L’idée de non-violence et d’action non-violente génère encore des malentendus, des équivoques et des confusions. Habituellement associée au pacifisme traditionnel, elle est souvent perçue comme une forme de résistance molle, parfois synonyme de passivité et de résignation, voire de lâcheté. Il est vrai que notre culture, dominée par la nécessité et la légitimité de la violence et de la contre-violence, n’accorde qu’une place marginale à la philosophie et à la stratégie de la non-violence. En France, tout particulièrement, la non-violence est assez spontanément décriée dans certains milieux activistes, souvent dans l’ignorance de ses potentialités, de sa radicalité intrinsèque et de la force de contrainte qu’elle peut générer.
Ce glossaire se veut une contribution à la pédagogie de la non-violence politique en proposant des définitions conceptuelles de plusieurs mots-clés du lexique de la non-violence. Il a vocation à faire comprendre la véritable signification de la non-violence, tout en déconstruisant les idées fausses qui circulent à son encontre. Les concepts choisis, génériques ou spécifiques, sont volontairement restreints à la dimension politique de la non-violence. Ils ne sont pas classés dans l’ordre alphabétique, mais selon une progression sémantique.
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Termes génériques de la non-violence politique
Violence. La violence, en pensée, en parole et en action, est une atteinte à la dignité, à l’humanité, à l’intégrité physique et aux droits de l’autre. Affirmer qu’à la racine de la violence, se trouve le viol et non la vie (comme on l’entend trop souvent), permet de visualiser la véritable nature de la violence. La violence est donc inséparable de la souffrance qu’elle engendre. La première des violences est structurelle. Elle se caractérise par des situations d’injustice qui aliènent et oppriment les femmes et les hommes, généralement sur une longue durée. La contre-violence pour se libérer de l’oppression n’est pas à mettre sur le même plan que la violence première. En effet, il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos ceux qui sont responsables de l’injustice et ceux qui en sont les victimes et qui méritent notre solidarité. Toutefois, cette seconde violence qui fournit un prétexte aux autorités pour justifier la violence de la répression s’avère le plus souvent une impasse et renforce la violence structurelle du pouvoir. La révolte contre les injustices étant légitime, la non-violence nous invite à explorer les voies d’une action et d’une résistance où les moyens utilisés ne doivent rien à la logique de la violence.
Culture de la violence. La culture de la violence qui domine nos civilisations se fonde sur les doctrines de la légitime défense et de la guerre juste. Elle nous enseigne que face à la violence des « méchants » ou face à la violence des situations d’injustice, nous n’aurions que deux possibilités : soit être lâche, refuser l’affrontement, renoncer à nous battre et donc faire le jeu de l’injustice, de la tyrannie ou bien être courageux, être dans l’action et donc être violent. La culture de la violence repose donc essentiellement sur la légitimation de la violence. Le recours à la violence sous le couvert de la nécessité de se protéger ou de défendre une cause juste est justifié par l’idéologie dominante qui valorise ainsi la violence en tant qu’œuvre de justice, occultant sa dimension mortifère et destructrice.
Conflit. Le conflit est inhérent à toute relation humaine. Il exprime un désaccord, une opposition ou une rivalité entre deux personnes ou deux groupes de personnes. En ce sens, le conflit n’est pas la violence. La violence est un dérèglement du conflit car elle ne permet pas de régler l’objet initial du conflit. Non seulement la violence ne résout pas les conflits, mais le plus souvent elle les envenime en enfermant les protagonistes dans une spirale destructrice réciproque. La non-violence n’est pas la négation du conflit. Elle le reconnaît et l’assume, parfois elle le révèle.
Force. Selon l’idéologie dominante, non seulement la véritable force ne peut être que violente, mais la violence peut aussi être désignée, de façon euphémique, par le mot « force ». L’usage du mot « force » à la place de « violence » a souvent pour objectif de rendre plus acceptable la justification de l’usage de la violence légitime par les autorités politiques. Vouloir assimiler la force à la violence, c’est dénier à la non-violence d’être une force qui agit, et qui agit de façon efficace. Pour combattre les injustices (économiques, sociales, politiques et écologiques), la non-violence met en œuvre une force qui s’appuie sur l’action collective du nombre. Il ne s’agit pas tant de convaincre l’adversaire que de le contraindre en établissant un rapport de force.
