Alex Saab a été libéré de la captivité des Etats-Unis dans ce que le professeur vénézuélien Maria Victor Paez a décrit comme « un triomphe de la diplomatie vénézuélienne ». Le diplomate avait été emprisonné pour avoir tenté d’apporter des fournitures humanitaires au Venezuela dans le cadre d’un commerce international légal, mais en contournant les mesures économiques coercitives illégales de Washington, également connues sous le nom de sanctions.

Par Roger D. Harris (*)

Échange négocié de prisonniers

Dans le cadre d’un échange de prisonniers, le Venezuela a libéré dix citoyens USA et quelques ressortissants du Venezuela pour libérer Alex Saab après plus de trois ans d’emprisonnement.

L’avion d’Alex Saab a atterri au Venezuela le 20 décembre 2023. Il a été accueilli avec des larmes par sa famille, ses amis et la primera combatiente (première combattante) du Venezuela, Cilia Flores, épouse du président. Peu après, le président Nicolás Maduro a prononcé un discours public triomphal avec Alex Saab à ses côtés au palais présidentiel.

Contrairement à M. Maduro, le président USA Joe Biden n’a pas fait de discours public de ce type avec ses libérés à ses côtés. S’il l’avait fait, il aurait dû se tenir aux côtés de « Fat Leonard » (gros Léonard) Francis, qui avait échappé à la captivité USA après avoir été condamné dans une vaste affaire de corruption de la marine américaine impliquant une soixantaine d’amiraux. Les États-Unis voulaient absolument le reprendre sous leur garde. Il en savait trop sur les hauts fonctionnaires.

La Maison Blanche a jusqu’à présent refusé de révéler la liste complète des personnes libérées. John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité des États-Unis, a tweeté : « Parfois, des décisions difficiles doivent être prises pour sauver des étasuniens à l’étranger ». Parmi les autres personnes libérées figurent les mercenaires Luke Deman et Airan Berry, qui avaient été capturés après la tentative d’assassinat du président vénézuélien dans la « baie des cochonnets » (Bay of Piglets).

Le gouvernement USA n’aurait rien aimé mieux que d’enfermer Alex Saab et de jeter la clé. Et pendant un certain temps, il a semblé que c’était ce qui allait se passer. L’équipe de juristes chevronnés d’Alex Saab avait tenté en vain de le libérer parce qu’il était un diplomate qui, en vertu de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, est censé jouir d’une immunité absolue en cas d’arrestation. Bien que les États-Unis soient signataires de cette convention, les Etats-Unis Sam ne voyaient aucune raison de respecter le droit international.

Les avocats du ministère USA de la justice ont en effet fait valoir que, puisque les États-Unis ne reconnaissent pas la légitimité du gouvernement démocratiquement élu du Venezuela, ils n’ont certainement pas à accepter ses diplomates. Bien que des appels aient été interjetés, le gouvernement américain a simplement retardé l’affaire.

En bref, la probabilité d’obtenir justice auprès du système judiciaire USA était faible. Le dernier espoir de libérer Alex Saab était un échange de prisonniers. Et cela s’est avéré être la voie vers la liberté.

Le succès de la campagne

 La saga d’Alex Saab et son émancipation finale sont similaires à la campagne de libération des 5 Cubains (NdT : Les Cinq Cubains, ou Miami Five, sont cinq agents des services de renseignement cubains arrêtés en septembre 1998). Ces derniers avaient infiltré des groupes terroristes dans la région de Miami, qui planifiaient des attaques contre Cuba. Lorsque les autorités cubaines ont informé le FBI en 1998 que ces actions illégales étaient planifiées sur le sol USA, le gouvernement USA a arrêté les cinq héros cubains comme ils ont été surnommés dans leur pays au lieu.

Le président cubain Fidel Castro a promis que les cinq seraient libérés, et ils l’ont été. Deux d’entre eux ont fini par purger leur peine de prison. En 2014, les trois autres ont été libérés dans le cadre d’un échange de prisonniers, à la suite d’une campagne internationale réussie.

A l’instar de la campagne pour la libération des 5 Cubains, la campagne FreeAlexSaab (Libérez Alex Saab) reposait sur quatre piliers : la détermination remarquable d’Alex Saab lui-même, la mobilisation de toute la nation vénézuélienne en sa faveur, un mouvement international, et le soutien et l’implication de sa famille.

La détermination d’Alex Saab a été exemplaire. Contrairement à de nombreux prisonniers, Saab disposait d’une carte de sortie de prison qu’il aurait pu jouer s’il l’avait voulu. Il ne l’a pas fait.

Comme l’ont admis les autorités USA, Saab était un atout de grande valeur parce qu’il détenait des informations que l’État sécuritaire USA recherchait sur les contacts et les moyens de contourner les mesures économiques coercitives illégales. Tout ce qu’il avait à faire était de donner les informations et de renoncer au président vénézuélien Maduro et à la révolution bolivarienne. Mais il ne l’a pas fait, même sous une pression extrême. Il n’a pas seulement subi des pressions, mais il a été torturé alors qu’il était emprisonné au Cape Verde.

Dans son émouvant discours de bienvenue à Alex Saab, le président Maduro a souligné l’héritage palestinien de Saab, notant qu’il s’accompagnait d’une capacité de résistance. Le Venezuela a été l’une des nations latino-américaines les plus critiques à l’égard de l’assaut israélien contre la Palestine.

