Comment réussir à nourrir tout le monde de manière saine et suffisante tout en préservant le climat et en guérissant la planète ? C’est à cette question globale, sans doute la plus urgente de notre époque, que répond la célèbre scientifique et écologiste indienne Vandana Shiva dans son nouveau livre « Agroécologie et véritable agriculture régénérative – Solutions durables pour la faim, la pauvreté et les changements climatiques », qui vient de paraître aux éditions Neue Erde.
(NdT : livre en français : Une agriculture qui répare la planète: les promesses de l’agriculture biologique régénérative – Livre de Vandana Shiva, Jacques Caplat, André Leu.)
Coalition mondiale pour l’agroécologie
En été 2023, une décision politique a été prise qui pourrait être porteuse d’avenir. L’Allemagne a rejoint la Coalition mondiale pour l’agroécologie, créée dans le cadre du Sommet mondial de l’alimentation des Nations unies en 2021 et qui compte désormais plus de 40 pays et 90 organisations, dont l’UE, l’Union africaine et la FAO (Food and Agriculture Organization – Organisation pour l’alimentation et l’agriculture).
Les membres de la coalition s’engagent à « promouvoir la transformation des systèmes agricoles et alimentaires par l’agroécologie et ses 13 principes », comme l’indique le communiqué de presse de l’Institut fédéral pour l’agriculture et l’alimentation qui l’accompagne. Le livre de Vandana Shiva arrive donc à point nommé – en tant que soutien précieux, guide et conseil issu de plus de 40 ans de recherche et de pratique de l’agroécologie pour la conservation de la biodiversité et la promotion de l’agriculture biologique.
Des solutions durables pour un avenir sain
Ce livre constitue une synthèse interdisciplinaire de tous les résultats obtenus par les leaders du mouvement de l’agroécologie et de l’agriculture biologique régénératrice au cours des dernières décennies, par le biais d’études et d’applications pratiques. En plus d’une analyse des crises actuelles dans les domaines de l’écologie, de l’agriculture et de la santé publique, il propose des solutions fondées sur des données probantes aux problèmes les plus urgents du monde, qui sont alimentés par ces crises : La faim, la pauvreté et le changement climatique.
Ces solutions incluent les méthodes de l’agroécologie basées sur la science : une agriculture régénératrice basée sur la biodiversité pour revitaliser et réalimenter les sols, préserver l’eau, augmenter la résilience au changement climatique et assurer la sécurité alimentaire. En tant qu’éditrice, Vandana Shiva propose une approche organisée de ces vastes questions et met à disposition des connaissances pratiques ainsi que des stratégies tangibles qui peuvent assurer l’avenir de l’agriculture et des systèmes alimentaires durables.
Des méthodes d’une simplicité déconcertante
Pour ce faire, l’auteur s’appuie, en plus de nombreuses autres sources, études et littérature spécialisée, sur ses propres résultats de recherche, recueillis au cours d’années d’essais sur le terrain avec son organisation Navdanya, fondée en 1991. Les méthodes pratiques présentées dans le livre sont souvent d’une simplicité déconcertante et offrent des alternatives efficaces et durables à l’approche agro-industrielle. En voici quelques exemples :
- Des essais menés par le Rodale Institute aux États-Unis sur la méthode « no till » (pas de labourage), qui consiste à labourer peu ou pas du tout le sol et donc à ne pas perturber les organismes du sol, ont montré des rendements biologiques de 10,76 tonnes par hectare, comparés à la moyenne nationale de 8,74 tonnes par hectare.
- Dans un article publié en 2000 dans le Guardian, le professeur George Monbiot a indiqué que, lors d’expériences menées au Royaume-Uni, le blé cultivé avec du fumier d’animaux avait systématiquement donné des rendements supérieurs à ceux du blé cultivé avec des engrais chimiques au cours des 150 dernières années.
- Des essais menés par l’université agricole du Tamil Nadu sur la technique du paired-row (sillons deux à deux), qui consiste à planter les deux côtés d’un sillon de culture, ce qui permet à un sillon d’irriguer deux rangées en même temps, ont permis d’économiser environ 20 % d’eau et d’augmenter les rendements de 15 %.
D’autres exemples fascinants sont les méthodes variées de lutte contre les parasites avec des biopesticides naturels comme l’ail ou le tabac, la réduction des gaz à effet de serre avec le compost ou les synergies entre les insectes utiles et l’utilisation de la lumière, pour n’en citer que quelques-uns.
Agriculture fossile vs. agriculture biologique
En revanche, les engrais et pesticides synthétiques sont basés sur des combustibles fossiles. De plus, les engrais azotés artificiels génèrent également des émissions d’oxyde d’azote, un gaz à effet de serre qui, dans l’atmosphère, a un impact 300 fois plus important sur le réchauffement climatique que le dioxyde de carbone. Comme l’a révélé une étude de l’université de Cambridge, les engrais azotés sont responsables de plus de gaz à effet de serre que les transports aériens et maritimes réunis. L’utilisation d’engrais organiques, combinée au stockage naturel de CO2 dans un sol sain, offre un énorme potentiel de contribution à la protection du climat.
