Le mois d’août est le mois de la Pachamama, une célébration qui nous oblige à réfléchir aux revendications des peuples indigènes de Jujuy et à leur méritoire Tercer Malón pour la paix (marche des peuples originaires) qui, en traversant plusieurs régions du pays pour revendiquer leurs droits et l’abrogation de la nouvelle constitution de Jujuy, est parvenue jusqu’à la ville de Buenos Aires. Les communautés indigènes ont toujours lutté pour préserver leurs territoires collectifs. Elles ont lutté avec noblesse, sans égoïsme et en recherchant le respect de l’écosystème, de l’eau et de leur culture.

par Miguel Julio Rodríguez Villafañe (*)

Dans la région de la Puna, il convient de rappeler un fait historique peu connu. Il y a 149 ans, le 3 décembre 1874, a eu lieu la bataille d’Abra de la Cruz ou Combate de Cochinoca. À cette occasion, les indigènes se sont battus pour obtenir la propriété de leurs terres ancestrales et pour pouvoir les exploiter sans subir les exigences oppressives des propriétaires terriens illégitimes, qui leur demandaient des loyers élevés pour les cultiver ou les obligeaient à travailler pour eux sous peine d’être expulsés.

En réponse à ces injustices, les Indiens Puna de Yavi, Rinconada, Santa Catalina et Cochinoca se sont soulevés. Ils n’avaient pas d’armes à feu, typiques d’une armée de l’époque, mais seulement des boleadoras, des lance-pierres en laine de lama, des flèches, des lances et d’autres armes rustiques.

Face à la position des indigènes qui réclamaient leurs droits, le gouverneur José María Álvarez Prado proposa une bataille pour défendre les intérêts des propriétaires terriens. Les indigènes triomphèrent dans la bataille devant un bataillon de 300 soldats. Le commandant Álvarez Prado fut fait prisonnier, mais ne fut pas exécuté par ses ravisseurs et fut libéré.

Bataille de Quera

Après la défaite, un an plus tard, Alvarez Prado, en tant que commandant en second, avec environ 1100 soldats professionnels bien équipés, le 4 janvier 1875, a affronté les Indiens dans la bataille dite de Quera.

La bataille a été menée contre des Indiens qui n’avaient pas d’armes adéquates pour l’engagement, dans un combat féroce et inégal. Les soldats de Prado ont vaincu les Indiens, mais les vainqueurs, sans la noblesse des aborigènes et dans une attitude différente de celle de la bataille d’Abra de la Cruz, ont capturé les chefs indigènes Federico Zurita, Benjamín Gonza et Laureano Saravia Anastasio Inca, qui ont été fusillés sur place et dont les corps ont été exposés en guise de leçon.

La vengeance morale en mémoire

Aujourd’hui, paradoxalement, le ministère de l’éducation du gouvernement de Jujuy de Gerardo Morales a autorisé le fonctionnement des soi-disant académies prémilitaires. Elles sont au nombre de deux, dont l’une, baptisée Général Álvarez Prado, est en activité et possède des branches à Quiaca, Humahuaca, Tilcara, Perico, San Pedro, San Salvador et Palpalá.

La désignation de l’académie constitue en soi une offense morale à la mémoire active des peuples indigènes, puisqu’il s’agit du commandant qui a abattu sans ménagement leurs chefs lors de la bataille de Quera.

Les académies sont payantes et accueillent des enfants appelés « aspirants » de sept à treize ans et d’autres élèves, appelés « cadets », de quatorze à vingt-trois ans, des deux sexes. Là, on leur donne une instruction militaire et on leur promet de faciliter leur entrée dans la police provinciale et dans les instituts militaires nationaux.

Dans ces académies, les enfants et les jeunes sont également amenés à effectuer des actions militaires inadaptées à leur âge, sans que les valeurs fondamentales des droits des mineurs ne soient respectées. Les élèves sont amenés à scander à leur tour des slogans contre les revendications indigènes. Dans le cadre d’une véritable colonisation mentale, ils sont préparés à répudier les actions des peuples indigènes, éliminant dans la conscience de beaucoup d’entre eux leurs origines et leur culture, et les entraînant à lutter contre leur propre peuple.

