobre (voir le reportage de RFI), dont les premiers jours, semaines et mois de vie se déroulent sous les bombardements incessants d’Israël sur Gaza.
S’agissant de la CPI, le Bureau du Procureur de cette juridiction internationale a déjà fait l’objet d’un renvoi collectif relatif au drame humain de Gaza depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre 2023 : cette action conjointe déposée le 17 novembre 2023 a été menée par l’Afrique du Sud et coparrainée par le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti (voir le texte intégral). Nous avons également eu l’occasion d’en expliquer brièvement la portée (Note 9).
Alors que le renvoi soumis par l’Afrique du Sud le 17 novembre 2023 a donné lieu à un communiqué de presse du Bureau du Procureur de la CPI le même jour (voir texte intégral), dans le cas du renvoi soumis par le Chili et le Mexique le 18 janvier 2024, aucune réaction du bureau du procureur de la CPI n’a (encore) été observée à la date du 23 janvier.
Un drame qui s’amplifie à chaque nouveau jour de bombardements israéliens sur Gaza.
Dans l’un des avant-derniers rapports produits par les Nations Unies (en date du 17 janvier, dont la lecture intégrale est recommandée), on détaille le niveau de destruction atteint, avec près de 25 000 personnes tuées (principalement des enfants et des femmes) et plus de 61 000 blessées, en notant que chaque nouveau jour de bombardement israélien sur Gaza entraîne la perte de centaines de vies humaines :
« Between the afternoons of 16 and 17 January, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 163 Palestinians were killed, and another 350 people were injured. Between 7 October 2023 and 12:00 on 17 January 2024, at least 24,448 Palestinians were killed in Gaza and 61,504 Palestinians were injured, according to the MoH.
Between 16 January and 17 January, three Israeli soldiers were reportedly killed in Gaza. Since the start of the ground operation, 191 soldiers have been killed, and 1,152 soldiers have been injured in Gaza, according to the Israeli military ».
L’avant-dernier rapport des Nations Unies (au 18 janvier 2024) indique pour sa part que :
« Between the afternoons of 17 and 18 January, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 172 Palestinians were killed, and another 326 people were injured. Between 7 October 2023 and 12:00 on 18 January 2024, at least 24,620 Palestinians were killed in Gaza and 61,830 Palestinians were injured, according to the MoH.
Between 17 January and 18 January, no Israeli soldiers were reportedly killed in Gaza. Since the start of the ground operation, 191 soldiers have been killed, and 1,178 soldiers have been injured in Gaza, according to the Israeli military ».
Enfin, dans ce même dernier état de situation disponible (au 21 janvier 2024, voir le rapport), il est indiqué que :
« Between the afternoons of 19 and 21 January, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 343 Palestinians were killed (178 between 20 and 21 January; 165 between 19 and 20 January), and another 573 people were injured (293 and 280 injuries, as per the same timeframe). Between 7 October 2023 and 12:00 on 21 January 2024, at least 25,105 Palestinians were killed in Gaza and 62,681 Palestinians were injured, according to the MoH.
..//..
« Between 19 January and 21 January, two Israeli soldiers were reportedly killed in Gaza. Since the start of the ground operation and as of 21 January, 193 soldiers have been killed, and 1,203 soldiers have been injured in Gaza, according to the Israeli military« .
Il convient de noter qu’un grand nombre de blessés graves à Gaza sont pratiquement condamnés à une mort certaine, gisant sous les décombres et incapables d’être secourus, seuls et dans le froid. Lorsqu’ils sont secourus, ils arrivent dans des hôpitaux et des abris surpeuplés, souvent totalement ou partiellement détruits, sans électricité ni eau, sans médicaments et sans personnel médical pour les soigner.
Le terme de « génocide » et de l´action intentée par l´Afrique du Sud ont récemment fait l’objet d’une émission de radio en France (France Culture, émission La Matinale du 3 janvier), au cours de laquelle l’intervieweur, quelque peu décontenancé, a prétendu en savoir bien davantage sur la définition de « génocide » en droit international public que l’experte française interviewée. Agacé, il a d’ailleurs clôturé l’émission d’une manière inhabituelle (et, soit dit en passant, très peu professionnelle) : un véritable « couac » du point de vue journalistique (voir à ce sujet le reportage d’Arrêt sur Images du 11 janvier 2024).
