Dans un communiqué de presse, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a annoncé le 7 août 2023 avoir reçu divers exposés écrits provenant d’États et d’organisations internationales en vue de la préparation de son avis consultatif sur l’occupation et la colonisation prolongées du territoire palestinien par Israël : voir le communiqué de presse officiel de la CIJ en anglais et en français. Cette procédure consultative a été enregistrée par le Secrétariat de la CIJ sous l´appellation officielle suivante: « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est« .
Parmi les 57 opinions juridiques enregistrées, on compte en provenance du continent américain, les exposés écrits (par ordre chronologique) du Canada, du Chili, de la Guyane, du Brésil, du Belize, des États-Unis, de la Bolivie, de Cuba, de la Colombie et du Guatemala ; aucune organisation de ce continent n’a envoyé d´opinion juridique, contrairement, par exemple, au continent africain, avec un avis de l’Union Africaine (UA), en plus de ceux de deux autres organisations internationales : la Ligue des États arabes et l’Organisation de la Coopération Islamique.
Pour ce qui est du Moyen-Orient, des observations écrites ont été reçues (par ordre chronologique) de la Turquie, de la Jordanie, du Liban, d’Israël, de la Syrie, de la Palestine, de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite, du Qatar, du Yémen, des Émirats Arabes Unis, d’Oman et du Koweït.
En ce qui concerne l´Europe, on signalera (par ordre chronologique) les écrits envoyés par le Luxembourg, le Liechtenstein, la Norvège, la Suisse, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Hongrie, la France, l’Irlande et la République Tchèque.
C’est la deuxième fois dans l’histoire que la procédure consultative est utilisée devant la CIJ pour traiter de la situation en Palestine. En effet, en 2004, la CIJ a rendu un avis consultatif sur les conséquences juridiques de la construction par Israël d’un mur dans les territoires palestiniens (voir le texte intégral avec, au paragraphe 9 – page 142- la liste chronologique des avis juridiques reçus d’États et d’organisations internationales) : afin de consulter le type d´avis juridiques envoyés aux juges de La Haye par les Etats, le document envoyé par la France en 2004 est disponible ici, ainsi que celui remis par les autorités palestiniennes de l´époque. Le document envoyé par Israël en 2004 permet aussi de mesurer les efforts déployés – sans grand succès – afin d´essayer de soustraire une question juridique à la connaissance de l´organe judiciaire principal des Nations Unies.
On notera que les exposés écrits envoyés par les Etats en cette année 2023 ne sont pas encore rendus publics sur le site de la CIJ. Nonobstant, dans le cas de celui envoyé par le Canada, une ONG canadienne se l´est procuré et l´a mis en ligne: voir texte complet des 5 pages remises aux juges de La Haye le 14 juillet 2023 accompagné d´une note – profondément indignée – de l´ONG canadienne CJPMO.
Bref rappel historique
Comme on s’en souviendra, le 30 décembre 2022, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté une résolution confirmant et ratifiant une résolution précédemment adoptée, et ce au mois de novembre 2022 (Note 1) : dans cette résolution, il était demandé à la CIJ de donner un avis consultatif sur ce qui se passe sur le territoire palestinien (voir le communiqué officiel des Nations Unies).
En ce qui concerne la demande faite à la CIJ dans la résolution de novembre 2022, elle découle du fait suivant, fort peu médiatisé : la publication d’un rapport le 22 octobre 2022 élaboré par une Commission d’enquête créée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies sur ce qui s’est passé en 2021 en Palestine – (voir lien officiel et texte intégral en français). Ce rapport incluait dans ses recommandations finales que :
« 92. La Commission recommande à l’Assemblée générale de prendre les mesures suivantes :
- a) Adresser d’urgence à la Cour internationale de Justice une demande d’avis consultatif sur les conséquences juridiques du refus persistant par Israël de mettre fin à son occupation du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui constitue une annexion de facto, sur les politiques appliquées pour maintenir cette occupation et sur le refus par Israël de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ainsi que sur l’obligation incombant aux États tiers et à l’Organisation des Nations Unies de veiller au respect du droit international ;
- b) Transmettre le présent rapport au Conseil de sécurité et lui demander d’envisager de nouvelles mesures pour faire cesser la situation illégale résultant de l’occupation permanente imposée par Israël, et demander au Conseil d’exiger qu’Israël mette fin immédiatement à son occupation permanente ».
