Les experts nucléaires expriment de nouvelles inquiétudes au sujet d’un projet de politique visant à autoriser la séparation du plutonium au Canada. Douze experts nucléaires de renommée internationale ont envoyé une lettre ouverte au Premier ministre Justin Trudeau, exprimant de nouvelles inquiétudes quant aux risques de prolifération des armes nucléaires associés à un projet de retraitement nucléaire financé par le gouvernement au Nouveau-Brunswick. Les auteurs citent de nouvelles informations obtenues grâce à l’accès à l’information. Des documents internes récemment publiés révèlent un quota processus d’élaboration de politiques sur le retraitement en collaboration avec le groupe international des propriétaires de CANDU (COG).
Or, une telle activité va à l’encontre de la déclaration du G7 que le Canada a approuvée à Hiroshima, le 19 mai 2023, s’engageant à “réduire la production et l’accumulation de matières nucléaires à des fins civiles mais utilisables pour la fabrication d’armes, dans le monde entier”.
Brèches effectuées par le Canada
En 2021, Ottawa a versé 50,5 millions de dollars à Moltex, une entreprise basée au Royaume-Uni. Moltex prévoit séparer le plutonium et d’autres matières du combustible nucléaire usé déjà stocké à la centrale nucléaire de Point Lepreau, dans la baie de Fundy (on se souvient que c’est une pétition rédigée et signée par Pierre Jasmin des Artistes pour la Paix et le docteur Amir Khadir, alors co-chef de Québec solidaire qui avait convaincu Hydro-Québec en 2010 de renoncer à l’achat de Pointe-Lepreau : voir rappel à la fin de l’article).
Moltex espère utiliser ces matériaux comme combustibles dans son réacteur à “fondus”. Moltex affirme que sa technologie ne favorisera pas la prolifération des armes nucléaires et que les matières extraites ne sont pas “utilisables pour la fabrication d’armes”. Cependant, la lettre cite deux études d’experts américains, publiées en 2009 et en 2023, qui remettent en question cette affirmation.
Toutes deux concluent que la protection contre son utilisation dans la fabrication d’armes nucléaires est insuffisante. Le retraitement est une technologie qui permet “extraire le plutonium du combustible nucléaire usé. Il s’agit d’une technologie sensible car le plutonium est un explosif nucléaire. Tout pays ou groupe infranational ayant accès à du plutonium séparé peut l’utiliser pour fabriquer une bombe nucléaire. En 1974, l’Inde a fait exploser sa première bombe atomique en utilisant du plutonium provenant d’un réacteur de recherche canadien. Le président américain Carter a interdit le retraitement nucléaire en 1977, et le Canada lui a emboîté le pas en interdisant le retraitement nucléaire commercial sur son territoire aussi.
Le retraitement nucléaire civil risque de propager la bombe en facilitant l’accès aux matières utilisables pour la fabrication d’armes nucléaires. Cela est particulièrement vrai lorsque cette technologie est exportée, comme Moltex espère le faire à terme. Mais même en l’absence d’exportations, le financement du retraitement nucléaire par les pouvoirs publics indique aux autres pays que le retraitement nucléaire est parfaitement acceptable en tant que stratégie énergétique civile. Pour le Regroupement pour la surveillance du nucléaire, ces nouvelles informations soulèvent des questions quant à l’implication des promoteurs du nucléaire dans la rédaction de la politique publique sur les questions nucléaires au Canada. En fait, la loi canadienne de 2019 sur l’évaluation d’impact exempte les usines de retraitement nucléaire d’une certaine taille de l’évaluation environnementale, ce qui implique que de telles usines sont anticipées. Une usine produisant 100 tonnes de plutonium par an (assez pour fabriquer 15 000 bombes atomiques en un an) est exemptée d’évaluation environnementale.
Pierre Jasmin, Les Artistes pour la Paix