Agressivité ou combativité. L’agressivité est un mot qui a une double signification : il peut s’agir d’une attitude « négative » d’attaque vers autrui (la destructivité) ou d’une attitude « positive » d’affirmation de soi : la combativité. L’agressivité est une énergie nécessaire pour une action volontaire maîtrisée. La lutte non-violente facilite la maîtrise du désir de violence qui est en nous et permet l’expression d’une combativité positive. Elle va canaliser l’énergie de la combativité afin qu’elle s’exprime par des moyens justes et pacifiques, par des dispositifs anti-mimétiques pour que l’action reste centrée sur son objet et non pas vers la violence contre les personnes.
Contrainte. L’action non-violente ne cherche pas tant à convaincre l’adversaire qu’à le contraindre. La réalité politique impose nécessairement d’envisager de créer des rapports de force avec le pouvoir. La lutte non-violente vise à exercer une force de contrainte en mobilisant le nombre dans des actions collectives de non-coopération, de confrontation et d’intervention non-violentes. Cette contrainte est de nature différente de la contrainte violente qui vise à écraser et détruire l’adversaire. La contrainte non-violente est effective quand l’adversaire n’a d’autre solution que de dialoguer et de négocier sous peine de mettre en danger son propre pouvoir. L’obstination du pouvoir d’État à ne pas céder reste toujours possible, mais il prend le risque à terme de perdre ses propres piliers de soutien, de s’affaiblir durablement, voire de se désintégrer.
Non-violence. La non-violence est à la fois un principe éthique et une méthode d’action qui portent un projet de transformation sociale et politique. Elle se fonde sur le respect de la vie et la délégitimation de la violence. Elle propose une stratégie de lutte basée sur la cohérence entre la fin et les moyens pour exercer une contrainte sur l’adversaire. Elle vise à pacifier les relations humaines, à résoudre positivement les conflits interpersonnels et ceux de la cité et à construire une société plus juste et plus fraternelle, sans jamais recourir à la violence. La non-violence est indissociablement une philosophie et une stratégie, une sagesse pratique et une technique de résistance. Elle n’est pas une idéologie, ni un dogme, mais une recherche et un chemin pour s’efforcer de concilier l’exigence morale avec le réalisme politique. « En tant que principe philosophique, la non-violence est une requête de sens, en tant que méthode d’action, elle est une recherche d’efficacité. »1 La non-violence est parfois considérée comme un mode de vie et une manière d’être avec les autres, dans une exigence de respect du vivant et de sobriété assumée. Le mot « non-violence » exprime de façon radicale à la fois le refus de la violence et la lutte contre toutes les formes de violence, institutionnelles, politiques, économiques et sociales. Construit sous la forme d’une négation, il exprime en réalité « une utopie créatrice »2, un paradigme civilisationnel libéré de la violence meurtrière.
Action non-violente. L’action dite non-violente est une action qui s’inscrit dans la démarche de la non-violence. Le refus de la violence ne saurait conduire à l’inaction et à la passivité, il exige de rechercher des alternatives efficaces à l’action violente. Ainsi, l’action non-violente n’est pas seulement une action « sans violence », elle est une méthode active de protestation, de persuasion, de résistance et d’intervention sur le terrain politique et social. Elle est une technique qui exige engagement, détermination, maîtrise de soi et parfois prise de risque. L’action dite non-violente est toujours en rapport avec une finalité juste : la défense des droits de la personne humaine, la protection du vivant, la justice, la liberté, etc. L’action non-violente est une technique d’action, souvent ponctuelle avec un objectif clair, précis, limité et possible, qui s’inscrit généralement dans une stratégie globale de lutte non-violente.