Les économies d’eau protègent contre la sécheresse. Les variétés locales adaptées aux conditions locales créent une résilience contre les influences environnementales telles que la sécheresse, ce que les monocultures industrielles ne peuvent pas faire. Une étude des Nations unies en Afrique, présentée dans le livre, a montré que l’agriculture biologique augmentait les rendements de 116 %, ce qui renforce l’argument selon lequel « l’agriculture biologique peut être plus bénéfique pour la sécurité alimentaire en Afrique que la plupart des systèmes de production conventionnels et qu’elle sera probablement plus durable à long terme » (PNUE-CNUCED 2008) (Programme des Nations Unies pour l’environnement – Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement 2008).
Santé par hectare
Mais les rendements ne sont pas les seuls à pouvoir être augmentés grâce à la culture biologique. La teneur en nutriments augmente également. Une étude menée à la ferme Navdanya a ainsi montré que la matière organique augmentait jusqu’à 99 %, le zinc de 14 % et le magnésium de 14 %, sans ajout d’intrants externes. Ils ont été produits par des milliards de microbes du sol, présents dans des sols sains, qui produisent ainsi des aliments sains.
Shiva appelle donc à l’abandon du mantra du « rendement par hectare » au profit de la « santé par hectare ». Cela est également pertinent pour les pays industrialisés, étant donné les carences en nutriments des aliments industriels, qui sont de plus en plus souvent associées à des maladies chroniques.
Soutenir les paysans : un bénéfice pour tous
Malgré l’opposition massive de l’agro-industrie, le mouvement en faveur de l’agriculture biologique prend de l’ampleur, car les agriculteurs sont de plus en plus conscients que l’agriculture chimique industrielle entraîne des coûts de production de plus en plus élevés, et une baisse rapide de la fertilité des sols et des rendements des récoltes, mettant ainsi en péril leurs moyens de subsistance. La dépendance aux intrants chimiques devient un cercle vicieux maintenu par des subventions.
Une production alimentaire durable devrait donc être basée sur la restauration de la biodiversité, de la liberté des semences, du sol et de l’eau dans un environnement local-régional, où les agriculteurs sont également soutenus. Cela permettrait d’augmenter les moyens de subsistance et la sécurité de l’emploi dans les zones rurales et d’améliorer la qualité et la valeur nutritionnelle de nos aliments. Le credo de Vandana Shiva : nous avons besoin de plus de paysans, pas de moins !
Des solutions véritables plutôt que des astuces de marketing
Les multiples arguments en faveur de l’agroécologie, prouvés par la pratique et résumés dans ce livre, sont si accablants que l’industrie n’a d’autre choix que soit de les discréditer, ce qui fonctionne de moins en moins bien (voir l’échec officiel de la « révolution verte pour l’Afrique »), soit de s’approprier maintenant les termes de l’agroécologie en fonction du marketing, sans toutefois mettre en œuvre leurs significations. Ainsi, Syngenta et Bayer prétendent depuis peu pratiquer une « agriculture régénérative ».
L’éditeur a donc intégré le mot « véritable » dans le titre de l’édition allemande et a joint au livre une préface actuelle de l’auteur sur le sujet. Dans l’addendum, l’éditeur précise ainsi :
« L’agriculture ne peut être qualifiée de régénératrice que si les sols morts deviennent des terres fertiles. Et cela n’est possible que sans engrais artificiels ni pesticides ».
Alors que les problèmes et les risques liés au génie génétique, à l’industrie chimique et agricole et à leurs liens avec les fonds d’investissement et les fondations philanthropiques ont déjà été traités en détail dans d’autres livres de Vandana Shiva, « Agroécologie et véritable agriculture régénératrice » traite de solutions éprouvées et tangibles, basées sur la collaboration avec la nature, solutions qui peuvent régénérer la planète, l’économie rurale et notre santé.
Riche en solutions pratiques et fondées sur des preuves, ce livre intéressera non seulement les agriculteurs engagés dans la culture d’aliments sains, mais constituera également un guide précieux pour les agronomes, les décideurs politiques, les défenseurs de l’environnement et tout individu soucieux du bien-être de tous et de la vitalité de notre planète.
« Agroécologie et véritable agriculture régénérative » est un splendide manifeste pour l’avenir d’une bonne agriculture, capable de capter le dioxyde de carbone, de fournir à tous des aliments nutritifs, de préserver l’intégrité et la dignité des agriculteurs et de restaurer la biodiversité. Ce livre est urgent et nécessaire. Tout le monde devrait le lire ».
Satish Kumar, fondateur du Schumacher College et éditeur de Resurgence.
Traduction de l’allemand, Evelyn Tischer