Défaite cuisante des grands médias, d’Exxon Mobil et du Pentagone à la manœuvre pour s’emparer d’un territoire riche en pétrole appartenant au Venezuela (1). Le 3 décembre 2023, la population vénézuélienne a participé massivement à un référendum consultatif, et a répondu par l’affirmative aux cinq questions posées. Ces questions demandaient aux votant(e)s s’ils ou elles reconnaissaient la souveraineté de leur pays sur l’Esequibo. Une très forte majorité (droite et gauche confondues) a voté pour le respect de l’intégrité territoriale.

Loin de l’image construite par les médias, le Venezuela est non seulement la démocratie participative la plus avancée du monde, mais il bat tous les records en nombre de scrutins: 30 en 24 ans de révolution, validés par la majorité des observateurs internationaux. (2)

« Les campagnes médiatiques internationales ne pourront jamais le cacher. Le référendum consultatif a été un succès pour le peuple vénézuélien. Et nous devons respecter la décision de celles et ceux qui se sont exprimés dans les urnes », a expliqué le président Maduro, avant de proposer à l’Assemblée Nationale d’approuver une loi spéciale décrétant des zones de protection environnementale et de nouveaux parcs nationaux dans l’Esequibo, ou d’établir une règle interdisant la conclusion de contrats avec des entreprises comme Exxon Mobil qui exploitent les concessions unilatérales accordées par le Guyana dans la mer à délimiter. Maduro a également autorisé le lancement du plan d’assistance sociale pour la population de l’Esequibo, ainsi que la réalisation d’un recensement pour les aides sociales et la délivrance de cartes d’identité à ses habitants. » « Aujourd’hui, a conclu le président vénézuélien Nicolas Maduro, il n’y a ni gagnant ni perdant. Le gagnant est la souveraineté du Venezuela. » Le principal perdant, selon M. Maduro, est la compagnie extractiviste états-unienne ExxonMobil.

De quoi Exxon Mobil est le nom

En 2022, Exxon Mobil a réalisé un bénéfice de 55,7 milliards de dollars, ce qui en fait l’une des compagnies pétrolières les plus riches et les plus puissantes du monde. Les entreprises telles qu’Exxon Mobil exercent un pouvoir démesuré sur l’économie mondiale et sur les pays qui possèdent des réserves de pétrole. Elles ont des tentacules dans le monde entier, de la Malaisie à l’Argentine. Dans son ouvrage Private Empire : ExxonMobil and American Power (2012), Steve Coll décrit comment l’entreprise est devenue un « État corporatif au sein de l’État états-unien » . Les dirigeants d’Exxon Mobil ont toujours entretenu des relations étroites avec le gouvernement états-unien : Lee « Iron Ass » Raymond (directeur général de 1993 à 2005) était un ami personnel proche du vice-président états-unien Dick Cheney et a contribué à façonner la politique du gouvernement états-unien en matière de changement climatique ; Rex Tillerson (successeur de Raymond en 2006) a quitté l’entreprise en 2017 pour devenir le secrétaire d’État états-unien sous la présidence de Donald Trump. Coll décrit comment Exxon Mobil utilise le pouvoir de l’État états-unien pour trouver de plus en plus de réserves de pétrole et s’assurer qu’Exxon Mobil devient le bénéficiaire de ces découvertes.

En se promenant dans les différents centres de vote de Caracas le jour du référendum, il était clair que les personnes savaient exactement pour quoi elles votaient : nullement contre le peuple du Guyana, un pays avec une population d’un peu plus de 800 000 habitants, mais pour la souveraineté vénézuélienne, contre des entreprises telles qu’Exxon Mobil. L’atmosphère de ce vote – empreinte de patriotisme – était marquée sur le désir de supprimer l’influence des multinationales et de permettre aux peuples d’Amérique du Sud de résoudre leurs différends et de partager leurs richesses entre eux.

Quand le Venezuela a éjecté Exxon Mobil

Lorsque Hugo Chávez a remporté l’élection à la présidence du Venezuela en 1998, il a déclaré presque immédiatement que les ressources du pays – principalement le pétrole – devaient être entre les mains du peuple et servir dorénavant à financer le développement social du pays, et non les dividendes des compagnies pétrolières telles qu’Exxon Mobil. « El petroleo es nuestro » (le pétrole est à nous) était le slogan du jour. À partir de 2006, le gouvernement de Chávez a entamé un cycle de nationalisations, avec le pétrole au centre (le pétrole avait été nationalisé dans les années 1970, puis privatisé à nouveau deux décennies plus tard). La plupart des multinationales pétrolières ont accepté les nouvelles lois de régulation de l’industrie pétrolière, mais deux ont refusé : ConocoPhillips et Exxon Mobil. Les deux sociétés ont exigé des dizaines de milliards de dollars de compensation, bien que le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) ait estimé en 2014 que le Venezuela ne devait payer à Exxon Mobil que 1,6 milliard de dollars.