Lutte non-violente . On parle de lutte non-violente (ou de combat non-violent) pour exprimer une lutte qui s’inscrit dans la durée et qui met en œuvre une stratégie de l’action non-violente. Cette stratégie, à partir de l’analyse de la situation, définit des objectifs prioritaires à court et moyen terme et des objectifs fondamentaux à long terme. Elle met en œuvre des méthodes d’action non-violente pour atteindre ces objectifs. La lutte non-violente, par une stratégie de non-coopération massive, cherche à tarir les sources du pouvoir de l’adversaire tout en mobilisant son propre potentiel de pouvoir afin de créer un rapport de force favorable aux revendications exprimées. La lutte dite non-violente implique d’adopter, dès le commencement du conflit, l’option affichée et assumée de la non-violence comme stratégie préférentielle de lutte. Ce choix oblige à une organisation et une planification méthodique de la lutte et nécessite une formation solide des participants aux techniques d’action non-violente, notamment pour faire face à l’inévitable répression. La lutte non-violente affirme le lien intrinsèque qui existe entre l’objectif recherché et les moyens utilisés. Les moyens sont le commencement de la fin, ils sont une fin en devenir.
Non-coopération. La non-coopération (ou non-collaboration) est le principe qui fonde la stratégie de la lutte non-violente. Il s’appuie sur l’analyse des sources du pouvoir de l’adversaire, qu’il soit politique ou économique. Celui-ci, bien souvent, repose sur la collaboration et/ou la résignation et la passivité de la majorité silencieuse. Ce n’est pas tant la capacité de violence du pouvoir qui fonde l’oppression que la capacité de soumission et d’obéissance des opprimés aux lois et institutions de ce pouvoir. Ainsi, l’organisation de la non-coopération de masse est l’axe stratégique majeur d’une lutte ou d’une résistance non-violente. Cette non-coopération peut s’inscrire d’abord dans la légalité (boycott, grève), puis dans l’illégalité (désobéissance civile, sabotage non-violent). La contrainte exercée par la non-coopération devient effective lorsque les autorités en place sont dans l’incapacité de se faire obéir malgré la répression exercée contre les résistants et qu’elles perdent les soutiens qui leur assurent leur pouvoir.
Désobéissance civile. La désobéissance civile fait partie de la démarche de non-coopération. Elle est une action organisée de transgression d’une loi, d’un ordre ou d’une décision dans le but de s’opposer à une injustice sociale, écologique, politique… Elle est collective, publique, non-violente et généralement menée à visage découvert. L’action s’inscrit dans la durée dans le cadre d’une campagne d’action non-violente avec un objectif annoncé et atteignable. Les désobéisseur·euses (citoyens qui désobéissent ouvertement en conscience) assument les risques de la sanction, tout en contestant celle-ci lors des procès qui servent de tribune à la cause. En démocratie, la désobéissance à la loi est légitime lorsque celle-ci est particulièrement injuste, contraire aux valeurs de la République, ou lorsqu’elle cautionne un projet destructeur de l’environnement. Elle intervient généralement après l’épuisement du recours aux moyens légaux. En ce sens, elle est l’arme lourde de la lutte non-violente. L’objectif des désobéisseurs, dans le cadre de la triangulation du conflit, est d’obtenir le soutien de l’opinion publique afin que celle-ci exerce une pression sur le pouvoir politique. La désobéissance civile se conjugue généralement avec un programme constructif.
On distingue généralement deux formes de désobéissance civile : la désobéissance civile directe et la désobéissance civile indirecte. La première est une transgression de la loi contestée pour son injustice en vue de son abrogation ou de sa modification, la seconde est la transgression d’une loi qui n’est pas directement concernée par l’injustice. Lorsqu’aux États-Unis des étudiants noirs s’installent dans des restaurants réservés aux blancs, ils transgressent directement la loi sur la ségrégation qui leur interdit l’accès à certains lieux publics : c’est une forme de désobéissance civile directe. Lorsque des militants non-violents bloquent un train pour empêcher le transport de déchets nucléaires, ils ne s’opposent pas à la loi qui interdit d’entraver la circulation sur la voie publique, mais veulent obtenir un changement dans la politique nucléaire du pays : c’est la désobéissance civile indirecte.