Cette suggestion relative à la CIJ a été immédiatement approuvée par un groupe d’États, traduite en termes acceptables pour une majorité d’entre eux, dénotant une stratégie diplomatique assez habile afin d’obtenir un premier vote largement favorable le 11 novembre 2002.
Il convient également de noter que le contenu du rapport présenté en octobre 2022 par cette commission d’enquête, et dont nous recommandons la lecture dans son intégralité, n’a pas été diffusé par les médias grand public. Comme à son habitude, l’appareil diplomatique israélien n’a rien trouvé de mieux que de tenter de discréditer les trois membres de cette commission (voir l’article du PassBlue), une attitude qui n’impressionne plus grand monde au sein des Nations Unies.
La procédure consultative de la CIJ est régie par les articles 65 à 68 de son statut (voir texte).
Cette demande d´avis consultatif a été officiellement enregistrée le 19 janvier à La Haye (voir le communiqué officiel de la CIJ en anglais et en français daté du 20 janvier 2023). Il est à noter que la procédure consultative permet à la CIJ de recevoir des exposés écrits de la part d’Etats et d’organisations internationales.
Les deux questions posées au juge international
Les deux questions posées à la CIJ par l´Assemblée Générale des Nations Unies dans la résolution A/Res/77/247 (voir texte) sont les suivantes (paragraphe 18) :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
Nous avons eu l’occasion d’analyser et de mettre en perspective le précédent vote, intervenu le 11 novembre 2022 au sein de la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, et de souligner la profonde crainte qu’il avait suscitée au sein des plus hautes autorités israéliennes : voir notre article publié au Canada le 10 décembre 2022, et intitulé « Situation dans le territoire palestinien et justicie internationales : brèves réflexions sur la tentative en cours auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ)« .
Cette crainte annonçait des démarches diplomatiques au plus haut niveau, qui ont été effectivement déployées par Israël et par son fidèle allié américain à partir du 11 novembre pour tenter de freiner à tout prix cette initiative. Comme nous l’avons analysé dans le cas de l’Amérique Latine, ces tentatives ont eu une efficacité très limitée, à quelques rares exceptions près (dont le Costa Rica) : voir notre article (en espagnol) publié au Costa Rica et intitulé « L’Amérique Latine face à une demande d’avis consultatif de la justice internationale sur la situation en Palestine : brèves notes sur l’inhabituel vote négatif du Costa Rica / América Latina ante solicitud de opinión consultiva a justicia internacional sobre la situación en Palestina: breves apuntes sobre insólito voto en contra de Costa Rica « .
L’importance des pressions diplomatiques exercées entre les deux votes
Deux votes ont donc eu lieu sur cette résolution demandant au juge de La Haye de se prononcer sur la situation en Palestine:
– le 11 novembre, au sein de la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale, le résultat fut de 98 voix pour, 17 contre et 52 abstentions, et 25 « No Show » ;
– lors du vote du 30 décembre à l’Assemblée Générale proprement dite, le résultat a été de 87 voix pour, 26 contre et 53 abstentions, tandis que 26 Etats ont décidé de ne pas être présents au moment de l´enregistrement du vote.
Le tableau de vote reproduit ci-dessous du second vote de décembre 2022 montre en détail quels États ont succombé aux pressions de toutes sortes exercées par l’appareil diplomatique israélien et par son fidèle allié américain. Ce tableau permet également de prévoir la position envoyée dans l’avis juridique soumis à la CIJ de La Haye avant le 28 juillet 2023 par certains Etats.
Il est à noter que ces démarches diplomatiques n’ont pas produit d’effets majeurs, à quelques exceptions près : le seul cas – un peu particulier – d’un État qui a voté pour en novembre puis contre en décembre (Kenya). Comme il est d’usage dans ce genre de circonstances, aucune explication officielle n’a été donnée pour expliquer ce changement soudain de position du délégué kényan aux Nations Unies.
