Depuis mardi, la ville de Munich était en proie à une vive effervescence : l’IAA, le Salon international de l’automobile (Internationale Automobil-Ausstellung), a posé pour la seconde fois ses valises (encombrantes !) dans la capitale bavaroise, au grand dam de ses détracteurs. En effet, après les vives manifestations des militants pour le climat et anticapitalistes à Francfort-sur-le-Main où il se déroulait, le salon a cherché des lieux nettement plus conservateurs, promettant d’être d’autant plus calmes et, surtout : une ville où l’automobile est une vache sacrée, puisque c’est le siège de BMW. Markus Söder, le ministre-président de Bavière, l’a précisé dans son allocution d’inauguration : l’économie de la Bavière repose à 25 % sur l’industrie automobile (BMW et Audi), comment ne pourrait-on en être fier ? La tradition veut que la Fête de la bière soit dotée d’un temps exceptionnel chaque année (Wiesnwetter). Mais cette fois, c’est le Salon international de l’automobile qui en bénéficie.

Les plus belles places de la vieille ville ont donc été prises d’assaut par la « mobilité du futur » comme le salon s’est rebaptisé pour se donner des airs de « Verkehrswende », ce passage de la société dépendante de la voiture-reine vers une mobilité sortie des énergies fossiles, du profit des actionnaires et accessible à toutes et tous. Munich est régie par un duo rouge-vert (le maire est SPD, socialiste, son adjointe est chez les Verts), on aurait pu croire que ce salon n’aurait pas l’heur de leur plaire, mais non, on a accueilli à bras ouverts ce sommet éhonté de green washing, détournant les itinéraires des lignes de bus pour assurer l’étalage d’un luxe inouï : les firmes automobiles ne vendent plus des voitures, mais du luxe. C’est la nouvelle « Luxury Strategy », bien entendue réservée aux plus nantis et aux élites, celles qui refusent de reléguer aux oubliettes leurs jets privés et encombrent nos rues avec leur SUV. Et n’allez surtout pas croire que les ouvriers des grands ateliers de fabrication pourront se payer un jour ces carrosses onéreux… Le maire Dieter Reiter, lorsqu’on lui parle des critiques, déclare que des gens qui se plaignent, il y en aura toujours. Tout baigne ! Rebelote en 2025.

Ma voiture, cette espionne à laquelle je suis accro

Tandis que se déroule une mobilité d’avenir à vous faire frémir d’horreur devant tant de technologie sophistiquée (bien évidemment, c’est elle qui nous sauvera !), une récente étude de la fondation Mozilla a passé au crible les voitures modernes, truffées de capteurs, de micros, de caméras, de traceurs, révélant que leur protection des données, recueillies bien entendu à notre insu, laisse à désirer : les voitures sont la pire catégorie de produits en ce qui concerne notre vie privée ! (À l’exception de Renault et Dacia qui s’en tirent un peu mieux.) Qui pourrait s’en étonner ? Le numérique nous envahit insidieusement, mais sûrement. Et nous nous laissons faire. C’est scandaleux de nous vendre cette mobilité-là. D’ailleurs, le premier bilan de l’IAA d’un quotidien allemand : électrique et chinoise, voilà la mobilité de demain. Faut-il s’en féliciter ? Mais déjà rien que l’idée que la voiture dans laquelle je m’assieds m’espionne, me fait froid dans le dos et fait naître en moi l’impression qu’elle est mon ennemie, à laquelle je me livre pieds et poings liés. 84 % des firmes automobiles partagent ou vendent ces données tout ce qu’il y a de plus intimes ! À qui profitent-elles ? Là, cela devient plutôt opaque. Bah, qu’importe ! Et 56 % ont reconnu qu’elles peuvent les communiquer à un gouvernement en réponse à une demande « informelle ». Bravo ! C’est édifiant.

L’Alliance « Block IAA » (bloquer l’IAA) en parallèle à l’IAA

Le déploiement des forces de police pour parer à tout affrontement éventuel dû aux adversaires de l’IAA, les soi-disant « éco-terroristes », venus de tous les coins de la République fédérale et même de l’étranger, était outrageusement disproportionné : 4 500 policiers et policières. Pour surveiller le campement réuni autour de divers mouvements, groupuscules et ONG allant d’attac aux Zapatistes, ils étaient cantonnés aux abords d’un parc de Schwabing, l’ancien quartier de la bohème munichoise de la fin du XIXe siècle, où se déroulait le programme alternatif. Une bonne quarantaine de bus VW, des policiers à cheval, ici et là des agglutinements d’uniformes, des caméras. La bonne humeur des adversaires ne s’est pas troublée pour autant : le programme était fourni, varié, coloré, combatif et proposait des alternatives au « tout bagnole ». Divers ateliers, discussions et débats ont eu lieu, donnant la parole à des altermondialistes, des syndicalistes, des activistes de tout poil et de tout bord. Seuls des partis marginaux (comme le sont devenus Die Linke, la gauche), le MLPD (Parti marxiste-léniniste allemand), les Ökologische Linke, étaient de la partie. Les Verts allemands, quant à eux, se sont fait étriller : ils se font accuser de jouer un double jeu. Le climat ne leur importerait-il finalement pas tant que cela ? La dernière journée du camp a été couronnée par une grande manifestation à laquelle ont participé 2 500 personnes selon la police, 3 200 selon les organisateurs : un signal haut et fort contre la domination automobile.

Le camp du changement de la mobilité