Programme constructif. L’expression a été inventée par Gandhi. Dans son esprit, la non-coopération n’est que l’une des deux faces de la lutte non-violente. La seconde est le programme constructif. Si son objectif est de chasser les occupants britanniques de son pays par la désobéissance civile de masse, son but est d’apprendre aux Indiens à se gouverner eux-mêmes et à devenir autonomes politiquement et économiquement. Le programme constructif est le versant positif de la lutte non-violente. Il s’agit, en même temps que l’on conteste et que l’on résiste à une loi ou un projet néfaste, de proposer et si possible de mettre en œuvre une alternative sans attendre l’issue de la lutte. A travers le programme constructif, les citoyens reprennent leur destin en main, mettent en place des alternatives qui préfigurent le temps de l’après-résistance. Il s’agit d’une action constructive et fédératrice tournée vers l’avenir qui montre la faisabilité des propositions mises sur la table. A ce titre, le programme constructif est autant subversif que la désobéissance civile. La micro-société que représente une ZAD dans toutes ses déclinaisons économiques, relationnelles, politiques et sociétales peut être considérée comme la préfiguration d’une autre organisation sociale basée sur des valeurs de partage, de convivialité et de solidarité. Le refus partiel de l’impôt et sa redistribution est un exemple de désobéissance civile conjuguée au programme constructif.
Résistance civile. C’est un terme encore peu employé en français, surtout utilisé dans le monde anglo-saxon. C’est une pratique de résistance, collective et non armée, spontanée ou organisée, dirigée contre une force adverse puissante (gouvernement oppressif, système totalitaire, puissance militaire étrangère, coup d’État). La résistance civile est un type de lutte non-violente, mais souvent sans référence explicite au principe de non-violence. L’adjectif « civil » concerne d’une part, la dimension non armée de la résistance (méthodes non-violentes comprenant des moyens politiques, juridiques, économiques et culturels), d’autre part les acteurs civils, non militaires, qui peuvent être issus de la société civile (citoyens, associations, syndicats, partis, églises) ou/et de la société politique (institutions, gouvernements, administrations). La résistance civile comporte deux pôles complémentaires et indissociables : un pôle « négatif » qui se traduit par la mise en œuvre de moyens de non-coopération, de pression et de contrainte et un pôle « positif » fondé sur l’affirmation d’une identité et d’une légitimité s’appuyant sur des valeurs communes (en référence à une histoire, un mode de vie ou/et de société), et la volonté de préserver ou de conquérir des droits politiques et sociaux. Sous l’occupation nazie, les résistances de civils non armés ont été qualifiées de « résistance civile ». Aujourd’hui, de nombreuses études3 analysent les potentialités de la résistance civile afin d’optimiser son efficacité dans le cadre d’une planification stratégique.
Défense civile non-violente. Le concept de « défense civile non-violente » est né dans les années 1960 de la volonté de rechercher des alternatives à la défense nationale armée, à une époque où la course aux armements nucléaires commençait à faire peser de graves menaces sur la paix dans le monde. De nombreuses études en Europe et aux États-Unis sont publiées pendant trente ans afin d’explorer les possibilités d’une résistance civile à l’échelle d’un pays face à une agression militaire. La défense civile non-violente est une politique de défense qui met en place et éventuellement met en œuvre des mesures de non-collaboration et de confrontation avec l’adversaire afin de l’empêcher d’atteindre ses objectifs politiques, idéologiques, économiques et territoriaux qu’il veut imposer au pays qu’il a agressé. L’objectif de la préparation et de l’organisation de la défense civile non-violente est de dissuader un éventuel agresseur en faisant apparaître qu’il serait contraire à ses intérêts de se lancer dans une aventure qui entraînerait pour lui plus d’inconvénients que d’avantages. On parle alors de « dissuasion civile »4 . La recherche sur ce type de défense nationale, souvent qualifiée de « défense démocratique de la démocratie » (l’ensemble de la population a un rôle à jouer) s’appuie sur les nombreux exemples de résistance civile face des dictatures, des agressions militaires et des coups d’État. Ce concept, délaissé depuis la chute du mur de Berlin en 1989, retrouve une actualité du fait de l’agression russe en Ukraine. Aucun pays n’a encore adopté et mis en place ce type de défense.