Tableau du vote enregistré officiellement aux Nations Unies le 30 décembre 2022 concernant le projet de résolution A/77/400., diffusé sur les réseaux sociaux a pein connus les résultats, comme par exemple, parmi bien d´autres, la Mission Permanente de la Palestine aux Nations Unies (voir compte twitter).
Le vote des États d’Amérique latine dans cette 2022 : le Guatemala et le Costa Rica sont les seuls à avoir voté non
En examinant en détail ce qui s’est passé entre novembre (premier vote) et décembre (deuxième vote), en Amérique Latine, le Guatemala a maintenu son vote négatif lors des deux votes.
Il convient de noter que le Guatemala a été le seul État latino-américain à voter contre lors du vote de novembre 2022. Il est utile de rappeler que le Guatemala a été le seul État au monde à se sentir obligé de « seconder » le président des États-Unis de l’époque en 2018, en déplaçant également son ambassade à Jérusalem après que les États-Unis l’aient fait (voir l’article de France24 de mai 2018). Lorsque le Guatemala a officiellement reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël le 24 décembre 2017, nous avons eu l’occasion d’écrire dans un article paru en espagnol au Costa Rica que :
« Après l’échec aux Nations Unies, d’abord au Conseil de Sécurité, avec 14 voix contre le seul veto américain, puis à l’Assemblée Générale (128 voix pour, 9 contre), pour les États-Unis et Israël, disposer d´un autre État pour approuver la décision américaine était une priorité absolue : le Guatemala leur a permis de la matérialiser / Traduction de: « Después del fracaso obtenido en Naciones Unidas, primero en el seno del Consejo de Seguridad, con un marcado resultado de 14 votos contra el único veto norteamericano, y luego en la Asamblea General (128 votos a favor, 9 en contra), para Estados Unidos e Israel el contar con otro Estado que acuerpara la decisión de Estados Unidos constituía una máxima prioridad: Guatemala les permite ahora materializarla » (Note 2).
Pour en revenir à la résolution de l’Assemblée Générale demandant un avis consultatif à la CIJ lors de ce second vote du 30 décembre 2022, il convient de noter que l’Équateur, Haïti, le Honduras et l’Uruguay ont maintenu leur précédente abstention de novembre. Il est intéressant de noter que malgré le fait que ces quatre États (comme beaucoup d’autres) aient subi des pressions de la part d’Israël et de son fidèle allié américain, ils ont choisi de maintenir leur position inchangée.
D’autre part, il convient de noter le changement de position entre le vote du 11 novembre et celui du 30 décembre des États suivants : le Brésil a voté pour le 11 novembre et s’est abstenu le 30 décembre. Il en a été de même pour les délégations du Panama et de la République Dominicaine. Il est intéressant de noter que le vote du Brésil a eu lieu alors que son Président était déjà en route pour les Etats-Unis, refusant de participer à la cérémonie d’investiture des autorités brésiliennes nouvellement élues le 1er janvier 2023 : ces dernières ont pu compter avec la présence du chef de la diplomatie palestinienne, assistant personnellement à la cérémonie (voir l’intéressante interview réalisée par le Correio Braziliense le 3 janvier 2023, qui augure d’un renforcement des relations futures entre le Brésil et la Palestine).
Costa Rica et Colombie : un exercice frappant de renversement de position
Les cas du Costa Rica et de la Colombie, qui s’étaient tous deux abstenus lors du premier vote du 11 novembre 2022, sont considérés comme beaucoup plus frappants.
– Le Costa Rica, qui s’était abstenu le 11 novembre, a ensuite voté contre le 30 décembre, rejoignant ainsi 25 autres États (parmi lesquels réapparaît le groupe d’États qui, année après année, cherchent automatiquement à protéger Israël à l’ONU, à savoir l’Australie, le Canada, les États-Unis, les Îles Marshall, la Micronésie, Nauru et Palau). Sauf erreur de notre part, aucune explication officielle n’a été donnée à ce changement soudain de position de l’appareil diplomatique costaricien ;
– La Colombie, pour sa part, a choisi de changer de position et de voter en faveur de la résolution.
