C’est indubitablement une belle victoire ! Le jeudi 16 novembre 2023, l’UE est arrivée à conclure un accord visant à « sanctionner les crimes les plus graves contre l’environnement ». Il n’empêche que nous faisons office de tortues sur le chemin menant à la criminalisation de l’écocide. En effet, le Vietnam l’avait dès 1990 inscrit dans son Code pénal. Le pays a souffert de la guerre, autant dans sa chair que dans son environnement, subissant les ravages du tristement célèbre Agent orange de Monsanto, employé par les troupes américaines lors du conflit. Non seulement des forêts entières et leurs précieux biotopes ont été éradiqués, mais d’innombrables cancers se sont répercutés sur la population civile.
Rappelons qu’en 2012 déjà, un déclic se produit chez la juriste internationaliste Valérie Cabanes, lorsqu’elle entend parler de Polly Higgins, l’avocate initiatrice de l’écocide. Elle lance alors la campagne européenne en 2013, avant de s’engager elle aussi dans le panel international chargé par la Fondation Stop Ecocide de s’attaquer à la définition juridique : « C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait créer les moyens de condamner quelqu’un sans avoir à prouver qu’il y avait une intention de nuire, comme c’est le cas par exemple pour les crimes de guerre. Les gros pollueurs ne prédisent pas d’avance les catastrophes. (…) »
Jojo Mehta, qui a repris le flambeau en 2019 à la mort précoce de Polly Higgins, n’a pas ménagé ses efforts pour arriver à persuader des juristes et des universitaires réputés de se pencher sur la question. Il fallait approfondir le thème au niveau international, thème plus que complexe. Il a, semble-t-il, passionné de nombreux jeunes experts en la matière qui ont présenté le fruit de leurs recherches et de leur travail au cours d’une série de présentations en ligne cette année.
Arriver à formuler une loi qui complète le Statut de Rome et qui définisse les crimes contre l’environnement et par ricochet contre l’humanité, les communautés, les populations autochtones et ce, à l’échelle mondiale, n’a pas été l’affaire de quelques semaines, mais a pris plusieurs années de travail acharné, mené avec détermination. Les soutiens obtenus englobaient non seulement des politiciens, mais des juristes, des ONG, des communautés indigènes et religieuses, des dirigeants d’entreprises, des experts universitaires, des campagnes de la société civile, des influenceurs et des particuliers.
Il fallait en premier lieu s’accorder sur une définition juridique. Les procès intentés par des particuliers soutenus par des ONG par exemple, font référence aux procès déjà intentés et les verdicts recueillis ont permis d’affiner la définition. Le texte qui sera adopté officiellement au niveau européen au cours des mois qui viennent reprend les termes de l’« infraction qualifiée » ainsi que les « cas comparables à l’écocide ». Complétée en juin 2021 par des experts indépendants, la définition légale se résume ainsi :
« Crime d’écocide : Actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables. »
Des négociations délicates menées avec persévérance
Après cette victoire décrochée au sein de l’UE, Jojo Mehta a déclaré :
« Nous sommes ravis de ce résultat. Le texte approuvé est une étape extrêmement importante et une victoire massive pour la nature, renforçant de manière significative la protection de l’environnement par le biais du droit pénal dans l’ensemble de l’UE. Le Parlement européen a fait preuve d’un véritable leadership en mars en défendant un texte fort, et les négociations avec la Commission et le Conseil ont abouti à une directive qui aidera véritablement les États membres à traiter les atteintes à l’environnement de manière beaucoup plus sérieuse. Il s’agit là d’un résultat très important, qu’il convient de saluer sans réserve, et nous pouvons constater, au vu de l’essor rapide de l’initiative relative à la loi sur les écocides, que les États européens ne tarderont pas à s’engager plus avant dans ce domaine dans leurs propres juridictions. En effet, je ne doute pas qu’avec cette orientation rapidement établie, ce n’est qu’une question de temps avant que l’écocide ne soit reconnu dans le droit pénal à tous les niveaux. »
Les protagonistes ont eu la chance de rencontrer des politiciens et politiciennes qui leur ont prêté une oreille attentive, comme la députée européenne Marie Toussaint du parti des Verts, particulièrement engagée dans les négociations, et qui ont soutenu ce que la société civile attendait d’eux comme en témoigne les signatures recueillies par les pétitions en faveur d’une reconnaissance de l’écocide (plus de 600 000 !). Il est probable que le sursaut provoqué par Greta Thunberg n’est pas pour rien dans cette victoire, la société civile semble avoir pris conscience que les dommages causés à l’environnement ne peuvent rester impunis car ils concernent des prédations à l’échelle mondiale qui ont des conséquences non seulement locales mais planétaires, puisque nous sommes toutes et tous assis dans le même bateau et qu’il n’y a pas de planète B.
Marie Toussaint a, quant à elle, déclaré :
« Le texte adopté peut ouvrir une nouvelle ère du contentieux environnemental en Europe, car nous avons obtenu une victoire fondamentale qui devrait s’étendre au-delà de nos frontières. Dans le contexte politique européen, ce texte est une référence pour tous ceux qui défendent l’environnement en justice et luttent contre l’impunité des entreprises criminelles qui bafouent trop souvent les lois et œuvrent aujourd’hui au détricotage de la démocratie environnementale en Europe. »
Puis :
« La criminalité environnementale explose dans le monde, elle est désormais considérée comme aussi lucrative que le trafic de drogue et contribue à détruire les conditions de vie sur terre. Avec cet accord, l’Union européenne adopte une des législations les plus ambitieuses au monde. Nous continuerons à nous battre pour que l’on ne puisse plus jamais nuire aux êtres vivants au nom du profit. Il est maintenant essentiel que les États membres de l’UE proposent un amendement visant à inclure le crime autonome d’écocide dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale. »
C’est une grande victoire, pour laquelle une vaste équipe internationale s’est engagée depuis belle lurette. C’est aussi une petite consolation après le renouvèlement de l’autorisation du glyphosate. On se prend même à espérer que son utilisation pourrait éventuellement passer pour un crime d’écocide… il est toujours permis de rêver.