Intervention civile de paix. Au début des années 90, un nouveau type d’action non-violente a vu le jour sur la scène internationale : il s’agit de l’intervention civile de paix pour défendre la démocratie et les droits humains lorsqu’ils sont menacés dans des pays parfois lointains. L’intervention civile de paix est l’envoi en mission de volontaires civils (non-militaires et non-armés) dans des zones de conflits, à la demande et auprès des organisations des sociétés civiles locales. Les volontaires, après avoir été formés et sélectionnés, effectuent des actions d’observation, d’information, d’interposition, de médiation, de coopération et de formation adaptées à la situation, dans le but de réduire ou si possible de faire cesser la violence, afin de créer les conditions d’une solution politique au conflit. L’intervention civile de paix est une alternative à l’intervention militaire, tant du point de vue des objectifs que des méthodes. Elle est pratiquée ou a été pratiquée dans de nombreux pays en conflit ou sous tensions dans le monde. Depuis 2015, cette forme de protection non armée de civils est reconnue par l’ONU.
Culture de la non-violence (et de la paix). L’expression « culture de non-violence » est récente (ONU, 1997). La notion de culture de la non-violence implique d’entrer en rupture avec des siècles de civilisation qui ont justifié et honoré la violence comme une vertu, comme un droit, comme une évidence en vue de s’affirmer, résister, se défendre, conquérir, dominer, transformer. La culture de la non-violence évoque « le développement des savoirs, des lois, des mœurs, des manières de vivre, des institutions sociales, des échelles inconscientes de valeurs, bref de l’ethos collectif tout entier dans sa profondeur, en vue de favoriser le recul de la violence sociale et d’inscrire dans les pratiques vécues d’un peuple la gestion ou la résolution non-violente des conflits »5. Ainsi, promouvoir une culture de la non-violence, c’est déconstruire les représentations positives de la violence qui la légitiment. C’est lutter contre la valorisation de la violence, des armes à feu et des armes de guerre, tout particulièrement dans les jeux vidéo, à la télévision et sur internet. C’est lutter contre toutes les formes de violences par la prévention, l’éducation, la sanction éducative et l’attitude non-violente. C’est encourager et développer, notamment par la formation, le recours à l’action non-violente sur le plan politique, économique et social. C’est développer les initiatives d’éducation et de formation à la gestion positive des conflits dès l’école et institutionnaliser la formation de la non-violence dans toutes les strates de la société, dans les quartiers, les établissements scolaires, les clubs sportifs, les entreprises, les institutions politiques et sociales. C’est rechercher les voies d’un exercice non-violent de l’autorité dans toutes les situations de pouvoir, pour sortir des relations de domination/soumission, sources de violences.
Quelques termes spécifiques de la lutte non-violente
Stratégie et tactique. La stratégie qui repose sur le choix de l’action non-violente implique de choisir et planifier les différentes campagnes d’action en vue d’atteindre un objectif politique. La tactique est la conception et la mise en œuvre d’un plan d’action limité s’inscrivant dans la stratégie globale de la lutte. La diversité des tactiques non-violentes (de persuasion, de non-coopération, de confrontation, d’intervention et de désobéissance civile) contribuent à la dynamique du combat non-violent. Dans cette perspective, toute action violente ne peut que venir contrarier cette dynamique. Concilier dans un même lieu des actions non-violentes et des actions violentes, c’est donner la prime à la violence. Celle-ci finit toujours par imposer sa logique au détriment de l’efficacité de l’action non-violente. C’est pourquoi l’affichage stratégique du choix de la non-violente est un élément essentiel qui doit permettre d’optimiser tout le potentiel de l’action non-violente.