Pour rappel, le Costa Rica a reconnu la Palestine comme État depuis février 2008, alors que la Colombie ne l’a fait qu’en août 2018 : voir l’article d’ElPais d’Espagne et l’article de presse de la DW expliquant que cet acte de l’Exécutif colombien a eu lieu le dernier jour du second mandat de la présidence de Juan Manuel Santos. Sachant que la Colombie est devenue le dernier État d’Amérique Latine à avoir procédé à cette reconnaissance, le revirement soudain du Costa Rica en décembre 2023 à l’Assemblée Générale des Nations Unies est encore plus difficile à comprendre.
C’est la première fois depuis de nombreuses années que l’on observe un vote aussi singulier du Costa Rica sur la question palestinienne, un État qui avait réussi à prendre ses distances avec Israël depuis 2006, après une longue période au cours de laquelle le Costa Rica avait adopté des positions très proches de celles demandées par la diplomatie israélienne aux Nations Unies. L’ancien Ministre des Affaires Étrangères du Costa Rica, Bruno Stagno (2006-2010), a écrit dans un livre paru en espagnol que :
« Je me souviens de deux cas qui, d’une manière ou d’une autre, reflétaient l’ensemble complexe, mais toujours voilé, d’intérêts qui entraient en jeu lorsqu’il s’agissait de traiter la question d’Israël. En tant qu’Ambassadeur, Représentant permanent auprès des Nations Unies, j’ai vécu et souffert de cette situation. Je me souviens que, pour me marquer lors des votes sur la situation au Moyen-Orient, l’Ambassadeur du Costa Rica à Washington DC, Jaime Daremblum, s’était aliéné certains membres du Congrès américain, de sorte qu’ils m’envoyaient des lettres m’incitant ou m’ordonnant de voter en faveur d’Israël. Le membre du Congrès Tom Lantos a été le plus insistant, s’adressant même directement au président Pacheco de la Espriella. Je me souviens également de l’indignation avec laquelle l’Ambassadrice émérite Emilia Castro de Barish a expliqué que, par le passé, il avait été accepté qu’un fonctionnaire de la Mission permanente d’Israël s’assoie dans la deuxième rangée de sièges réservée au Costa Rica, afin de s’assurer du vote « correct » du Costa Rica » (Note 3).
De quelques autres changements de position curieux
En Europe, les États qui se sont abstenus en novembre et qui ont voté contre en décembre 2022 sont la Croatie, le Royaume-Uni et la Roumanie.
On notera en passant que l´Ukraine, qui avait voté pour en novembre 2022, voit son son nom figurer parmi les « No Show » en décembre 2022. Pour comprendre cette absence (remarquée) du délégué ukrainien lors du second vote, il faut se rappeler que le vote initial de la délégation ukrainienne en novembre 2022 avait profondément irrité Israël : en réponse, Israël choisit alors de s’abstenir sur une résolution ultérieure concernant l’obligation de la Russie de compenser les dommages causés en Ukraine depuis qu’elle a lancé sa dénommée « opération militaire spéciale » – terme officiellement utilisé en Russie – le 24 février sur le sol ukrainien (voir cette note du Times of Israel et notre brève note – en espagnol – sur cette résolution adoptée en faveur de l’Ukraine le 15 novembre 2022). Outre l´irritation de l´appareil diplomatique israélien, cette abstention pourrait aussi s´expliquer du fait qu’Israël considère (peut être et… déjà …) qu’il est dans son intérêt de ne surtout pas reconnaître qu’un Etat a l´obligation de répondre des faits internationalement illicites et des dommages commis par ses militaires sur un territoire qui ne lui appartient pas.
Pour ce qui est de la résolution sur l´avis consultatif portant sur la Palestine, l’étrange absence du délégué en décembre 2022 suite à un vote favorable de novembre 2022 constitue une curiosité, qui ne se limite pas seulement l´Ukraine : c’est aussi le cas du représentant du Bénin, du Cap Vert, de la Gambie, du Niger, du Suriname, du Tchad, du Timor Oriental et de l’Ouzbékistan.
En sens inverse, une absence peut devenir un mois plus tard un vote. Autrement dit, un « No Show » au mois de novembre est « converti » à un vote contre, en décembre 2022: c´est le cas de la Corée du Nord et de la Papouasie Nouvelle Guinée.
