Le 4 décembre, Luis Inacio Lula da Silva, le président du Brésil (qui a pris la présidence du G20), a déclaré, après avoir rencontré le chancelier allemand Olaf Scholz à Berlin, qu’il inviterait le président russe Vladimir Poutine au sommet du G20 qui se tiendra au Brésil. Auparavant, Lula da Silva avait déclaré que Poutine ne devait pas craindre d’être arrêté s’il se rendait au Brésil, malgré l’adhésion du pays à la Cour pénale internationale (CPI). Le dirigeant brésilien est ensuite revenu sur sa promesse, mais a maintenu l’invitation, ce qui a déclenché une controverse politique sur la Cour dans le pays latino-américain. Le 17 mars, la Cour de La Haye a émis un mandat d’arrêt controversé à l’encontre de Maria Alekseyevna Lvova-Belova, commissaire présidentielle aux droits de l’enfant (en Russie), et de M. Poutine, une décision qui a été saluée par le président américain Joe Biden, entre autres.

Par Uriel Araujo

Lorsque l’on entend parler de la « Cour pénale internationale », on pense souvent qu’il s’agit d’un élément essentiel de la structure du droit international. Le nom de la Cour ne doit cependant pas être pris au pied de la lettre. S’il est vrai qu’environ 124 pays sont des États parties au Statut de Rome, le traité qui a créé la CPI. Il est également vrai, cependant, que 30 autres pays ne l’ont pas encore ratifié et que certains d’entre eux n’ont pas l’intention de le faire. La Chine, la Russie, les États-Unis, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie et la Turquie ne sont pas des États parties. En fait, aucune grande puissance n’est partie à la CPI, sauf si l’on considère la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne comme telles. L’Afrique du Sud et les Philippines ont déjà notifié officiellement leur intention de se retirer du statut, de même que la Gambie et le Burundi. De nombreux autres pays envisagent de le faire, ce qui n’est pas du tout surprenant.

Considérez ceci : La Cour a été créée en 2002, et à l’exception du mandat d’arrêt Poutine / Lvova-Belova et de l’enquête sur Rodrigo Duterte (ancien président des Philippines), toutes les autres affaires lancées jusqu’à présent par la Cour l’ont été contre des Africains, y compris d’importants dirigeants régionaux tels que Mouammar Kadhafi (Libye). Il n’est donc pas étonnant qu’au cours des dernières années, l’Union Africaine ait souvent accusé la CPI d’avoir un parti pris contre le continent. William Schabas (professeur de droit international à l’université du Middlesex) résume la situation : « Pourquoi poursuivre les violences post-électorales au Kenya… mais pas les meurtres et la torture de prisonniers en Irak ou les colonies illégales en Cisjordanie ? Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique, et George W. Bush, l’ancien président américain, n’ont jamais été inculpés par la CPI, malgré les nombreuses preuves disponibles pour justifier des poursuites judiciaires à leur encontre.

En septembre, le président brésilien Lula da Silva avait déjà remis en question la valeur d’un tribunal basé à La Haye qui n’inclut pas les États-Unis, la Russie ou la Chine. Selon son raisonnement, la CPI ne peut pas être si pertinente, étant donné que les grandes puissances ne se soumettent pas à sa juridiction. De même, Flavio Dino, alors ministre brésilien de la justice, a qualifié la Cour de « déséquilibrée », déclarant que « cela n’a pas de sens d’avoir une cour qui ne juge que certains et pas d’autres », ajoutant même que le ministère des affaires étrangères de son pays pourrait débattre de la participation du Brésil au Statut.

Comme on l’a vu, Lula da Silva n’est pas le seul à avoir des doutes sur la CPI et les controverses relatives à la Cour existent depuis longtemps, bien avant le mandat d’arrêt contre Poutine. Prenons l’exemple des États-Unis. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les États-Unis et la CPI ont des antécédents particuliers. En 2002, le président George W. Bush, dans un mouvement fameux, a signé la loi dite « loi sur l’invasion de La Haye », qui autorisait de fait le recours à la force militaire pour libérer tout citoyen américain détenu par la CPI. Plus récemment, elle a été qualifiée de « tribunal kangourou » [tribunal irrégulier] par l’ancien secrétaire d’État américain Mike Pompeo lorsque le président Donald Trump a autorisé des sanctions contre une enquête de la CPI sur les crimes de guerre américains en Afghanistan. Washington est allé jusqu’à menacer d’arrêter les juges de la Cour pour la même raison.

Toutefois, en 2022, la résolution S.Res.546, une résolution bipartisane et unanime du Sénat américain (approuvée sans amendement), a été adoptée pour soutenir la CPI, ce qui est tout à fait remarquable, compte tenu de tous les antécédents susmentionnés. Il semblerait que les États-Unis soient tout à fait prêts à applaudir la Cour de La Haye, à condition qu’elle ne persécute que ses rivaux géopolitiques et ne pointe jamais du doigt un quelconque criminel de guerre américain – dans ce cas, Washington menacera littéralement la Cour et ses juges d’arrestation et d’invasion.

La CPI est principalement financée par des États européens. Le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Australie, l’Espagne (et aussi le Japon) figurent depuis longtemps parmi les dix premiers contributeurs de la Cour. En outre, elle reçoit également des contributions de donateurs privés, tels que de grandes entreprises. Tout cela jette quelques doutes sur sa crédibilité et son impartialité en tant qu’organe international souvent accusé (à juste titre) d’avoir un parti pris pro-occidental.

J’ai déjà écrit sur la dangereuse tendance à utiliser le droit international comme outil géopolitique – comme on l’a vu en Allemagne, où des tribunaux locaux ont invoqué la « compétence universelle » (pour certains crimes) pour condamner les autorités syriennes accusées d’avoir commis des actes de torture en Syrie. Cette évolution a été applaudie par de nombreuses personnes, dont Wolfgang Kaleck, fondateur du Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), qui l’a décrite comme une étape vers de plus grandes choses.

On peut très bien se demander jusqu’où cela peut aller. Nous savons que la torture et les abus sexuels étaient et ont été monnaie courante dans les bases de la CIA à l’étranger, ainsi que dans des lieux tels que Guantánamo Bay (Cuba) et Abu Ghraib (Irak). Nous savons également qu’il est reconnu que M. Biden a autorisé l’infâme attaque de drone du 29 août 2021 à Kaboul, qui n’a tué que des civils. Son prédécesseur Donald Trump a quant à lui ordonné l’assassinat illégal du général iranien Qassem Soleimani, qui était en mission de paix. Malgré cela, il est difficile d’imaginer qu’un haut responsable de la CIA (ou Biden et Trump eux-mêmes d’ailleurs) fasse l’objet d’une enquête par un tribunal allemand – ou par la CPI.

D’un point de vue fondé sur le réalisme juridique et le réalisme politique, on peut penser que la manière même dont la « compétence universelle » des systèmes judiciaires d’un pays peut être exercée est limitée par certaines conditions relatives à la puissance politique, économique et militaire. Les mêmes limites s’appliquent à la CPI. En résumé, il s’agit autant de géopolitique que de droit international. La CPI est aujourd’hui le reflet des inégalités entre les pays dans l’architecture actuelle du droit international.


Uriel Araujo, chercheur spécialisé dans les conflits internationaux et ethniques

Traduit de l’anglais par Evelyn Tischer

L’article original est accessible ici