Photo de la note de presse du 22 janvier 2024 intitulée « Ireland considers joining South Africa´s ICJ case against Israel », The Cradle.com, disponible ici
Toujours en France, d’un strict point de vue de la stratégie militaire suivie, un spécialiste de questions militaires et commentateur a récemment écrit sur son blog que:
« La situation sur la bande de Gaza est parfaitement désespérante. D’un côté, le gouvernement israélien annonce régulièrement qu’il va enfin sortir de cette opération dévastatrice dont le bilan est parfaitement catastrophique. Mais dans la réalité, rien ne change à ce stade où chaque jour renouvelle son lot de bombardements qui dévastent littéralement la bande de Gaza.
/../
Dans la partie Nord, censée avoir été nettoyée (c’est le terme militaire) par l’armée israélienne, les unités de Tsahal sont régulièrement harcelées par des miliciens qui ont fait des décombres leur refuge. Dans la partie Sud, l’armée affirme vouloir réduire le « quartier général stratégique » du Hamas qui se situerait à Khan Younes, après avoir été vainement cherché à Gaza même puis sous l’hôpital Al Shifa, un QG fantôme qui ne justifie en aucun cas les bombardements opérés sur l’ensemble de la bande de Gaza.
/…/
Si cette opération déclenchée par le gouvernement Netanyahou contre la bande de Gaza continue, le risque d’escalade régional est avéré et le risque pour l’avenir d’Israël est constitué. Il appartient aux alliés d’Israël et à toutes les sociétés qui comprennent que la paix ne se construit pas dans la vengeance, de l’obliger désormais à sortir de cette impasse sanglante et de construire sur ces décombres inutiles l’avenir et la stabilité de cette région » (Note 10).
En guise de conclusion
Compte tenu de l’incapacité répétée d’un organe tel que le Conseil de Sécurité des Nations Unies à ordonner un cessez-le-feu humanitaire à Gaza (en raison du veto américain exercé à deux reprises, et de la menace d’un troisième veto qui explique les faiblesses de la résolution 2720 du Conseil finalement adoptée le 22 décembre 2023, dont le texte est reproduit en intégralité a la fin de notre analyse (Note 11), il était prévisible que d’autres États, tels que le groupe dirigé par l’Afrique du Sud, et maintenant le duo Mexique-Chili conjointement, chercheraient les moyens d’activer les mécanismes juridictionnels à leur disposition, tels que ceux offerts par le Statut de Rome créant la CPI, ou par la CIJ elle-même. D’autres actions de ce type sont susceptibles de voir le jour.
Il s’agit en effet de tenter de freiner la destruction totale à Gaza menée par Israël qui, depuis le 7 octobre au soir, en représailles à l’attaque du Hamas sur son territoire le matin même, poursuit une action punitive collective contre la population civile de Gaza. Ces actions militaires indiscriminées et disproportionnées sont menées en violation flagrante des règles les plus élémentaires du droit international humanitaire.
Dans le même temps, c´est l’ensemble du Moyen-Orient qui est profondément déstabilisé par les réactions en chaîne générées par d’autres Etats et d’autres groupes armés face à l’inaction de la communauté internationale : rarement dans l’histoire une « menace contre la paix et la sécurité internationales » (dont l’endiguement est attendu et constitue la raison d’être d’un organe tel que le Conseil de Sécurité), aura fait l’objet de manœuvres dilatoires aussi singulières de la part des Etats-Unis.
Il convient également de rappeler que le nombre d’États Parties au Statut de Rome adopté en 1998 est de 124 (voir l’état officiel des signatures et ratifications), tandis que le nombre d’États parties à la Convention sur le génocide adoptée en 1948 est de 153 (voir l’état officiel) : en soi, l’inaction et le silence des autres États parties à ces deux instruments multilatéraux soulèvent des questions tout à fait pertinentes.
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Note 1: Cf. (en espagnol) BOEGLIN N., « Corte Penal Internacional (CPI) / Palestina: ¿el fin de la impunidad para los autores de crímenes de guerra cometidos en Palestina? », editée le 5 février 2021 et disponible ici. Le texte a été traduit en langue francaise: intitulé « Palestine / Cour Pénale Internationale (CPI) : à propos de la décision de la Chambre préliminaire du 5 février 2021 », il a été publié le 13 février 2021(et il est disponible ici) ainsi que sur le site de Médiapart en France au mois de mars 2021 (voir hyperlien).