La « coalition » inébranlable aux Nations Unies sur laquelle Israël peut toujours compter
Comme c’est devenu presque coutume dans ce genre d´exercices aux Nations Unies, un observateur reconnaîtra le « noyau dur » d’États qui s’opposent systématiquement à tout initiative en faveur de la Palestine, à savoir: l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, les Îles Marshall, Israël, la Micronésie, Nauru, et les Palaos. En général, ce groupe fort restreint parvient à attirer parfois des votes occasionnels et circonstanciels (que ce soit en provenance d’Europe Centrale, d’Afrique ou encore d’Amérique Centrale).
À titre d’exemple, parmi beaucoup d’autres, lorsqu’en novembre 2012 l’Assemblée Générale a reconnu la Palestine comme un « État observateur Non Membre« , en adoptant la résolution A/Res/67/19 (138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions), cette étrange association d’États a été rejointe par le Panama et par la République Tchèque (voir le communiqué officiel des Nations Unies). A ce jour, le Panama reste le seul Etat latino-américain à ne pas reconnaître formellement la Palestine en tant qu’Etat.
De même (9 voix contre), ce fut le cas lors d’un vote à l’Assemblée Générale sur l’obligation de ne pas transférer les ambassades à Jérusalem en décembre 2017, avec 128 voix pour et 35 abstentions (voir communiqué officiel des Nations Unies) : à noter que c’est un texte très similaire qui avait fait l’objet d’un précédent vote au Conseil de Sécurité, où les États-Unis avaient seuls voté contre (veto) contre 14 voix pour (voir notre note à ce sujet publiée en espagnol).
Cette étrange « coalition » (selon le terme utilisé par le Washington Post en 2012 – voir article ), s’est également exprimée en 2021, lors du vote de la résolution A/RES/76/225 (voir texte), avec ses 7 voix contre, contre 156 voix pour et 15 abstentions (voir détails du vote) : loin d’être une alliance de circonstance, les liens qui unissent ses membres semblent correspondre à ceux d’un front durable et fort solide.
En 2022, ces liens sont réapparus lors du vote de la résolution intitulée « Règlement pacifique de la question de Palestine » A/77/L.26, adoptée le 30 novembre 2022 par 153 voix pour, 9 contre et 10 abstentions (voir détails du vote au cours duquel la Hongrie et le Libéria ont rejoint ladite « coalition« , l’Australie s’étant finalement abstenue).
Ce groupe déjà restreint peut parfois l’être … encore un petit peu davantage . L’une des expressions les plus modestes en nombre de voix de la soi-disant « coalition » (4 votes contre : Etats-Unis, Israël, Iles Marshall et Micronésie) fut sans doute obtenue lors du vote d’une résolution en octobre 2003 sur la construction du mur érigé par Israël en territoire palestinien, adoptée avec 144 voix pour et seulement 4 voix contre (voir le communiqué officiel des Nations Unies). Dans le cas de la résolution A/RES/ES-10-15 votée le 20 juillet 2004 demandant à Israël de mettre en œuvre l’avis consultatif de la CIJ du même mois, le vote a enregistré 150 voix pour, 10 abstentions et 6 votes contre (Australie, Etats-Unis, Iles Marshall, Israël, Micronésie et Palau).
En guise de conclusion
Au-delà de l’effet somme toute assez limité, des pressions exercées par Israël et les Etats-Unis pour freiner cette initiative en cette année 2022, cette résolution de l’Assemblée Génerale a été adoptée et ratifiée en décembre 2022.
Elle a ensuite été envoyée au juge international de La Haye au début de l´année 2023 pour qu’il examine la situation en Palestine au regard du droit international en vigueur.
