Les parlementaires devraient s’assurer du respect de garanties et du traitement humain des demandeurs d’asile et des migrants
Les parlementaires français examinent un projet de loi sur l’immigration qui menace de restreindre les droits des demandeurs d’asile et des personnes migrantes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le projet de loi doit être débattu au Sénat à partir du 6 novembre 2023 et devrait être transmis à l’Assemblée nationale en décembre. Le gouvernement a initialement présenté ce projet de loi en février, mais en mars, le débat a été reporté en raison d’un manque de soutien au sein du Parlement.
« Les autorités françaises tentent à nouveau de proposer un ensemble de mesures très problématiques sur l’immigration », a déclaré Eva Cossé, chercheuse senior sur l’Europe à Human Rights Watch. « Diviser des familles et affaiblir les droits des demandeurs d’asile n’est pas la réponse aux problèmes de sécurité dans le pays. »
Les principales préoccupations relatives à ce projet de loi comprennent :
- Des dispositions visant à affaiblir les protections existantes, à la fois pour les ressortissants étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) et pour ceux qui font l’objet d’une décision d’expulsion forcée.
- Une disposition visant à retirer ou à refuser de renouveler un titre de séjour à une personne qui ne se conforme pas aux « principes de la République ».
- Des dispositions visant à affaiblir les droits de recours pour les demandeurs d’asile et les procédures administratives relatives aux personnes migrantes.
- L’inclusion d’une disposition limitée visant à mettre fin à la détention des enfants migrants de moins de 16 ans, qui ne protégerait pas les enfants dans les territoires français d’Outre-mer, en particulier à Mayotte, et ceux qui sont détenus aux frontières ou dans les aéroports.
Le projet de loi permettrait aux autorités de délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) même si une personne relève d’une ou de plusieurs catégories protégées par le droit existant. Les protections existantes concernent les situations personnelles et familiales, telles que celles des personnes arrivées en France avant l’âge de 13 ans, résidant régulièrement en France depuis longtemps, ayant un enfant français mineur ou étant marié.e à un.e ressortissant.e français.e.
Le projet de loi permettrait aux autorités de ne pas tenir compte de ces protections si le comportement du ressortissant étranger était considéré comme « une menace grave pour l’ordre public », malgré le flou juridique entourant les termes « menace grave » et « ordre public », a déclaré Human Rights Watch.
Le projet de loi supprimerait également les protections relatives à l’expulsion, une mesure administrative visant à éloigner un ressortissant étranger du territoire français. En vertu de la loi actuelle, un arrêté d’expulsion peut être pris à l’encontre d’un ressortissant étranger en situation irrégulière en France qui est considéré comme une « menace grave pour l’ordre public », notamment s’il fait preuve d’un comportement considéré comme préjudiciable aux « intérêts fondamentaux de l’État », s’il « est lié à des activités à caractère terroriste » ou s’il se livre à des actes « de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence ».
Il existe actuellement des protections contre l’expulsion pour les ressortissants étrangers similaires à celles prévues dans le cadre d’une OQTF. Le projet de loi élargit les circonstances dans lesquelles les personnes appartenant à ces catégories dites protégées peuvent néanmoins être expulsées si elles sont considérées comme une « menace grave pour l’ordre public », levant ainsi les quelques garanties prévues pour ces catégories. En vertu de la loi actuelle, une personne peut être expulsée si elle a été condamnée à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans. Selon le projet de loi, toute personne condamnée pour un délit passible d’une peine d’emprisonnement de 5 ans pourrait être expulsée, même si elle a été condamnée à une peine beaucoup plus courte.
L’institution du Défenseur des droits, qui a fortement critiqué l’ensemble du projet de loi, a indiqué que les changements prévus se font « au détriment de la protection des droits fondamentaux des étrangers ». Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a également critiqué ces dispositions. L’UNICEF a déclaré que l’affaiblissement des protections relatives à l’expulsion et à l’éloignement des ressortissants étrangers – en particulier des parents d’enfants français – était susceptible d’entrer en conflit avec la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, à laquelle la France est partie, et qui protège la vie familiale et le principe de non-séparation.