Note 2: Bien des années avant que la Palestine ne devienne un État partie au Statut de Rome (2015), un câble confidentiel de l’ambassade des États-Unis à Tel-Aviv daté du 23 février 2010 (voir le texte intégral), publié par Wikileaks en 2011, indiquait déjà à ses autorités, cette année-là, la crainte profonde d’Israël à l’égard de la CPI, en ces termes : “Libman noted that the ICC was the most dangerous issue for Israel and wondered whether the U.S. could simply state publicly its position that the ICC has no jurisdiction over Israel regarding the Gaza operation”. Le colonel Liron Libman, haut fonctionnaire israélien, était (et est toujours) très au fait des règles du droit international public : il a été pendant de nombreuses années à la tête du département de droit international des forces de défense israéliennes (FDI ou IDF en anglais).
Note 3: Cf. par exemple DUBUISSON F., « Le jugement de la Chambre préliminaire de la CPI du 5 février 2021 statuant sur la compétence territoriale de la Cour en Palestine », Le Club des Juristes, édition du 2 mars 2021, disponible ici; ainsi que JAMAL S., « La compétence de la Cour Pénale Internationale en Palestine : a propos de la décision du 5 février 2021 », Revue Générale de Droit International Public / RGDIP (2021, tome 2), pp. 289-212. Texte diponible ici.
Note 4 : Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israël : à propos de l’annonce par la Bolivie de rompre ses relations diplomatiques avec Israël et du rappel des ambassadeurs pour consultations par le Chili, la Colombie et le Honduras », Blog de la Société Québécoise pour le Droit International (SQDI), édition du 15 novembre 2023, disponible ici.
Note 5: Cf. FERNANDEZ J., La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l’égard de la Cour Pénale Internationale, Paris, Pedone, 2010, p. 172 ainsi que note 614, p. 179. On lira avec le même intérêt la manœuvre frustrée des Etats-Unis pour exclure de la définition du crime de guerre le transfert par un Etat d’une partie de sa population dans un territoire qu’elle occupe (notamment la sous-partie intitulée « 2) une compétence matérielle précises ») aux pp. 171-172.
Note 6: Dans ce même état officiel des signatures et ratifications, il est indiqué (note de bas de page 12 à la fin) que : « In a communication received on 6 May 2002, the Government of the United States of America informed the Secretary-General of the following: This is to inform you, in connection with the Rome Statute of the International Criminal Court adopted on July 17, 1998, that the United States does not intend to become a party to the treaty. Accordingly, the United States has no legal obligations arising from its signature on December 31, 2000. The United States requests that its intention not to become a party, as expressed in this letter, be reflected in the depositary’s status lists relating to this treaty ». Le fait de « retirer » officiellement sa signature d’un traité international en 2002 a constitué une véritable « première » dans l’histoire du droit international public, suivi seulement par Israël (août 2022), le Soudan (août 2008) et la Russie (novembre 2016) en ce qui concerne le Statut de Rome. Le 20 décembre 2022, le Guatemala, pour des raisons inconnues à ce jour et qu’il serait très intéressant de connaître, s’est inspiré de cette pratique inhabituelle, à propos d’un autre traité très différent, cette fois, et de portée régionale : l’Accord d’Escazú portant sur l’environnement et les droits de l’homme. En effet, après avoir signé l’accord d’Escazú en septembre 2018, le Guatemala a notifié aux Nations Unies son intention de ne pas devenir État partie dans des termes très similaires (voir la notification en note de bas de page 1 dans l’état officiel des signatures et ratifications de l’accord d’Escazú).
Note 7: Cf. (en langue espagnole) BOEGLIN N., « A diez años de la entrada en vigor del Estatuto de Roma: breves reflexiones desde una pespectiva latinoamericana », Revista del Poder Judicial, 107, marzo del 2013, pp.13-21. Texte disponible ici. Cf. aussi un article fort détaillé écrit par l´ancien chef de la diplomatie du Costa Rica pendant la période 2006-2010, Bruno Stagno Ugarte : STAGNO B., « Defendiendo la integridad del Estatuto de Roma: los altos y bajos del caso de Costa Rica, 2002-2008” in BOEGLIN N., HOFFMAN J & SAINZ-BORGO J., (Editeurs), La Corte Penal Internacional: una perspectiva latinoamericana, 2014, San José, Universidad para la Paz (Upaz), pp. 303-330.