Comme indiqué, la procédure consultative de la CIJ permet de lui remettre des opinions juridiques aussi bien provenant d’États que d´organisations internationales. Dans le premier cas, il est fort probable qu’Israël et les États-Unis aient convaincu certains ministères des affaires étrangères en vue de rédiger des avis juridiques en faveur d’Israël, comme cela s’est produit lors de la procédure consultative similaire devant la CIJ en 2003-2004 concernant cette fois, la construction par Israël d’un mur sur le territoire palestinien (Note 4) : à cette occasion, la résolution ES/10/14 (voir texte) demandant un tel avis à la CIJ avait été adoptée le 8 décembre 2003 avec 90 voix pour, 8 contre – Australie, Éthiopie, Israël, Îles Marshall, Micronésie, Nauru, Palau et États-Unis – et 74 États ayant choisi de s’abstenir. Il est à noter qu’aucun État d’Amérique Latine n’avait alors voté contre (Note 5).
Dans le second cas – avis juridiques provenant d’organisations internationales – lors de la transmission de la demande d’avis consultatif à la CIJ le 17 janvier 2023 (voir lettre), le Secrétaire Général des Nations Unies a informé la CIJ que ses services préparaient également un document fort utile aux juges pour leurs délibérations futures :
« A cet égard, je tiens en outre à vous informer que, conformément au paragraphe 2 de l’article 65 du Statut de la Cour, le Secrétariat entamera la préparation d’un dossier contenant l’ensemble des documents pertinents pouvant servir à élucider ces questions. Ce dossier sera transmis à la Cour en temps utile« .
Alors que depuis le 24 féviere 2022, les Etats-Unis et l’Europe cherchent à convaincre le reste du monde de l’impérieuse nécessité de condamner fermement la Russie pour l’agression militaire subie par l’Ukraine, pour la destruction intentionnelle par la Russie des infrastructures publiques qui permettent à la population civile ukrainienne de subsister, les deux votes relatifs à la Palestine dans les derniers mois de 2022 ont mis en évidence l’incohérence de bien des Etats, en essayant d´empêcher que la CIJ examine l’application de ces mêmes règles internationales sur le territoire palestinien.
N’est-il pas dans l’intérêt de tout État membre des Nations Unies et de la communauté internationale en tant que telle, que ces mêmes règles, invoquées à juste titre par l’Ukraine, soient appliquées uniformément et dûment respectées par tous les autres États, y compris par Israël (Note 6) ? N’est-ce pas le droit de tout État de faire appel à une instance judiciaire internationale telle que la CIJ lorsqu’il s’estime victime de violations par un autre État de règles en vigueur dans l’ordre juridique international ?
Cette deuxième question devrait en particulier interpeller les Etats qui reconnaissent déjà officiellement la Palestine comme Etat (et qui actuellement sont au nombre de 138), reconnaissance dans laquelle le Costa Rica a joué un rôle notoire et décisif en Amérique Latine (Note 7).
– – Notes – –
Note 1 : Le texte de la résolution adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 11 novembre 2022 est disponible dans les différentes langues officielles ici. Pour les quelques études menées sur cette première résolution, cf. POWER S., « UN General Assembly Committee Adopts Resolution Requesting Second Advisory Opinion from ICJ on Occupied Palestinian Territory« , EJIL-Talk, edición del 20 de diciembre del 2022, disponible ici . Ainsi que cette publication en 13 questions élaborée par Diakonia, Centre de Droit International Humanitaire (sans indication des auteurs), « The ICJ advisory opinion on the legal consequences of Israel’s occupation of Palestinian territory« , novembre 2022, disponible ici.
Note 2 : Cf. (en espagnol) BOEGLIN N., « La desafortunada decisión de Guatemala de trasladar su embajada a Jerusalén: breves apuntes« , DerechoInternacionalcr, édition du 29/12/2017. Texte disponible ici.