Méthodes non-violentes. Ce sont les moyens d’action spécifiques de l’action non-violente. La typologie de Gene Sharp (qui fait référence) recense 198 méthodes non-violentes différentes classées en trois grandes catégories : Les méthodes de protestation et de persuasion (déclarations, marches, manifestations, tracts, actions symboliques…), les méthodes de non-coopération (boycotts, grèves, refus de l’impôt, actions de désobéissance civile, blocages, refus divers) et les méthodes d’intervention non-violente (actions directes, sit-in, raids non-violents, obstruction et occupation, institutions alternatives, programme constructif).
Service d’ordre. Pour assurer le déroulement pacifique d’une manifestation rassemblant un grand nombre de personnes, il est essentiel de prévoir un service d’ordre dans le cadre d’une organisation rigoureuse. L’objectif est de prévenir tout type d’incident, de protéger les manifestants et d’intervenir si nécessaire (provocateurs, contre-manifestants, forces de police agressives, manifestants violents) afin que la situation reste maîtrisée et que la manifestation demeure pacifique, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne sera pas réprimée.
Boycott. Action de non-coopération sociale, politique ou économique, par le refus d’acheter un bien ou un service ou de participer à une manifestation, par exemple sportive, souvent utilisée à l’encontre d’une entreprise responsable d’une injustice ou d’un projet destructeur de l’environnement. En cas d’interdiction, cette action s’inscrit dans la démarche de la désobéissance civile.
Grève. Action de non-coopération consistant en la cessation délibérée du travail dans une entreprise afin d’exercer une pression économique sur ses responsables. Cette action peut aussi être utilisée à l’encontre d’un pouvoir politique.
Sit-in et die-in. Méthode non-violente d’intervention directe consistant à s’asseoir ensemble (sit-in) ou à s’allonger (die-in) dans un lieu public afin de dénoncer une injustice ou un projet destructeur. Cette occupation du lieu peut entraîner une répression des forces de l’ordre. Elle nécessite donc une préparation psychologique et technique des manifestants.
Obstruction. L’obstruction est une action d’intervention directe collective consistant à empêcher la libre circulation dans un espace donné (voie publique, accès à un bâtiment…) en utilisant son corps comme obstacle incontournable pour les passants. Cette action, qui inévitablement entraînera une répression, doit être bien préparée afin qu’elle soit comprise de l’opinion publique.
Grève de la faim. La grève de la faim limitée (aussi appelée « jeûne politique ») est une méthode d’intervention qui consiste à s’abstenir de toute nourriture (mais pas de boire) pendant plusieurs jours (entre 3 et 30 jours environ). Il s’agit par cette action de dénoncer sur la place publique une situation d’injustice caractérisée. La grève de la faim illimitée est une action qui vise à obliger un pouvoir à supprimer une injustice que les grévistes subissent ou que d’autres subissent. L’objectif à atteindre ne doit pas être démesuré. La solidarité et la mobilisation de l’opinion publique sont décisives pour la réussite d’une telle action.
Sabotage (ou désarmement). Le sabotage non-violent est une action de désobéissance civile visant à neutraliser une machine, une installation qui est la cause d’une injustice caractérisée ou qui participe d’un projet destructeur de l’environnement. Illégale certes, mais légitime si l’urgence le requiert, le sabotage non-violent ou désarmement doit remplir plusieurs conditions : être en lien avec la cause défendue, priver l’adversaire d’un moyen nocif et ne pas porter atteinte à la vie et à l’intégrité physiques des personnes, qu’elles soient ou non propriétaires du lieu ou du bien. Une action de sabotage doit être bien ciblée pour contribuer à la dynamique de la lutte non-violente. La destruction de biens matériels peut être contre-productive. Il est bon alors de préférer le démontage et la déconstruction ou la mise hors d’état de fonctionner (par exemple par la soustraction d’une pièce d’une machine) à la destruction.