Note 8: Cf. en espagnol BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito de la reciente demanda interpuesta por Sudáfrica ante la Corte Internacional de Justicia (CIJ) », editée le 29 décembre 2023 et disponible ici .
Note 9: Cf. en espagnol BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito del anuncio hecho por Sudáfrica de una acción conjunta ante la Fiscalía de la Corte Penal Internacional (CPI) », editée le 18 novembre 2023 et disponible ici .
Note 10 : Cf. ANCEL G., « L’Ukraine oblige l’Europe à se réveiller tandis qu’Israël sombre dans le déni », Ne pas subir, Blog de Guillaume Ancel, édition du 20 janvier 2024, disponible ici.
Note 11 : Cf. en espagnol BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito de las maniobras norteamericanas y la reciente resolución S/RES/2720(2023) del Consejo de Seguridad de Naciones Unidas », editée le 2 décembre 2023 et disponible ici.
Matériel / Documents:
Document 1 (voir hyperlien oficiel) :
Comunicado oficial de la Secretaría de Relaciones Exteriores de México del 18 de enero del 2024
« Remisión de la situación de Palestina a la Corte Penal Internacional (CPI)
El día de hoy, México y Chile, remitieron al fiscal de la Corte Penal Internacional (CPI) la situación del Estado de Palestina, a fin de que investigue la probable comisión de crímenes de su competencia.
La remisión se fundamenta en el artículo 13 a) y 14 del Estatuto de la Corte Penal Internacional, que permite a un Estado Parte remitir al fiscal una situación en que parezca haberse cometido uno o varios crímenes de la competencia de la Corte y pedir al fiscal que investigue la situación para determinar si se ha de acusar de la comisión de tales crímenes a una o varias personas.
La acción de México y Chile obedece a la creciente preocupación por la última escalada de violencia, en particular en contra de objetivos civiles, y la presunta comisión continua de crímenes bajo la jurisdicción de la Corte, específicamente a partir del ataque del 7 de octubre de 2023, llevado a cabo por militantes de Hamás y las hostilidades posteriores en Gaza.
Con esta acción, México reitera su respaldo a la CPI como el foro idóneo para el establecimiento de responsabilidad penal internacional individual, en los casos más graves y de mayor relevancia para la comunidad internacional, a la vez se enfatiza la importancia de garantizar la independencia del fiscal de la CPI para investigar los crímenes cometidos en el marco del conflicto en Gaza, ya sea que estos hayan sido cometidos por agentes de la potencia ocupante, como de la potencia ocupada.
La intervención de la CPI cobra particular relevancia ante los numerosos informes de Naciones Unidas que dan cuenta de muy numerosos incidentes que pueden constituir crímenes de la competencia de la CPI de acuerdo con el Estatuto de Roma.
A esto se suma el colapso prácticamente total de la infraestructura nacional de justicia de Palestina, por lo que no estaría en capacidad de investigar o enjuiciar los posibles crímenes cometidos en su territorio o por sus nacionales.
El Estado de Palestina es parte del Estatuto de Roma de la Corte Penal Internacional desde el 1 de abril de 2015, por lo que ésta tiene jurisdicción para investigar los crímenes de su competencia ocurridos en el territorio del Estado palestino o por sus nacionales.
El Gobierno de México tiene conocimiento y da puntual seguimiento al caso presentado por Sudáfrica ante la Corte Internacional de Justicia y a la solicitud de medidas provisionales.
México reitera su compromiso con la justicia internacional, la prevención del genocidio y otros crímenes de guerra y contra la humanidad. Asimismo, confía en que estas acciones, basadas en la solución pacífica de controversias, puedan abrir espacios para un cese al fuego inmediato y contribuyan a allanar el camino para una paz duradera en la región sobre la base de la solución de dos Estados que convivan dentro de fronteras seguras e internacionalmente reconocidas« .