Nota 3: Traduction libre de l´auteur des propos de Bruno Stagno dans son livre : « Recordé dos casos que de una u otra manera reflejaban el intricado, pero aún velado conjunto de intereses que entraban en juego al tratarse el tema de Israel. Como Embajador, Representante Permanente ante las Naciones Unidas, lo había vivido y sufrido. Recordaba como para marcarme en las votaciones sobre la situación en Medio Oriente, el entonces embajador de Costa Rica en Washington DC, Jaime Daremblum, alienaba a algunos miembros del Congreso de Estados Unidos, para que me enviaran cartas instándome o instruyéndome a votar a favor de Israel. El congresista Tom Lantos sería el más insistente, dirigiéndose incluso directamente al Presidente Pacheco de la Espriella. También, recordé la indignación con que la Embajadora Emérita, Emilia Castro de Barish, comentaba cómo en el pasado se había aceptado que un funcionario de la Misión Permanente de Israel se sentara en la segunda fila de asientos, reservados para Costa Rica, con el fin de velar por el voto «correcto» de Costa Rica » : STAGNO UGARTE B., Los caminos menos transitados. La administración Arias Sánchez y la redefinición de la política exterior de Costa Rica, 2006-2010, Heredia, Editorial UNA (EUNA), 2013, pp. 70-71.
Note 4 : Cette autre demande d´avis consultatif fut formulée au mois de décembre 2003, avec le vote d´une résolution adoptée avec 90 votes pour, 8 contre et 74 abstentions (voir note de presse des Nations Unies). Cette dernière a abouti à l’avis consultatif de la CIJ de juillet 2004 sur les conséquences juridiques de la construction d’un mur par Israël dans le territoire palestinien occupé. La question posée au juge international en 2003 par l’Assemblée générale était la suivante : « Quelles sont en droit les conséquences de I’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949 et les résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale? « . Dans le texte de l’avis consultatif publié sept mois plus tard, et dont la lecture intégrale est recommandée, on notera que le dispositif – paragraphe 163, 2) – a été adopté avec 14 voix pour et une seule contre, celle du juge nord-américain Thomas Buergenthal.
Note 5 : En ce qui concerne le vote sur la résolution ES/10/14 du 8 décembre 2003, en Amérique Latine, l’Argentine, le Brésil, Cuba, Haïti, le Mexique et le Panama ont voté pour et les États suivants se sont abstenus : Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Équateur, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Uruguay et Venezuela.
Note 6 : Sur le cas de l’Ukraine et de la Russie, nous renvoyons à notre brève analyse – en espagnol – relative à la non-comparution de la Russie devant le juge de La Haye : BOEGLIN N., « La fuerza del derecho ante el derecho a la fuerza. A propósito de la no comparecencia de Rusia ante la Corte Internacional de Justicia (CIJ)« , site de la Universidad de Costa Rica (UCR), Sección Voz Experta, édition du 23 mars 2022. Texte disponible ici. Plus généralement, nous renvoyons nos chers lecteurs à cet hyperlien de la Société Française pour le Droit International (SFDI) recensant les fort nombreuses opinions de divers spécialistes sur l´action de la Russie contre l´Ukraine au regard du droit international public.
Note 7 : La reconnaissance de la Palestine en tant qu’État par le Costa Rica en février 2008 a réactivé le soutien à la Palestine en tant qu’État dans la région latino-américaine et ailleurs dans le monde. Après la reconnaissance du Costa Rica, l’Amérique Latine a répondu à cet appel en faisant des gestes similaires en faveur de la Palestine : dans l’ordre chronologique, le Venezuela (avril 2009), la République Dominicaine (juillet 2009), la Bolivie, le Brésil, l’Équateur et le Paraguay (décembre 2010), le Pérou et le Chili (janvier 2011), l’Argentine (février 2011), l’Uruguay (mars 2011), le Salvador et le Honduras (août 2011) et le Guatemala (avril 2013). En août 2018, la Colombie a procédé à la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État. Il convient de noter qu’une demande officielle palestinienne déposée en 2011 auprès du Conseil de Sécurité pour devenir membre à part entière des Nations Unies en tant qu’État membre (voir note) est toujours en attente de résolution : le fait qu’elle n’ait pas été résolue en 2023 n’a pas du tout empêché 138 États de reconnaître formellement la Palestine en tant qu’État ; et depuis 2012, la Palestine s’est vu accorder le statut d’ « État observateur Non Membre » par l’Assemblée Générale des Nations unies, ce qui lui a permis d’adhérer à un grand nombre de traités multilatéraux. En cas de doute émis par certains sur la capacité juridique d’un État non membre des Nations Unies pour ce faire, il suffit de se rappeler que la Suisse n’est devenue membre des Nations Unies que le 10 septembre 2002.