Le deuxième pilier de cette campagne réussie a été la mobilisation de la nation vénézuélienne en faveur de la libération de son héros national. Cette mobilisation s’est étendue de la base au chef de l’État.

Maduro a souligné que les efforts du diplomate n’avaient pas été vains alors que M. Saab croupissait en prison. Bien que M. Saab soit resté 1280 jours derrière les barreaux, le peuple vénézuélien bénéficiait des vaccins, de la nourriture et du carburant que M. Saab avait fait livrer, contournant ainsi le blocus américain. Lors du discours de bienvenue, un général vénézuélien de haut rang qui partageait le podium avec eux a pleuré en entendant cela.

Efforts des amis et de la famille

Le troisième élément qui a contribué à la réussite de l’opération a été le lancement d’une campagne internationale intitulée #FreeAlexSaab (LibérezAlexSaab). Dans le monde entier, des amis de la souveraineté du Venezuela se sont unis pour organiser des actions réclamant sa liberté.

Depuis Vancouver, au Canada, Hands Off Venezuela ! (Ne touchez pas au Venezuela) a organisé des piquets de grève virtuels mensuels en ligne, avec des intervenants invités sur l’affaire Saab. La star du rock britannique Roger Waters s’est exprimée en faveur de la liberté d’Alex Saab, tout comme l’éminent avocat nigérian Femi Falana, les rapporteurs spéciaux des Nations unies Alfred-Maurice de Zayas, basé en Suisse, et Alena Douhan, basée en Biélorussie, l’expert en droit international Dan Kovalik, de l’université de Pittsburgh, et le héros national portoricain et ancien prisonnier politique Oscar Lopez Rivera. L’Association USA des juristes, la National Lawyers Guild, le Comité des droits humains des Nations unies et l’Association du barreau africain, ainsi que la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), se sont également exprimés sur l’injustice faite à Alex Saab.

Le chef de la campagne nord-américaine FreeAlexSaab, l’étatsunien d’origine vénézuélienne William Camacaro, a déclaré qu’il s’agissait d’une victoire importante pour le président Maduro et, par extension, pour la révolution bolivarienne dans son ensemble. Selon lui, l’opposition vénézuélienne, déjà divisée, l’est encore plus, tandis que le mouvement chaviste est plus uni à l’approche de l’élection présidentielle de 2024.

Des campagnes parallèles en faveur d’un échange de prisonniers ont été menées au nom de citoyens américains emprisonnés au Venezuela. Les amis d’ Eyvin Hernández ont été les principaux acteurs de ces campagnes. Ce défenseur public de Los Angeles avait été arrêté en mars 2022 alors qu’il était entré illégalement au Venezuela depuis la Colombie. La campagne pour M. Hernández a déployé des efforts considérables pour atteindre les représentants du gouvernement et exercer un lobbying efficace.

En ce qui concerne les représentants du gouvernement, l’éviction du démocrate en disgrâce Robert Menendez de la présidence de la puissante commission sénatoriale des relations extérieures a éliminé un obstacle important à l’échange de prisonniers. De manière surprenante, M. Maduro a révélé qu’un accord sur la libération de Saab avait déjà été conclu avec M. Trump, mais que lorsque M. Biden a remporté les élections, ils ont dû repartir de zéro.

Le quatrième pilier indispensable à la réussite de la campagne a été la famille d’Alex Saab, qui avait été prise pour cible par les États-Unis, mais qui est restée ferme et solidaire. Le jour où le fils d’Alex Saab a eu dix-huit ans, les États-Unis l’ont frappé de sanctions, ainsi que ses oncles et d’autres membres de sa famille. Camilla Fabri de Saab, l’épouse de l’ancien prisonnier, a mené l’action bien qu’elle soit une jeune mère avec deux jeunes enfants.

Comme on pouvait s’y attendre, Mme Fabri a d’abord été dévastée par l’emprisonnement de son mari. Elle aussi a été prise pour cible et même ses parents en Italie ont été touchés. Mais de l’adversité est née la force. Mme Fabri a pris l’initiative d’unir les nombreux éléments de la campagne et de l’effort juridique. Sans exagérer, elle est devenue une dirigeante internationale de premier plan. Elle a été nommée par Maduro pour faire partie de l’équipe de négociations prenant part à la réunion délicate avec des membres de l’opposition vénézuélienne à Mexico, et dont le but était de récupérer certains des actifs du Venezuela qui avaient été illégalement saisis par les États-Unis.

La vidéo émouvante de Mme Fabri, réalisée cinq jours seulement avant la libération de son mari, évoquait ce que seraient les fêtes [Noel 2023 et Nouvel An 2024] sans lui. En fin de compte, les fêtes de fin d’année seront plus joyeuses pour tous les prisonniers libérés dans le cadre de cet échange historique et pour leurs familles. La libération d’Alex Saab est une victoire pour la souveraineté vénézuélienne, et elle est partagée avec un tiers de l’humanité toujours sous le coup des sanctions USA.

 

(*) L’auteur

Roger D. Harris travaille pour l’organisation de défense des droits humains Task Force on the Americas, fondée en 1985. Il a participé activement à la campagne #FreeAlexSaab.

 

Traduit de l’anglais par Evelyn Tischer