Le jour même où la Cour suprême a rendu son jugement sur le « cadre temporel » (1), le Sénat a approuvé le projet de loi 2903 (PL), considéré comme une menace génocidaire pour les peuples indigènes du Brésil.
Par APIB*, Organisation des peuples indigènes du Brésil
Après deux ans de procédures, la Cour suprême fédérale (STF) du Brésil a rendu le 27 septembre 2023 sa décision sur l’inconstitutionnalité du système du cadre temporel et a réaffirmé le droit originel des peuples indigènes à l’utilisation exclusive de leurs territoires ancestraux. Cependant, le même jour, le Sénat fédéral a approuvé en urgence le projet de loi 2.903/2023, qui vise à transformer le système du cadre temporel en loi, en plus de légaliser plusieurs autres violations des droits des indigènes.
« Le Sénat cherche à perpétuer le génocide indigène. Ce projet de loi légalise des crimes qui menacent la vie des peuples indigènes et intensifient la crise climatique. Le PL est inconstitutionnel et la STF a déjà annulé le Cadre temporel, mais le projet de loi contient de nombreux autres reculs des droits indigènes au-delà du Cadre. Nous poursuivons notre lutte et demandons au président Lula d’opposer son veto à ce projet de loi et de respecter son engagement envers les peuples indigènes », souligne Kleber Karipuna, coordinateur des opérations de l’Organisation des peuples indigènes du Brésil (Apib). La rapidité avec laquelle le projet de loi a été traité au Sénat est due à la pression exercée par le banc des agriculteurs et les grands groupes d’entreprises qui seraient les seuls bénéficiaires de l’approbation du cadre temporel.
Le résultat du vote des sénateurs a été de 43 voix pour et 21 contre le PL 2903. Parmi ceux qui ont soutenu la légalisation du génocide figurent les sénateurs Marcos Rogério (DEM-RO), qui a envahi 98 hectares de terres indigènes dans la vallée de Jamari, à Rondônia, Jaime Bagattoli, qui a usurpé plus de 2 000 hectares de terres indigènes du Rio Omerê, et la sénatrice Tereza Cristina, ancienne ministre de l’Agriculture dans le gouvernement anti-indigène de Bolsonaro.
Une fois que le Sénat aura approuvé le PL 2903, il appartiendra à la présidence du gouvernement fédéral de l’analyser et d’émettre un avis. Le président Lula dispose de 15 jours ouvrables à compter de la publication du projet de loi pour décider de l’approuver ou d’y opposer son veto. L’Apib exige que le Président Lula oppose son veto au PL, qui est clairement inconstitutionnel, et qu’il maintienne son engagement à respecter les droits des peuples indigènes, comme il l’a publiquement exprimé lors de sa participation à l’Acampamento Terra Livre (ATL) de 2022 et 2023.
La Cour suprême conclut que le cadre temporaire est inconstitutionnel, mais approuve de nouvelles conditions de compensation pour la démarcation des terres indigènes.
Jeudi 21 septembre 2023, avec un résultat de 9 votes pour et 2 contre le système du cadre temporaire, la STF a remporté une victoire importante dans la lutte pour les droits des peuples indigènes. Cependant, les propositions avancées par certains « ministres » [nom donné aux juges de la STF] ont ouvert un débat sur la négociation des droits indigènes. La proposition visant à assouplir l’exploitation des ressources sur les terres indigènes, en autorisant l’exploitation des ressources naturelles et minérales, a été écartée du jugement, tandis que le système de la compensation préalable a été laissé pour une deuxième négociation, lorsque les 11 ministres se sont réunis à nouveau pour définir les détails de la décision finale contre le cadre temporel.