Rex Tillerson était furieux, selon des personnes qui travaillaient chez Exxon Mobil à l’époque. En 2017, le Washington Post a publié un article qui traduisait le sentiment de Tillerson : « Rex Tillerson s’est fait griller au Venezuela. Puis il s’est vengé. » Exxon Mobil a signé un accord avec le Guyana pour explorer le pétrole offshore en 1999, mais n’a commencé à explorer le littoral qu’en mars 2015, après le verdict négatif du CIRDI. Exxon Mobil a utilisé toute la force de la campagne de pression maximale des États-Unis contre le Venezuela à la fois pour consolider ses projets dans le territoire contesté et pour saper la revendication du Venezuela sur la région de l’Esequibo. C’était la revanche de Tillerson.

La mauvaise affaire d’Exxon Mobil pour le Guyana

En 2015, Exxon Mobil a annoncé qu’elle avait trouvé 295 pieds de « réservoirs de grès pétrolifères de haute qualité » ; il s’agit de l’une des plus grandes découvertes de pétrole de ces dernières années. Le géant pétrolier a entamé des consultations régulières avec le gouvernement guyanais, s’engageant notamment à financer tous les coûts initiaux de l’exploration pétrolière. La fuite de l’accord de partage de la production conclu entre le gouvernement guyanais et ExxonMobil a révélé la piètre position du Guyana dans les négociations. ExxonMobil s’est vu attribuer 75 % des recettes pétrolières pour le recouvrement des coûts, le reste étant partagé à parts égales avec le Guyana ; la compagnie pétrolière, quant à elle, est exonérée de tout impôt. L’article 32 (« Stabilité de l’accord ») stipule que le gouvernement « ne peut amender, modifier, annuler, résilier, déclarer invalide ou inapplicable, exiger une renégociation, imposer un remplacement ou une substitution, ou chercher à éviter, altérer ou limiter le présent accord » sans le consentement d’Exxon Mobil. Cet accord piège tous les futurs gouvernements guyanais dans un très mauvais accord.

Pire encore pour le Guyana, l’accord est conclu dans des eaux disputées avec le Venezuela depuis le 19ème siècle. L’incurie des Britanniques, puis des États-Unis, a créé les conditions d’un différend frontalier dans cette région qui ne connaissait que des problèmes limités avant la découverte du pétrole. Au cours des années 2000, le Guyana a entretenu des liens fraternels étroits avec le gouvernement vénézuélien. En 2009, dans le cadre du programme PetroCaribe, le Guyana a acheté du pétrole à prix réduit au Venezuela en échange de riz, une aubaine pour l’industrie rizicole guyanaise.Le programme « pétrole contre riz » a pris fin en novembre 2015, en partie en raison de la baisse des prix mondiaux du pétrole.Pour les observateurs de Georgetown et de Caracas, il est clair que le programme a souffert des tensions croissantes entre les pays au sujet de la région contestée de l’Esequibo.

ExxonMobil divise pour mieux régner

Le référendum du 3 décembre au Venezuela et la manifestation des « cercles d’unité » au Guyana suggèrent un durcissement de la position des deux pays. En marge de la COP-28, le président du Guyana, Irfaan Ali, a rencontré le président cubain Miguel Díaz-Canel et le premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Ralph Gonsalves, pour discuter de la situation. M. Ali a demandé à M. Díaz-Canel d’exhorter le Venezuela à maintenir une « zone de paix ».

La guerre ne semble pas se profiler à l’horizon. Les États-Unis ont levé une partie de leur blocus sur l’industrie pétrolière vénézuélienne, permettant à Chevron de redémarrer plusieurs projets pétroliers dans la ceinture de l’Orénoque et dans le lac de Maracaibo. Washington n’a pas envie d’aggraver son conflit avec le Venezuela. Mais Exxon Mobil, si. Ni le peuple vénézuélien ni le peuple guyanais ne bénéficieront de l’intervention politique d’ExxonMobil dans la région. C’est pourquoi tant de Vénézuéliens venus voter le 3 décembre ont considéré qu’il s’agissait moins d’un conflit entre le Venezuela et le Guyana que d’un conflit entre ExxonMobil et les peuples de ces deux pays d’Amérique du Sud.

 

Traduction et adaptation : Thierry Deronne

Source : https://peoplesdispatch.org/2023/12/05/exxonmobil-wants-to-start-a-war-in-latin-america/

 

Notes :

(1) Lire : « Venezuela : l’accaparement d’un territoire par Exxon Mobil et le Pentagone. » https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/12/03/venezuela-laccaparement-dun-territoire-par-exxon-mobil-et-le-pentagone/

(2) Lire « Venezuela: les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin. » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/

 

L’auteur

Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est chargé d’écriture et correspondant en chef de Globetrotter. Il est éditeur de LeftWord Books et directeur du Tricontinental Institute for Social Research.

Auteur de plus de 20 livres dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers ouvrages parus sont Struggle Makes Us Human : from Movements for Socialism et (avec Noam Chomsky) The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power.

 

Cet article a été produit par Globetrotter.

L’article original est accessible ici