Usurpation civile. L’usurpation civile est une action de subversion de l’intérieur qui consiste, en restant à son poste de travail, à saboter les instructions et les ordres venus d’en haut dans l’objectif de mettre en échec un pouvoir politique illégitime, lui-même usurpateur. De leur place de travail, les fonctionnaires, les employés et l’ensemble des citoyens continuent à faire fonctionner les structures existantes, mais contre le pouvoir en place et au profit de la résistance. C’est une méthode indirecte de non-coopération et de désobéissance, mais qui n’opère pas à visage découvert. En fonction de l’évolution du rapport de force, l’usurpation civile peut devenir de plus en plus ouverte et défier directement le pouvoir établi afin de le faire chuter.
Répression. Toute action ou lutte non-violente vient se heurter, tôt ou tard, à la répression de l’État, de ses représentants ou/et de ses soutiens. Cette répression doit être anticipée et intégrée dans la stratégie de la lutte. Elle ne doit pas être le prétexte à une « riposte » violente de la part des activistes. Il s’agit toujours de garder la maîtrise du terrain, de l’initiative et des « armes » pour ne pas tomber dans le piège de la violence tendue par les forces de répression. L’objectif est de déjouer cette répression en maintenant le cap de la non-violence. Il s’agit de fortifier ses positions et de prendre l’avantage en ne fournissant aucun prétexte à la répression de l’État qui ne pourra plus la justifier devant l’opinion publique. La répression ne signifie pas l’échec de la résistance. Surmonter la plus dure des répressions (il faut se donner les moyens d’y parvenir) est synonyme de victoire proche. Le recours à la violence face à la répression policière est synonyme de défaite annoncée.
Jiu-jitsu politique. Lorsque, malgré la répression, la lutte non-violente se poursuit, cela peut modifier les rapports de pouvoir. La position de l’adversaire s’affaiblit, tandis que se renforce celle des activistes. En opposant à la répression, une défiance non-violente continue et prolongée, cela contribue à renforcer la solidarité et le soutien de l’opinion publique. Cette affirmation d’une force non-violente indestructible peut provoquer des défections significatives dans le camp adverse et l’obliger à négocier ou à se désintégrer.
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Éléments bibliographiques
– MAN, Pour une non-violence éthique et politique, Éditions du MAN, 2014
– Jean-Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence, Ed. Du Relié, 2005
– Jean-Marie Muller, Stratégie de l’action non-violente, Seuil, 1981
– Revue Recherches internationales : La non-violence en débat, n° 126, avril-juin 2023.
– Alain Refalo, Le paradigme de la non-violence : itinéraire historique, sémantique et lexicologique, Chronique Sociale, 2023
– Jacques Sémelin, Sans armes face à Hitler, la résistance civile en Europe : 1939-1943, Payot, 1989, réed. Petite Bibliothèque Payot, 1998
– Gene Sharp, De la dictature à la démocratie : un cadre conceptuel pour la libération, Ed. L’Harmattan, 2009
– Gene Sharp, La lutte nonviolente, pratiques pour le XXIe siècle, Ed. Écosociété, 2015
NOTES
1 Jean-Marie Muller, Vers une culture de non-violence, Ed. Dangles, 2000, p. 36.
2 Jacques Sémelin, « Non-violence », Encyclopédie Universalis.
3 Voir notamment les sites de l’ICNC (International Center of Non-violent Conflict) avec de nombreuses ressources traduites en français et de la GNAD (Global Nonviolent Action Database).
4 Christian Mellon, Jean-Marie Muller et Jacques Sémelin, La dissuasion civile, Ed. FEDN, 1985, p. 42.
5 Bernard Quelquejeu, « Peut-on parler de culture de non-violence ? Recherches sémantiques », Alternatives Non-Violentes, n° 109, Hiver 1998-1999, p. 4.