Bien que la majorité se soit prononcée en faveur de l’inconstitutionnalité de la thèse, la STF a reconnu les critères d’indemnisation préalable des occupants des terres indigènes. Grâce à cette décision, les envahisseurs peuvent recevoir une compensation préalable de l’État pour la valeur de la terre occupée et de leur travail et constructions sur celle-ci. Compte tenu de l’histoire de l’usurpation des terres au Brésil, cette proposition d’indemnisation ouvre la porte à une corruption accrue en matière de régime foncier et récompense les envahisseurs des territoires indigènes.
Qui bénéficie du cadre temporel ? Le banc agricole du Sénat obtient une majorité pour approuver le projet de loi sur le cadre temporel.
Le même jour, alors que la conclusion du vote final de la Cour suprême sur l’inconstitutionnalité du cadre temporel était annoncée, le Sénat a fait la sourde oreille et a poursuivi la violation des droits des indigènes en approuvant le PL 2903, que l’Apib a appelé le « PL du génocide » en raison des diverses inconstitutionnalités et violations des droits contenues dans le projet de loi.
Le PL Génocide propose :
- Conditionner le droit à leurs territoires ancestraux aux seuls peuples qui s’y trouvaient le 5 octobre 1988, date de promulgation de la Constitution (thèse du cadre temporel).
- Autoriser la construction de routes, de barrages et d’autres ouvrages sur les terres indigènes sans consultation préalable, libre et informée.
- Autoriser la plantation de soja, l’élevage de bétail, la promotion de l’exploitation minière et minérale sur les terres indigènes.
- Permettre à quiconque de remettre en question les processus de démarcation des territoires, même ceux qui ont déjà été délimités.
- Reconnaître la légitimité de la possession de terres par les envahisseurs des terres indigènes.
- Établir des critères racistes pour déterminer qui est ou n’est pas autochtone.
- Assouplir la politique d’absence de contact avec les peuples indigènes en situation d’isolement volontaire.
- Reformuler les concepts constitutionnels de la politique indigène, tels que l’occupation traditionnelle, les droits indigènes et l’utilisation exclusive des territoires par les peuples indigènes.
Parmi les menaces, l’Apib souligne l’occupation illégale de certaines terres indigènes. Basé sur le recoupement des données cadastrales de l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (Incra), le rapport « Les envahisseurs » réalisé par De Olho nos Ruralistas montre que 1 692 propriétés occupent des terres indigènes, représentant 1,18 million d’hectares et que, sur ce total, 95,5 % se trouvent dans des territoires en attente de démarcation. Les politiciens brésiliens, les représentants du Congrès national et de l’exécutif possèdent 96 000 hectares situés illégalement sur des terres indigènes. En outre, nombre d’entre eux ont été financés par des agriculteurs envahissant les terres indigènes, qui ont fait don de 3,6 millions de reais [NdT: 1 reais = 0.19 Euro] à la campagne électorale des agriculteurs. Ce groupe d’envahisseurs a financé 29 campagnes politiques en 2022, pour un montant total de 5 313 843,44 reais. Sur ce total, 1 163 385,00 reais sont allés au candidat défait, Jair Bolsonaro (PL). Cela fait beaucoup de terres pour quelques agriculteurs.
* L’APIB, Articulación de los Pueblos Indígenas de Brasil, (l’Organisation des peuples indigènes du Brésil), est un organe de référence national du mouvement indigène brésilien, créé à partir de la base. Elle regroupe sept organisations indigènes régionales (Apoinme, ArpinSudeste, ArpinSul, Aty Guasu, Consejo Terena, Coaib et Comisión Guarani Yvyrupa) et a été créée dans le but de renforcer l’unité de nos peuples, de promouvoir la coordination entre les différentes régions et organisations indigènes du pays, ainsi que de mobiliser les peuples et les organisations indigènes contre les menaces et les atteintes aux droits des indigènes.
(1) Cadre temporel : système de délimitation des terres des peuples autochtones, qui s’appuie sur les limites des terres occupées au moment de la promulgation de la constitution de 1988. Pour plus d’informations : https://Apiboficial.org/marco-temporal/
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Traduit de l’espagnol par Evelyn Tischer