En outre, le ministre français de l’Intérieur a indiqué que le gouvernement avait l’intention d’ajouter une autre disposition au projet de loi afin de faciliter l’expulsion des ressortissants étrangers soupçonnés de liens avec une « idéologie radicale », prenant pour exemple le meurtrier présumé d’un professeur dans un lycée à Arras en octobre. L’auteur présumé, un ancien élève, a notamment été mis en examen pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste ». Les autorités françaises voient l’éloignement des ressortissants étrangers considérés comme une menace comme un élément important de la lutte contre l’extrémisme violent, même si cela implique d’affaiblir les garanties en matière de droits.
Le projet de loi réintroduit également une disposition d’une loi controversée contre le « séparatisme » qui avait été censurée par le Conseil constitutionnel, la plus haute autorité constitutionnelle française, au motif de son imprécision. Cette disposition, modifiée à la suite de cette censure, et permettrait aux autorités de retirer ou de refuser de renouveler les titres de séjour des personnes qui ne se conforment pas aux « principes de la République », une mesure qui vise apparemment les musulmans considérés comme s’engageant dans le « séparatisme ».
Le projet de loi affaiblirait également les garanties procédurales pour les personnes migrantes et les demandeurs d’asile, notamment en faisant passer dans la plupart des cas de trois à un le nombre de juges chargés d’examiner les recours en matière d’asile, ce qui aurait pour effet d’écarter les juges spécialisés de la procédure. La Défenseure des droits a déclaré que cette mesure risquait de porter atteinte au droit à un recours effectif des demandeurs d’asile et est susceptible de « priver les requérants des garanties processuelles fondamentales d’une justice équitable que sont l’indépendance et l’impartialité de la justice ».
Le projet de loi réduit également les délais d’appel dans diverses procédures d’asile et d’immigration, ce qui rend plus difficile pour les personnes migrantes et des demandeurs d’asile de rassembler les preuves nécessaires à la présentation de leur dossier. Il autoriserait également les vidéo-audiences, qui sont souvent entravées en France par des problèmes techniques, selon un rapport de 2020 du groupe non gouvernemental European Council on Refugees and Exiles. L’ensemble de ces mesures porte atteinte au droit à un recours effectif, comme l’exigent le droit international et européen.
Le projet de loi interdit la détention d’enfants de moins de 16 ans dans les centres de rétention administrative. Bien qu’il s’agisse d’une mesure positive, elle permettrait encore la rétention de milliers d’enfants, y compris ceux de plus de 16 ans. Il permettrait également la rétention d’enfants dans les territoires français d’Outre-mer, en particulier à Mayotte, et ceux placés en rétention aux frontières ou dans les aéroports. La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée à plusieurs reprises contre la rétention d’enfants par la France. Les parlementaires français devraient saisir l’opportunité représentée par ce projet de loi pour mettre fin à la rétention de tous les enfants en matière d’immigration, a déclaré Human Rights Watch.
Parmi les autres préoccupations figurent les mesures restrictives relatives aux enfants non accompagnés et aux jeunes adultes ajoutées par la Commission des lois du Sénat en mars, que l’UNICEF a qualifiées de « particulièrement problématiques », ainsi que la proposition de suppression de l’aide médicale d’Etat, un système qui permet aux personnes migrantes en situation irrégulière d’accéder aux soins de santé généraux. Dans la dernière version du projet de loi, ce système est remplacé par un accès beaucoup plus restreint aux soins d’urgence.
Le projet de loi ne s’attaque pas non plus aux politiques et pratiques abusives des autorités françaises en matière d’immigration, notamment le harcèlement policier, les restrictions d’accès à l’aide humanitaire – en particulier dans le nord de la France –, le rejet sommaire d’enfants non accompagnés à la frontière franco-italienne ou encore le refus d’accès à la protection et aux services essentiels pour les enfants non accompagnés se trouvant sur le territoire français.
« Les parlementaires français devraient réfléchir à des réformes concernant l’immigration dont la France aurait vraiment besoin, comprenant la fin de la rétention de tous les enfants, la protection d’un accès effectif à l’asile, des garanties efficaces contre les expulsions injustes et un traitement humain des personnes migrantes », a déclaré Eva Cossé. « Faire reculer les protections en matière de droits humains ne rendra pas la France plus sûre. »