Une réforme anticonstitutionnelle

La restitution en bonne et due forme des territoires ancestraux reste, aujourd’hui encore, une dette impayée à l’égard des peuples originaires. Leurs terres sont occupées par des multinationales pour l’extraction de minerais, en particulier le lithium, ou par le gouvernement de Gerardo Morales, sans que les droits des indigènes soient respectés.

En plus de tout cela, l’affront que cela implique, il y a aussi l’approbation illégitime d’une réforme partielle de la Constitution de Jujuy, qui a été questionnée sur toutes ses étapes et méthodes de sanction. Il convient de noter que le gouverneur Morales était le président de la Convention constituante, violant ainsi l’article 131 de l’actuelle constitution de Jujuy de 1986, qui interdit au gouverneur d’être membre de la Convention, car « cette fonction est incompatible avec toute autre fonction ou emploi public » ; violant également l’article 100, qui stipule que « les membres de la Convention constituante ne peuvent exercer aucune fonction ou emploi public national, provincial ou municipal pendant qu’ils exercent leurs fonctions ». Or, le gouverneur a pris à plusieurs reprises des décisions en tant que tel alors qu’il était membre de la convention ; des irrégularités parmi d’autres.

En outre, la nouvelle constitution de Jujuy viole des articles fondamentaux de la constitution nationale.

Répression illégale

Face aux manifestations légitimes contre la nouvelle constitution illégale, des actions répressives violentes ont été menées par des forces de police entraînées, sans aucun respect pour les droits humains ou les protocoles de base pour une action appropriée.

Les revendications des indigènes et d’autres forces sociales réclamant leurs droits, comme les enseignants, ont été attaquées par l’utilisation inappropriée d’armes non létales mais dangereusement utilisées ; par exemple des balles en caoutchouc tirées au visage à bout portant. Plusieurs autochtones ont été blessés et ont perdu leurs yeux.

En outre, des policiers sans uniforme ont jeté des pierres sur les manifestants. Il y a eu de nombreuses arrestations arbitraires. Il y a même eu des villes comme Tilcara, où l’électricité a été coupée la nuit pour permettre à la police, qui dans de nombreux cas utilisait des camionnettes non identifiées, de donner des convocations ou d’arrêter des gens.

De même, certains médecins se sont rendus complices et ont dénoncé comme de prétendus criminels ceux qui se rendaient à l’hôpital pour se faire soigner de blessures ou de coups. Ils ont informé la police de la situation, et présumé que les blessures étaient le résultat d’un piquet de grève ou d’un affrontement avec la police. Ils ont même retardé leurs soins, alors qu’il s’agissait de soins urgents.

Un pouvoir judiciaire permissif

Entre-temps, le pouvoir judiciaire a toléré, dans la pratique, de graves violations des droits humains, comme des arrestations arbitraires, du harcèlement, des coercitions, des demandes de renseignements inappropriées, des perquisitions illégales et des arrestations de personnes qui fournissaient des conseils juridiques aux manifestants, comme dans le cas de l’avocat Alberto Nallar, qui est aujourd’hui assigné à résidence.

Responsabilité fédérale

Il est impératif que le pouvoir exécutif national envoie des avocats dans les plus brefs délais pour qu’ils participent aux investigations où des armes multiples ont été utilisées, afin qu’ils garantissent les droits des personnes impliquées. L’article 28 de la Convention américaine des droits humains stipule que « dans le cas d’un État fédéral », c’est le gouvernement national qui doit appliquer toutes les dispositions de la Convention.

Nous espérons que les peuples indigènes seront entendus, Jallalla ! (mot quechua-aymara qui combine les concepts d’espoir, de fête et de bonheur).

 

(*) Avocat constitutionnel de Córdoba, ancien juge fédéral de Córdoba, spécialiste en droit de l’information et journaliste d’opinion.

 

Traduit de l’espagnol par Evelyn Tischer